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Billet de blog 16 avril 2022

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Hé ho !, les ami.e.s ! Réveillez-vous ! C’était un canular !

Dans mon premier article de blog, avant-hier, j’ai posté un texte signalant qu’une entreprise de BTP chargée de construire et d’exploiter une infrastructure autoroutière pourrait y renoncer, après réflexion, en prenant au sérieux les alertes du GIEC et les conséquences sur l’agriculture de la guerre en Ukraine. C’est bien sûr un bobard !

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Quel grand groupe industriel serait aujourd’hui en capacité d’agir ainsi, avec autant de possibilité de s’extraire de la mortifère « compétitivité des marchés », et avec autant de conscience écologique et de souci pour l’intérêt général ?

Qui ne sait que des décennies de « responsabilité sociale et environnementale » des entreprises (publiques et privées) se sont soldées en fait par un échec ? Il faut donc se pincer et revenir à la réalité... Tout, dans cet article était vrai, sauf ce qui était au conditionnel.

Oui, ce projet d’A69 est bien écocide, antidémocratique et antisocial ; oui, ce sont bien 470 hectares de terres agricoles - et parmi les meilleures ! – qui seront immédiatement artificialisées si ce bétonnage a lieu (sans compter l’impact induit, d’ores et déjà connu, qui sera tout aussi important); oui, celles et ceux qui combattent cette aberration sont de plus en plus en plus entendus et soutenus ; oui, il existe bien un projet alternatif, depuis plusieurs années, qui n’a pas été discuté et pris en compte, etc.

Mais non, malheureusement, il n’y a pas de revirement en vue du côté du groupe de BTP NGE, pas plus que du côté des pouvoirs publics et des élus locaux, départementaux et régionaux qui demeureront hélas arcboutés jusqu’au bout sur leur déni des enjeux et conséquences, englués qu’ils sont dans leur volonté de « tirer profit » de la réalisation d’une telle infrastructure : profits en « espèces sonnantes et trébuchantes » pour quelques-uns, mais aussi profits politiciens, clientélistes et symboliques pour les autres qui n’entendent pas perdre la face en revenant sur leurs décisions antérieures, vieilles de deux à trois décennies, alors que les urgences de l’heure appellent des réflexions et actions courageuses et inédites.

Pincez-vous donc, et réveillez-vous ! C’était bien un canular ! Adrian Azaïs, son supposé auteur, n’existe pas ; pas plus que « le consortium concurrent NACT Entreprise » (Nact = Non à l’autoroute Castres-Toulouse) qui était censé présenter prochainement son projet alternatif aux élu.e.s du territoire...

Au-delà de l’amusement un peu puéril qui a accompagné son écriture, et au-delà de son côté un peu potache, ce texte d’hier répondait à divers objectifs qui méritent quelques éclaircissements et sur lesquels j’aurai peut-être l’occasion de revenir.

Il s’agissait tout d’abord de susciter la réflexion d’un plus grand nombre de personnes, en attirant leur attention par des moyens détournés, puisque beaucoup d’entre elles sont victimes de la propagande éhontée des pro-autoroute. Et si c’était vrai ? Et si enfin les grandes entreprises et les dirigeants actuels prenaient au sérieux les enjeux climatiques, environnementaux et sociaux ? Et si le projet alternatif n’avait pas été mis sous le boisseau par les promoteurs publics et privés, politiques et institutionnels, de l’autoroute ? Et s’il était encore possible de rétropédaler ? Et si... ?

