Les nombres
Il existe une liste qui semble infinie tant elle est longue des nombres servant de dog whistle aux extrêmes droites, si bien qu’il est impossible de les lister ici. Nous relèverons toutefois quelques occurrences qui semblent particulièrement pertinentes, notamment parce qu’elles sont parmi les plus utilisées par les identitaires français. Pour une liste plus fournie, les lecteurs pourront se reporter au site de l’Anti-Defamation League, fondée aux USA. A noter que beaucoup de symboliques qui y sont répertoriées ne sont utilisées que marginalement par les extrêmes droites françaises.
Inégal : le symbole ≠ est utilisé par les suprémacistes pour proclamer leur supériorité raciale sur les autres ethnies.
14 / Fourteen Words/WPWW : En référence au manifeste « 14 Words » du suprémaciste blanc David Lane, mort en prison en 2007. Le manifeste justifie l’épuration raciale. 14 est souvent associé à d’autres nombres (par exemple 1488) selon les variantes idéologiques.
18 : renvoie dans l’ordre alphabétique au A et au H, pour Adolf Hitler. A la veille du fascisme avait déjà détaillé cette symbolique à propos du groupe Combat 18.
28 : ordre alphabétique, B et H pour Blood and Honour, en référence au Blut und Ehre, « Sang et Honneur », devise des jeunesses hitlériennes. Les BH sont des skinheads adeptes du punk, liés au C18. A la veille du fascisme était revenu sur le procès de la branche française.
83 : ordre alphabétique, H et C pour Heil Christ. Utilisé par certaines sectes racistes et antisémites.
88 : ordre alphabétique, H et H pour Heil Hitler. Classique, nauséabond.
Slogans :
White lives matter : slogan suprémaciste tout droit venu des Etats Unis, où l’extrême droite a détourné le slogan « Black Lives Matter » pour justifier la violence policière, mais avant tout pour affirmer la continuelle supériorité de la race blanche. En 2020, Génération Identitaire avait déployé une banderole aux forts relents de ce slogan.
La nourriture :
Cochon : La consommation de porc étant proscrite par l’islam, c’est presque naturellement que les identitaires ont érigé le cochon, sous toutes ses formes de consommation, en symbolique islamophobe. Les formes prises par ce dog whistles sont diverses. Cela va de la mise en avant du porc dans les repas monstres chez les influenceurs d’extrême droite à l’apéro « saucisson-pinard », qui se proclame « fête du cochon » « populaire et identitaire » sans s’embarrasser outre-mesure des apparences.
Tête de sanglier : Des têtes de sanglier sont utilisées comme symboles repoussoirs de l’islam, voire carrément vues comme des moyens d’exorcisme d’une terre ancestrale. Si bien qu’on en retrouve régulièrement empalées bien en vue devant des commerces musulmans (voir ici en 2018 sur le site de construction d’une mosquée, ici devant des pompes funèbres musulmanes, liste non-exhaustive).
Gestuelle :
Geste 88 : Chaque main fait un 8, une boucle avec le pouce et l’index, les trois autres doigts repliés de façon à former une nouvelle boucle. 88, ordre alphabétique pour Heil Hitler.

Geste « OK » : Un cercle formé par le pouce et l’index, les trois autres doigts tendus. On forme un W et un P avec la main, pour White Power, slogan du suprémacisme blanc. Marine le Pen avait été prise exécutant ce geste en 2019.

La quenelle : Le geste a eu son heure de gloire quand les grands médias ont commencé à s’intéresser à cette symbolique propagée par Dieudonné. S’il s’agit selon lui d’un simple geste antisystème, il ne faut pas creuser bien loin pour relever la connotation fondamentalement antisémite de la gestuelle. Elle consiste en un bras tendu vers le bas sur lequel on pose la main opposée, en renvoi au salut nazi.

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Salut du bras gauche : Variante du salut nazi adoptée par le KKK.

