Sommaire de cette deuxième partie :
Israël : Netanyahou déroule le tapis rouge à l’extrême-droite
Brésil : Le jour où la démocratie brésilienne a vacillé
Italie : Marche fasciste à Rome : 100 ans après, la gangrène court toujours la rue
Netanyahou déroule le tapis rouge à l’extrême-droite
Le premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou a présenté le matin du 29 décembre son nouveau gouvernement. Formée après des semaines d’intenses négociations avec les partis qui ont mené l’homme au pouvoir, cette nouvelle formation acte l’entrée de la politique israélienne dans la haine systémique.
L’Etat de Droit en danger

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Le temps pressait pour Benyamin Netanyahou : celui-ci disputait, avec l’élection de cette année, une course avec la justice israélienne. Celle-ci mène l’enquête sur des faits de corruption et autre fraudes impliquant le personnage. En retournant au pouvoir, et avec l’aide de ces nouveaux alliés d’extrême-droite(s), il forme son sixième gouvernement et pourrait bien se décharger totalement des sanctions qui seraient prises à son endroit. Sa formation, le Likoud, fait en effet alliance avec cinq autres partis, le Shass, le Judaïsme Unifié de la Torah (UJT), le Parti sioniste religieux, la Force juive, descendante du Front National Juif, et le Noam. Outre la haine religieuse, homophobe et raciste commune à chacun des partis (se déclinant néanmoins sous différentes formes), ces entités expriment un rejet collectif de l’Etat de Droit. On observe ainsi une détestation des institutions judiciaires en générale, les juges étant perçus comme illégitimes et militants, mais particulièrement de la Cour suprême. Cette instance est la dernière de la chaîne juridique, de sorte qu’on ne puisse pas remettre en question un jugement rendu par elle. Sans constitution, elle sert de facto de garde-fou aux gouvernements, et est garante des libertés individuelles en Israël. Pour la coalition arrivée au pouvoir, il s’agit de la neutraliser et de donner la primauté au Parlement (dont elle contrôle soixante-dix des cent-vingt sièges) qui aurait alors le dernier mot à la majorité absolue. Fort pratique lorsque les poursuites judiciaires nous rattrapent. A première vue, on pourrait croire que l’engagement de Netanyahou dans cette affaire est purement mû par son intérêt personnel, mais nous nous devons d’intégrer un contexte politique plus large dans l’analyse.
Le racisme comme « clé de voûte » de la coalition

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L’extrême-droite piétine l’Etat de Droit et se fait une joie de danser sur sa tombe. Cette attaque inédite est permise par une évolution au long court de la société israélienne, toutefois c’est la thèse défendue par Samy Cohen dans une tribune publiée dans le Monde. Pour le chercheur, Netanyahou s’est employé durant les douze années précédant l’élection de 2022 (de 2009 à 2021) à attaquer les contre-pouvoirs, et à affirmer la « suprématie de la majorité juive sur la minorité arabe ». Les amitiés que le premier ministre entretient à l’extrême-droite n’ont également rien de neuf. En cherchant, on peut par exemple trouver un article du Monde datant de 1996 revenant sur les liens qu’il entretenait avec le chef du Likoud en France, Jacques Kupfer. Celui-ci, décédé en 2021, ne faisait pas un mystère de son admiration pour Baruch Goldstein, un terroriste responsable de l’assassinat de 29 musulmans en 1994. On retrouve le même engouement chez Itamar Ben Gvir, le nouveau ministre de la Sécurité Publique (notamment en charge de la police), qui avait été condamné pour avoir partagé sa sympathie avec le terroriste. L’homme est passé n°2 d’Israël, derrière le premier ministre, en se faisant la « clé de voute » de la nouvelle coalition. Le chef de la Force juive est un adepte de la provocation, et la presse voit en lui un « bon client » dont elle peut tirer des propos sensationnels. Le 3 janvier, il s’était ainsi rendu sur l’esplanade des Mosquées, un lieu saint de Jérusalem, tout à la fois pour les juifs et les musulmans. Cette incursion est perçue comme une provocation, une revendication suprémaciste de la part d’Israël. Une telle visite avait précipité le déclenchement de la deuxième Intifada en 2000. Le nouveau ministre a par ailleurs interdit de paraître publiquement avec le drapeau palestinien. Pourtant, cette mesure est illégale, si bien qu’une résistance a pu se faire sentir, autant du côté de manifestants que de celui des forces de l’ordre, qui ont refusé d’obéir à leurs ordres hiérarchiques.