Chacun.e comprendra qu’il est urgent de « travailler nos imaginaires », de penser que réellement un autre monde est non seulement souhaitable mais aussi possible. Il est urgent de sortir du « toujours plus », du « toujours plus vite », du « toujours plus cher », du « toujours plus neuf », du « toujours plus grand », etc. Une partie grandissante de la jeunesse s’en convainc de jour en jour, mais reste pétrifiée par l’immensité de la tâche à accomplir pour contrer cette perte de sens et faire sauter dans les esprits l’idée même de croissance infinie, funeste et inégalitaire qui nous mène au mur. Se tourner vers les ONG, associations et activistes écologistes (d’Alternatiba à Extinction Rébellion en passant par Youth for Planet et bien d’autres mouvements), vers les collectifs de lutte locaux et vers les organisations politiques qui portent haut ces questions est l’une des voies à suivre. Et le faire sans tarder, y compris en utilisant des méthodes « à la marge », voire même peu recommandables et à la limite du droit, est primordial si nous voulons faire sauter les verrous antidémocratiques de notre « démocratie profondément malade ». On touche là à la tension présente dans tout « Etat de droit » entre légalité et légitimité ; et dans tous les cas, aussi peu recommandable qu’elle soit, une telle méthode demeure bien en-deçà, dans le cadre de ce canular, des bidonnages, coups tordus, enfumages, à-peu-près, contournements et autres mensonges utilisés par de très nombreuses entreprises et de trop nombreux « responsables » pour nous faire avaler leurs couleuvres indigestes...

Il s’agissait aussi, en publiant un tel article, d’étudier in vivo les effets et réactions qu’il allait nécessairement susciter : pouvait-il être pris au sérieux alors qu’il reste dans le flou complet et n’affirme rien ? Combien de temps faudrait-il pour que le buzz soit vraiment audible, voire devienne viral ? Comment allaient réagir les médias locaux, notamment La Dépêche qui a toujours collé sans retenue aux arguments des pro-autoroute ? Et les élus, allaient-ils faire le gros dos, se murer dans le silence en attendant les réactions ou sortir leurs griffes ? Quelles réponses les autorités et l’entreprise allaient-elles faire à celles et ceux qui pourraient les interroger à nouveaux frais ? Est-ce que des activistes ou militant.e.s écologistes relaieraient un tel texte ? Comment, dans cet entre-deux-tours les organisations politiques s’en empareraient-elles ? Quelle crédibilité pouvait avoir le contenu d’un tel article du côté de celles et ceux qui luttent contre ce projet ou qui doutent de son utilité ?…

En tant qu’enseignant-chercheur en Sciences humaines et sociales, j’avais des hypothèses que ces dernières 24h viennent en partie confirmer. Sans chercher l’exhaustivité, je voudrais donner ici quelques éléments de réflexion à ce propos.

Je tiens à m’excuser tout d’abord, très sincèrement, auprès de Mediapart qui m’a servi sans le savoir de vecteur. Je pense que sa rédaction ne m’en voudra pas, étant elle-même très en pointe sur ces questions, et soucieuse de mettre en exergue les luttes nombreuses qui sèment au ras du sol les graines d’un avenir plus juste et plus vivable. J’adresse aussi mes excuses à celles et ceux que ce « faux revirement » a enthousiasmé.e.s.

J’insiste : mon objectif n’était pas de blesser, ni d’ennuyer quiconque ni de propager une fausse information (ce rapide démenti en est la preuve). J’ai simplement souhaité révéler les attentes et questionnements d’une partie grandissante de la population sud-tarnaise, tout en pointant quelques points aveugles de ce dossier. Mon but était de faire connaitre les problèmes liés à ce (peut-être) futur chantier, au-delà des cercles trop restreints qui en maitrisent les tenants et aboutissants, en dépit des graves enjeux qu’il soulève.

Les réactions ont en effet été diverses mais assez intéressantes.

D’une part, je constate que beaucoup croient encore possible que nos « décideurs et responsables » puissent emprunter une autre voie (c’est le cas de le dire !). La quasi-totalité des commentaires montrent leur profonde adhésion à cette remise en question. En disant leur satisfaction de voir enfin les vraies questions posées et prises en compte, ils/elles ont signalé leurs inquiétudes et dessiné d’autres aspirations. Leur déception est peut-être un peu raide à présent, et cela m’est pénible, mais leur réaction est fort compréhensible : elle indique des attentes fortes qui correspondent à la gravité de la situation actuelle, tant d’un point de vue environnemental que social et démocratique. En réalité, ils/elles ont raison, au plein sens du terme ; leur lucidité leur fait honneur ; et s’ils/elles ont été immédiatement enthousiasmé.e.s, c’est qu’elles ont déjà fait le « pas de côté » indispensable, le plus lucide, le plus humain ; le plus rationnel aussi... Le partage, le sens de la justice, la sobriété (sous ses différentes formes) sont d’ores et déjà au centre de leurs réflexions, si ce n’est de leur vie ; qu’ils/elles en soient remercié.e.s. Les décideurs actuels doivent en prendre la mesure, à tous les niveaux.