Salut à trois doigts : Sans doute le salut le plus largement utilisé à l’extrême-droite. On fait un « trois » avec le pouce, l’index et le majeur. Interdit en Allemagne, ce geste remplace le salut nazi classique. Il est utilisé par le KKK pour renvoyer aux trois K, mais est répandu chez toutes les franges de l’extrême droite, de Loïk Le Priol, meurtrier de Martin Aramburu, aux jeunes avec Zemmour, qui exécutent le salut sur le drapeau marocain après le match France-Maroc.

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Références au nazisme et au fascisme italien :
6MWE : 6 Million Weren’t Enough, référence à la Shoah, expression regrettant que l’entreprise d’extermination des juifs par les nazis n’ait pas pleinement abouti. L’inscription était arborée par un militant lors de l’attaque du Capitole, vraisemblablement proche des Proud Boys.
Division Charlemagne : Une division de SS composée de français engagés volontairement dans les rangs nazis. Elle sera parmi les dernières forces nazies à résister à l’avancée des Alliés en territoire allemand, même une fois Hitler mort. Pour les nouveaux militants national-socialistes, l’histoire a de quoi faire rêver. D’où les régulières inscriptions du nom de la Division en France (ici sur une mosquée à Flers) ou les nombreuses reproductions de l’insigne militaire : un aigle allemand à gauche, trois fleurs de lys à droite.

Les trains qui arrivent à l’heure : utilisé de manière variable par les adeptes du fascisme. Fuyez si votre interlocuteur répond innocemment qu’il aime quand les trains arrivent à l’heure lorsque vous lui avez posé une question sur ses préférences politiques. Cette thématique provient de l’idée que « au moins, au temps du fascisme, les trains arrivaient à l'heure », propulsée par les néo-fascistes italiens.
Soleil noir : Le symbole, à l’origine mystique, est composé de diverses runes, d’une roue solaire. Il est repris par le IIIème Reich, puis par ses admirateurs.

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Meine Ehre Heisst Treue : « Mon honneur, c’est ma loyauté », devise de la Waffen SS, que les néo-nazis trouvent particulièrement inspirante, au point parfois de se la faire tatouer, comme c’est le cas d’un militaire épinglé par Mediapart.
SS-TV : La SS-Totenkopfverbände est une tête de mort posée sur deux os humains. L’ancien symbole des unités SS est réutilisé par tous les identitaires particulièrement friands d’anticommunisme.

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Antisémitisme :
Goy : abréviation de Goyim, « non-juif ». Le porteur du t-shirt affublé de cette inscription au Hellfest souhaitait ainsi se valoriser par sa non appartenance au judaïsme. Noter que le mot « goy » n’est pas antisémite en soi, il le devient par certains usages. Les Débunkers relèvent par exemple la police gothique, qui peut constituer un indice sur les intentions du personnage, ou le fait que le t-shirt porté pendant le Hellfest s’achète auprès d’Alain Soral (dans la même sphère d’influence que Dieudonné).
Qui ? : Un autre dog whistle qui avait été abordé par les grands médias. Derrière sa rhétorique complotiste (Qui ? renvoie aux « élites » dirigeantes de l’ombre), le faux-questionnement accuse les juifs de tirer les ficelles du monde. Qui ? avait pu être aperçu sur la pancarte de Cassandre Frissot, enseignante ex-FN, antivax, proche de Philippot.

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Immigration :
C’est toujours les mêmes : Technique rhétorique plutôt pleutre permettant d’étiqueter une catégorie de la population sans la nommer de peur de paraître raciste. Cela permet aux figures médiatiques de faire comprendre à leur audience qu’elles sont bien racistes sans tomber sous le coup de la loi et des règlements.
Les chances pour la France : Sur internet, l’extrême droite désigne par « chances pour la France » les jeunes hommes racisés issus de l’immigration, souvent noirs ou arabes. Il s’agit d’un détournement du discours qu’elle pense majoritaire, à savoir que l’immigration constitue une chance pour la France. Quand elle reprend cette expression de manière ironique, c’est souvent pour attribuer un comportement néfaste à la catégorie de population qu’elle désigne. Elle permet donc d’être raciste sous couvert d’ironie.