Des ministres dangereux et au lourd passif
Si Ben Gvir est particulièrement en vue, il ne faut pas occulter la participation active au projet autoritaire de plusieurs membres du gouvernement récemment nommé. On y retrouve ainsi Bezalel Smotrich, leader du Parti sioniste religieux, devenu ministre des Finances, et par extension en charge de la gestion des colonies. Le nationaliste ultra-orthodoxe avait pourtant été soupçonné d’avoir préparé un attentat à l’essence. On ne soulignera également jamais assez l’importance de premier plan de Yariv Levin, architecte de la réforme dirigée contre la Cour suprême.
Une résistance civile pour les libertés israéliennes
De tels changements ne sont pas sans rencontrer une opposition d’une partie de la société civile. Sous le mot d’ordre de la défense de la Cour suprême, des dizaines de milliers de manifestants, vraisemblablement 80 000, se sont rassemblées à Tel-Aviv pour protester contre le projet de réforme. En réalité, les spectateurs de la scène ont pu assister à une véritable convergence des luttes : aux revendications anti-corruption se sont jointes les luttes pour protéger les droits LGBTQ+, eux aussi sur la sellette (le Noam s’est fait une spécialité dans la promotion d’une homophobie d’Etat), pour la lutte contre le racisme et le suprémacisme. Pour sortir de cette situation délétère, il existe donc des perspectives. Mais ce serait un euphémisme d’estimer que les libertés d’opinion et d’expression sont en danger en Israël : la feuille de route du nouveau gouvernement prévoit notamment de mettre au pas les médias. Pour Gayil Talshir, reprise par le Monde, l’une des stratégies gouvernementales consistera à privatiser les médias publics. En France, cette manœuvre ne peut que nous servir de mise en garde contre la concentration des médias par le secteur privé, au sujet de laquelle a été montée une commission d’enquête parlementaire.
Le jour où la démocratie brésilienne a vacillé
Les partisans de Jair Bolsonaro, président déchu du Brésil, on tenté de prendre les institutions des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire le dimanche 8 janvier. Ne reconnaissant pas la victoire de Lula, ils tentent de provoquer un putsch en déstabilisant la démocratie.
Les élections remises en cause
Si vous trainez un peu sur les réseaux sociaux, c’est un fait divers farfelu à côté duquel vous n’avez pas pu passer : des militants pro-Bolsonaro qui en appellent à l’aide des aliens pour rétablir Bolsonaro à la tête du Brésil. Si cette scène paraît, légitimement, loufoque, elle illustre bien l’impact sur le long terme de l’extrême-droite sur l’imaginaire collectif, ne serait-ce que de sa base électorale. La démocratie est truquée, les nouveaux dirigeants illégitimes, une insulte à Dieu, à la Nation, à la Famille… La corruption est partout, et la Justice, la vérité, la seule à même de ramener l’ordre légitime, c’est l’armée. Fort heureusement pour la démocratie brésilienne, celle-ci a fini par intervenir pour reprendre aux émeutiers les lieux de pouvoir en fin de journée, le 8 janvier. Il s’en est toutefois fallu de peu pour que cet épisode ne prenne une tournure dramatique. On en revient au rôle, central, de la police militaire. Au Brésil, la police « civile » a des fonctions marginales : elle n’est en charge que des affaires judiciaires. Le maintien de l’ordre, quant à lui, est exécuté par les polices militaires, décentralisées et dirigées par les gouvernements des 27 Etats. La police militaire de Brasilia, assignée à la protection des lieux de pouvoir pris le 8, est au centre des questionnements dans cette affaire. Toute la chaîne de commandement, du gouverneur Ibaneis Rocha à son sommet, aux policiers sur le terrain, s’est murée dans une suspecte passivité tout au long de la mise à sac de la place des Trois-Pouvoirs (palais présidentiel, parlement et Tribunal suprême fédéral).