Localement, le trouble a aussi gagné une partie des propriétaires en voie d’expropriation et d’autres déjà engagés dans des transactions immobilières. C’est compréhensible puisque, sur le terrain, le tracé définitif a récemment été précisé et les procédures administratives se sont accélérées. A ces propriétaires, favorables ou non au projet (qui espèrent en tirer profit ou qu’ils soient angoissés par la dévalorisation prochaine et brutale de leurs biens), je leur dis ceci : mon texte d’avant-hier ne change rien à la situation ; il vous indiquait simplement que vous n’êtes pas seul dans ce cas et que ce que vous allez gagner ou perdre se fera peut-être au profit ou au détriment d’autres personnes. Dans tous les cas, cependant, si nous continuons à aller dans le sens de ces « grands projets inutiles, imposés et bidonnés », tout le monde y perdra en qualité de vie ; et nos enfants et petits-enfants auront raison de demander des comptes aux décideurs d’aujourd’hui. Il est encore temps ! Allez au-delà de ce que les élus et les décideurs vous en disent ! Renseignez-vous ! (sur n’importe quel moteur de recherche, ces quelques noms d’associations ou collectifs feront connaître l’essentiel : La Voie est libre / Pact / RN126).

D’autre part (et je m’en tiendrai là pour aujourd’hui), j’avoue avoir été surpris par l’absence de réaction des élus locaux, départementaux et régionaux. De même, la presse locale n’est pas tombée dans le panneau ; cela montre que le travail de vérification et/ou que la lecture un peu sérieuse du texte a été faite. C’est le moins que l’on pouvait en attendre, bien que ce sérieux le plus basique ne soit pas toujours au rendez-vous...

Certes, beaucoup ont dû s’interroger sur le revirement supputé ; et j’aurais aimé être une petite souris pour saisir l’inquiétude voire la panique qui en a sans nul doute gagné plus d’un.e quelques instants. Le flou et l’usage copieux du conditionnel de l’article leur a cependant permis rapidement de douter de la véracité d’un tel revirement de la part de l’entreprise concessionnaire choisie, dont les dirigeants ont probablement compris tout de suite qu’il s’agissait d’un canular. Quelques coups de téléphone auront suffi pour que ce petit monde interconnecté (élus, dirigeants économiques, préfecture et médias locaux et régionaux dominants) comprenne de quoi il s’agissait. Leur entre-soi les rassure d’autant plus qu’ils se sentent plus forts que jamais. Le bulldozer autoroutier a en effet avancé au pas de charge ces derniers temps (désignation du concessionnaire, publication du « Dossier des engagements de l’Etat », déploiement des « aménageurs » sur le terrain, etc.). Ils auraient cependant tort de s’en aveugler puisque les opposants au projet ont eux aussi beaucoup progressé en valorisant le projet alternatif centré sur l’aménagement de la RN126. En témoigne le petit livret informatif distribué récemment par ces derniers.

Surtout, une autre phase s’ouvre désormais, plus dramatique encore que la précédente si l’on en juge au « choix » catastrophique qui s’impose pour le second tour de la semaine prochaine. Dans la jeunesse et au ras du sol, c’est à dire là où les problèmes se posent concrètement, les tenants du bitume et du béton à tous crins sont loin d’avoir gagné la partie, ici comme ailleurs (voir sous ce lien « La carte des luttes contre les grands projets inutiles » : https://reporterre.net/La-carte-des-luttes-contre-les-grands-projets-inutiles). L’autoroute Castres-Toulouse n’est pas encore construite, et c’est tant mieux. Les victoires récentes le prouvent, de Notre-Dame-des-Landes à la décision de ces jours derniers stoppant le projet Terra 2 de Saint-Sulpice. Hauts les cœurs ! Il est encore temps de changer de cap !

Pour lire mon premier article, c'est par ici.

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