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Le grand remplacement : Le grand remplacement est une théorie complotiste élaborée par Renaud Camus, écrivain français (cocorico !). Elle veut que la population « autochtone » soit progressivement remplacée par des vagues successives d’immigration selon un schéma de colonisation inversée. Cette thèse n’est évidemment corroborée par aucun fait. Ce qui n’a pas empêché la théorie de s’exporter à l’internationale, si bien que l’attentat de Christchurch s’en inspirait directement, ou d’atteindre les partis plus modérés (Valérie Pécresse reprend à présent le concept).
Logos :
La croix celtique : On ne la présente plus. Une croix entourée par un cercle, symbole du Groupe Union Défense, qui vient d’annoncer sa reformation, de Troisième Voie ou d’Ordre Nouveau, parti fondateur du FN.

L’anti-antifa : On a vu plus subtil comme image. Les identitaires autoritaires, voire ouvertement fascistes, se targuent de faire de « l’anti-antifascisme », en promouvant souvent leur ligne politique par une image des deux drapeaux rouges et noirs de l’antifascisme barrés de rouge.

Lambda : Le lambda est un V à l’envers dans un cercle. C’est le symbole des identitaires à l’international, c’était donc logiquement celui de Génération Identitaire, dissous en 2021.

Le marteau de Thor : Issu des rites nordiques, le symbole est repris par les néo-nazis issus de l’Odinisme ou du Wotanisme. Si le symbole n’est absolument pas raciste à l’origine, sa reprise en main par l’extrême droite en fait un des symboles racistes les plus répandus du monde occidental.

Memes :
Issou : El Risitas, qu’on désigne par Issou, est un humoriste qui s’est fait connaître sur Internet grâce à son rire communicatif. Ni le personnage ni son émission n’apparaissent d’extrême droite, ce qui ne freine pas les identitaires français dans leur récupération. Ils se servent ainsi de la vidéo durant laquelle on voit l’humoriste éclater de rire pour troller sur Internet. Des supporters d’Eric Zemmour créent même un compte twitter « Issou Live Matter » pour décrédibiliser le mouvement Black Lives Matter. Soulignons ici encore le rôle de premier plan tenu par le forum 18-25, propriété de Webedia, société elle-même tenue par un proche des époux Fillon.

Pepe the frog : Un meme de grenouille auquel les militants d’extrême droite apposent un uniforme de la SS, un drapeau nazi ou une casquette « Make America Great Again ». Sous couvert d’ironie, l’invocation de Pepe permet de propager la haine en ligne d’une manière redoutablement efficace.

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Silverstein : Larry Silverstein fut le propriétaire du World Trade Center, son constructeur. Après les attentats de 2001, son visage est transformé en meme pour le 18-25 de jeuxvideos.com et devient « Larry la chance ». Très largement acquis au complotisme d’extrême droite, les membres du forum accusent par ce meme Silverstein d’avoir été au courant des attentats et de les avoir laissé se produire pour toucher une assurance sur les bâtiments.