La police militaire comme complice du désastre
Le soutien des forces de l’ordre à l’extrême-droite, en France comme au Brésil, ne fait aucun mystère. Pour Jacqueline Muniz, chercheuse reprise par le Monde, ce qui pèche dans le cas présent, c’est la « gouvernabilité » : « la police s’est trop autonomisée, trop politisée, elle se vit comme un parti ». Durant le mandat de Bolsonaro, mais également depuis sa défaite aux élections, les policiers n’hésitent pas à appeler à manifester sur les réseaux contre le pouvoir judiciaire, contre les fraudes supposées de Lula et quand ils ne le font pas, restent passifs face à la violence des bolsonaristes voire l’accompagnent, comme ce fut le cas le 8 janvier, lorsque des policiers militaires ont pu être aperçus escortant les émeutiers vers les lieux de pouvoir. Un tel degré d’autonomie du corps policier, garant de l’ordre public, ne peut que fragiliser le déjà précaire équilibre des pouvoirs brésiliens. Pour Guaracy Mingardi, cité en 2021 par France 24, cet engagement des forces de l’ordre dans le jeu politique « va faire peur et porter préjudice à la démocratie du pays ». Pour Renato Sergio de Lima, responsable du Forum de la Sécurité Publique au Brésil (qui produit entre autre des données sur la politisation des policiers), le gouvernement de Lula a été aveuglé par une vision légaliste de la police : « il pensait que l’alternance et la nomination de nouveaux chefs allaient suffire pour changer l’état d’esprit de la police », relate-t-il. Au Brésil, le changement de gouvernement a provoqué la déloyauté d’une partie des forces de l’ordre. La sécurité de Brasilia est à présent assurée par des effectifs venus d’autres Etats de la fédération brésilienne, essentiellement des bastions électoraux de la gauche, ce qui peut laisser penser que Lula a appris de son erreur.
Le clan de Bolsonaro aurait pu préparer un coup d’Etat
Après la frayeur causée par ce coup de force, il s’agit pour le gouvernement brésilien de reprendre la main et de désigner des coupables. Dans les jours voire les heures qui suivent la reconquête des lieux de pouvoir, le gouverneur de Brasilia et son cabinet son mis à l’écart et soupçonnés par la Justice de complaisance avec les émeutiers. Arrêté le samedi 14, Anderson Torres est également au centre des investigations. Cet ancien ministre de la Justice de Bolsonaro, devenu secrétaire de la sécurité à Brasilia, est soupçonné d’avoir organisé un coup d’Etat. Le personnage était en voyage aux Etats-Unis depuis le 2 janvier, donc au moment de la prise d’assaut de la place des Trois-Pouvoirs, et y a rencontré l’ancien président la veille de la manifestation. Après avoir démis de ses fonctions le gouverneur de Brasilia, le juge Alexandre de Moraes du Tribunal suprême fédéral (faisant partie des institutions mises à sac) s’intéresse au rôle joué par Torres. Chez ce-dernier, on trouve un décret présidentiel, prévu pour être signé par Bolsonaro, autorisant la mise sous tutelle de l’instance de contrôle électoral par le ministère de l’Intérieur, dans l’optique d’invalider le résultat des élections. Cette trouvaille pourrait refléter une préméditation des évènements sur un temps long, d’autant plus que Torres a eu une attitude pour le moins suspecte les jours précédant le 8 janvier. En premier lieu, nous l’avons vu, il a fui à l’étranger. Au même moment, le commandant de la police militaire Jorge Eduardo Naime prenait congés. Avant de partir, l’ancien ministre aurait également bouleversé, sans raison apparente, l’appareil de sécurité des institutions. Une partie des effectif de sécurité était absente le dimanche des évènements, renvoyée chez elle peu avant l’assaut, ce qui aurait permis aux manifestants de mettre la main sur leur équipement offensif et défensif, laissé sur place. L’intersection de ces éléments fait que la Justice suit la piste d’un coup d’Etat organisé, prémédité par l’entourage de Bolsonaro, lui-même visé par l’enquête.
