Récemment, j'ai eu un entretien avec un directeur très intelligent. Lors de notre échange, j'ai répondu avec authenticité et un ton avenant à ses questions. J'avais préparé cet entretien en m'appuyant sur mes expériences, convaincue qu'elles m’avaient bien formée pour le poste. Sa conclusion m’a surprise : « Vous êtes compétente, mais pas assez assertive. Nous, on gère des partenaires internationaux, et j’ai peur que vous ne soyez pas capable de dire non. »
Cette rapide impression tirée d’une simple rencontre Teams m’a laissée perplexe et soulève une question profonde : comment évalue-t-on l'assertivité féminine dans un cadre professionnel dominé par des critères masculins ? Le caractère féminin dérange‑t‑il surtout dans les postes à responsabilité ?
Cette réflexion m’a rappelé l’histoire d’Hillary Clinton lors de sa campagne présidentielle de 2008. Des sondages la montraient en difficulté, perçue comme la candidate la moins “likable”, trop dure, pas assez empathique.
Lors d'un événement à Portsmouth, sa voix a tremblé et ses yeux se sont embués en répondant à une électrice sur sa motivation personnelle. La réaction d’une partie des électeurs, mesurée dans d’autres enquêtes, a classé cet incident comme un signe de faiblesse : “nous ne voulons pas d’un président faible”.
Hilary a gagné ces primaires, grâce surtout aux femmes de plus de 40 ans, mais ce double standard persiste : forte et distante, on la critique ; émotive, on la taxe de fragilité.
Les femmes en entreprise naviguent ce même paradoxe, jugées par des décideurs majoritairement masculins, ou par des femmes imprégnées du même système, qui valorisent une posture “masculine” pour les postes à responsabilité. Est‑ce qu’une femme peut revendiquer son authenticité comme une force, sans devoir mimer un modèle masculin pour être jugée crédible ?
L'accès à l'emploi et l'ascension professionnelle cristallisent ces injustices sociétales, où les spécificités féminines devraient devenir des leviers de succès plutôt que des obstacles. Les qualités souvent associées au leadership féminin – écoute, gestion des conflits, coopération, communication claire – aident aujourd'hui à désamorcer des problèmes en entreprise, à gérer les crises par un management empathique, et à construire des modes de fonctionnement plus durables. Ces atouts portent une valeur très concrète, convertible directement en gains financiers : meilleure rétention des talents, moins de conflits, plus d’engagement, donc plus de performance.
La plus belle preuve des capacités des femmes managers en temps de crise, ce sont les études menées après la crise du Covid. Plusieurs analyses internationales ont montré que les pays et les entreprises dirigés par des femmes avaient, en moyenne, mieux géré certains aspects de la pandémie : communication plus transparente, décisions plus prudentes mais plus cohérentes, prise en compte de l’impact humain des mesures.
En 2024, les femmes ne représentent encore qu’environ 6,25% des postes de PDG ou de DG des entreprises du CAC 40 (5 postes sur 80), alors qu'elles forment 56% des étudiants en enseignement supérieur et près de 29% des diplômés d'écoles d'ingénieurs et de commerce chaque année. Le vivier existe, le niveau de diplôme aussi ; ce qui manque, ce n’est pas le talent, ce sont les portes ouvertes.
Alors pourquoi ces dirigeants, pourtant accros aux chiffres, ne prennent-ils pas réellement en compte l'apport des femmes en entreprise et continuent-ils à maintenir des freins à leur ascension ? Les données existent, les études existent, les résultats sont là.
En tant que femme, ce sujet m’interpelle profondément, parce que je l’ai croisé à chaque étape de ma carrière.
Ce qui est sure, c’est que les formations dans les grandes écoles, les pratiques des responsables RH et les outils d’évaluation restent largement construits sur le même modèle : on valorise encore la prise de parole la plus forte, la posture la plus dure, presque comme si l’on évaluait inconsciemment le “taux de testostérone” des candidats.
Tant que les critères ne changent pas, ce sont toujours les mêmes profils qui passeront.
J'ai envie de croire qu'on peut enfin ouvrir le débat sur cette question épineuse : et si l’enjeu n’était plus de demander aux femmes de se transformer pour rentrer dans le moule, mais de transformer le moule lui‑même ?
Faire évoluer les critères d’évaluation, les grilles de recrutement, les modèles de leadership enseignés dans les écoles de management. Reconnaître que ce que les femmes apportent n’est pas un “plus”, mais une condition de survie et de progrès pour l’entreprise de demain.
Et vous ?
- Dans votre parcours, avez-vous déjà été jugée “trop” ou “pas assez” quelque chose (assertive, féminine, émotionnelle, directe) pour un poste ou une promotion ?
- Quels types de comportements de leadership vous ont le plus aidé·e au travail : ceux qu’on qualifie de “durs” ou ceux qu’on qualifie de “relationnels” ?
- Si vous pouviez changer un seul critère d’évaluation dans les recrutements ou les promotions, lequel serait-ce pour mieux reconnaître la valeur des femmes ?
Vous pouvez partager vos expériences, vos colères, vos idées : c’est aussi par ces récits que les lignes commencent à bouger.