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Personnalités historiques :
Jeanne d’Arc : Jeanne, au secours ! comme dirait l’autre. Un peu à la manière de Charles Martel, l’extrême droite retient de Jeanne d’Arc cette image de la fille du peuple, chrétienne, qui se bat pour sauver son roi et son pays de l’invasion étrangère. On ne sait que très peu de choses de manière certaine sur le personnage, ce qui n’empêche pas le FN puis le RN de la célébrer annuellement, en instrumentalisant l’héroïne pour servir son propos xénophobe. Il est bien pratique de pouvoir faire parler les morts, alors les morts dont on ne sait presque rien de la vie n’en parlons pas.
Pétain : L’extrême droite nationaliste n’a jamais cessé ses tentatives de réhabiliter la figure de Pétain. Au mieux, elle avance que c’est un héros de guerre (même si son bilan humain est parfois pire que celui des autres commandants) au pire il a carrément sauvé les juifs de France et le pays avec. Phillipe Pétain s’est engagé dans une collaboration active, il a outrepassé les demandes de Berlin en légiférant de son propre chef contre les juifs. Sur ses ordres, des centaines de convois sont partis de la zone libre pour transférer des prisonniers aux nazis, qui les enfermeront dans les camps de travail et de la mort. Le bilan de cette période n’est pas discutable, et il est parfaitement aberrant qu’en 2022, des historiens doivent se mobiliser pour expliquer une nouvelle fois ce qu’était le régime de Vichy en contrebalançant les déclarations d’un candidat à la présidence de la République.
Maurras : Charles Maurras est l’un des plus fameux intellectuels de l’extrême droite française, et sans doute le plus influents. Il encadra la ligue d’Action française qui structurera Vichy de 1899 à sa mort. A ce jour, Maurras reste sans doute le principal architecte du nationalisme à la française. Résolument antidreyfusard, ouvertement antisémite, xénophobe, raciste, anticommuniste, il est frappé d’indignité nationale à la Libération. Son autoritarisme forcené et son nationalisme exacerbé lui permets d’être toujours au centre des courants théoriques à l’extrême droite, de l’Action française toujours existante, à Emmanuel Macron qui le cite devant l’Assemblée nationale, en passant par Eric Zemmour, un grand admirateur.
Martel : Charles Martel (688-741) est érigé en précurseur de la résistance à une invasion migratoire en France. On associe à son nom la bataille de Poitiers, en 732, durant laquelle les forces militaires françaises auraient repoussé avec succès les soldats musulmans, freinant ainsi leur conquête du pays. Bien avant l’avènement de la monarchie absolue, il est au mieux bancal d’affirmer l’existence d’une unité nationale française dans cette bataille, au pire, c’est complètement mensonger. En réalité, on ne connaît que de manière flou son rôle dans la bataille. Il n’est même pas assuré qu’il parlait français, ses contemporains lui vouaient une haine sans borne car il aurait eu la fâcheuse tendance de piller les églises chrétiennes pour récompenser ses alliés après les batailles. La figure historique est donc controversée, mais l’extrême droite voit en lui un héros ayant engagé la lutte intemporelle contre le péril islamiste, à tel point qu’on nomme après lui un commando, coupable d’attentats à la bombe.
Rothschild : Les Rothschild sont une lignée bourgeoise, issue du Saint-Empire. La plupart des branches de la famille se sont éteintes, anéanties par le nazisme. La branche française a survécu et possède quelques banques, notamment d’investissement, où Emmanuel Macron a travaillé. Par antisémitisme, l’extrême droite accuse la famille de contrôler en sous-main l’économie française, d’avoir fait passé des lois, de posséder des banques centrales. C’est évidemment faux (voir un article très bien fait de Paris en luttes ici) et une telle accusation remobilise l’imaginaire antisémite du complot juif international et financier.
Soros : George Soros est un personnage haï de l’extrême droite. Il s’agit d’un financier, milliardaire et juif. Pour les antisémites, il fait figure de la « pieuvre juive », contrôlant le monde en secret grâce à ses placements financiers. En réalité, il s’agit d’un milliardaire des plus classiques, mais érigé pour sa philanthropie comme principal acteur de la subversion en Europe, à tel point qu’il est devenu « l’ennemi public numéro 1 » du régime hongrois. Le milliardaire n’a en aucun cas l’importance que lui prête l’extrême droite. L’invoquer s’inscrit donc dans la continuité de l’antisémitisme européen.
Comme précisé en début de liste, celle-ci ne se veut pas exhaustive. Il est évident que l'intégralité des dog whistles ne s'y trouve pas, aussi la revue A la veille du fascisme a l'honneur de vous proposer d'apporter vos contributions sur Twitter : @AFascisme.