Marche fasciste à Rome : 100 ans après, la gangrène court toujours la rue
Souvenez-vous de vos cours d’histoire du lycée : le fascisme est arrivé au pouvoir en Italie après la démonstration de force durant la marche des « chemises noires » sur Rome le 28 octobre 1922. Après l’élection de Giorgia Meloni l’année dernière, les fascistes et néo-fascistes italiens ont donc célébré le centenaire de la marche en reproduisant l’exercice. Le 7 janvier 2023, ils ont à nouveau défilé.
Le droit fascisme italien
D’après Libération, il y aurait pu avoir jusqu’à un millier de participants, scandant « présent ! » le bras tendu à l’ancien local du Movimenti Sociale Italiano (MSI, parti nostalgique de Mussolini, à qui le Front National a emprunté son symbole enflammé). Ces fascistes rendent ainsi hommage à leur quatre camarades tués en ce lieu en 1978, à la sortie d’une réunion, vraisemblablement par des militants antifascistes et par un tir policier. Leur portrait est affiché au mur du local, aux côtés de drapeaux marqués d’une croix celtique. Si ce rassemblement rend avant tout hommage aux militants du MSI, il fut organisé par la CasaPound Italia (CPI).
Une marche droitement menée

Ce nouveau mouvement nostalgique du régime fasciste séduit en Italie. Il adopte les mêmes codes que ses homologues à l’étranger, et dispose d’une influence croissante dans la jeunesse. Ses militants sont violents, l’un d’eux s’était suicidé après avoir abattu deux vendeurs d’origine étrangère à Florence. Avant l’hommage, le mouvement a pu mener une marche au grand jour dans les rues de Rome, la municipalité semblant avoir baissé les bras dans son combat contre le groupuscule (d’après Jean-Yves Camus, cité par Libération). L’évènement a produit des photographies impressionnantes, où l’on peut voir des milliers de militants défiler en rangs dans les rues de la ville. Thomas Porte, président de l’Observatoire National de l’Extrême-Droite (ONED) et député, a dénoncé des « images qui glacent le sang ». Un œil attentif pourra observer un détail intéressant sur l’une d’entre elles : la présence de plusieurs drapeaux nationaux à l’avant du cortège. Les étendards des Pays-Bas, de la Belgique, de l’Allemagne, de la Pologne, de la Grèce, évidemment de l’Italie mais aussi de la France sont fièrement portés.
Des français ont levé le bras
La marche est donc l’occasion d’une convergence entre les différents groupuscules identitaires européens. L’influence de la CasaPound en France n’est plus à prouver, les militants français effectuant régulièrement des visites au squat du mouvement, à Rome, particulièrement à l’occasion de leur cavale. C’est donc assez logiquement que Libération a pu démontrer que plusieurs délégations s’était rendu dans la ville éternelle pour y tendre le bras. Parmi eux, Logan Dijan, ancien président du GUD et complice avec Loïc Le Priol de torture, des membres du GUD récemment réactivé, des identitaires lyonnais (dont des membres des Remparts) et des activistes de l’Action française, plus discrets. La présence de délégations des mouvements identitaires français, y compris de mouvements dissous (comme les Zouaves de Paris), témoignent donc une nouvelle fois de la force de leurs réseaux transnationaux, mais également d’un fort sentiment d’impunité, d’un côté et de l’autre des Alpes.