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Billet de blog 2 septembre 2017

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Iran: De Karadzic à Khamenei

Les 30 et 31 août, le 8, Rue de la Banque accueille une exposition sur des massacres qui ont eu lieu en 1988 dans les prisons de l’Iran. Trente mille opposants politiques ont été exterminés en moins de deux mois, dans toutes les prisons du pays. Il s’agit bel et bien d’un génocide.

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iran, massacre de 1988

Un génocide est l’extermination systématique d'un groupe humain de même race, langue, nationalité ou religion par racisme ou par folie. C’est bien ce qui a eu lieu en Iran en 1988. Les exécutions capitales de ces deux mois qui ont été déclenchées sur une fatwa de quatre lignes donnée par l’Ayatollah Rouhollah Khomeiny, ciblaient bel et bien un groupe d’individus appartenant à une même organisation politique : les Moudjahidine du peuple d’Iran (l’OMPI). Des détenus d’autre obédience ont également été assassinés lors de ce génocide, mais tout le monde s’entend sur les chiffres de 85 à 90% des victimes qui appartenaient aux Moudjahidine.

Alors que les portraits affichés à la Mairie du 2nd arrondissement interpellent l’un après l’autre chaque spectateur, on ne peut s’empêcher de penser aux questions que soulève une réflexion sur cet évènement historique.

Pourquoi la théocratie s’est-elle acharnée particulièrement sur les Moudjahidine ? Pourquoi ce silence monumental sur un évènement d’aussi grande envergure, pendant près de trente ans ? Et pourquoi ce retour à grandes pompes à la Une des débats politiques sur l’Iran ?

Pourquoi ce focus sur les Moudjahidine ?

Le chiffre de 85 à 90% des victimes des massacres de 1988 qui appartiennent à ce mouvement est dû avant tout au fait que dès le début de la politique de la Terreur noire en 1981, les Moudjahidine sont les seuls à avoir fait bloc et à réclamer la chute de la République islamique. Ils ont été les seuls à ne pas céder face à cette terreur noire et à continuer la lutte pour le renversement du pouvoir.

Si on regarde les choses un peu plus en profondeur cependant, il faut dire que les Moudjahidine du peuple ne sont pas seulement des opposants politiques du régime intégriste. Ce sont deux visions entièrement contradictoires de l’Islam qui s’opposent en Iran depuis l’avènement de la République islamique. Les Moudjahidine du peuple sont entièrement opposés aux déductions que font les mollahs des préceptes de l’Islam, l’imposition par la force de la foi en premier. Ils ont une lecture dynamique du Coran qui veut l’adaptation des instructions de la foi à la société moderne et qui rejette toute injonction. C’est ce qui a fait d’eux des antidotes de l’intégrisme islamique. C’est aussi ce qui explique l’acharnement de la République islamique sur eux.

Cette frénésie continue d’ailleurs. Le 30 juillet dernier, une vingtaine de prisonniers politiques, pour la plupart proche des Moudjahidine du peuple ont été passés au tabac et brutalement déplacés à un secteur de haute sécurité de la prison de Raja’i Shahr. Ce secteur est démuni d’eau potable, le nombre de lits est insuffisant, les fenêtres sont couvertes par des plaques de métal, il n’y a pas de télévision et de réfrigérateur, et par contre, il est surveillé jour et nuit par des dizaines de caméras et de dispositifs d’écoutes installés jusque dans les WC et les douches.

« Ces mesures répressives, ainsi que l'interdiction faite aux détenus de voir leurs proches ou de leur téléphoner, semblent s'inscrire dans le cadre d'une stratégie concertée pour couper les prisonniers politiques du monde extérieur et limiter les fuites d'information sur la longue liste des violations des droits humains qu'ils subissent régulièrement à la prison de Raja'i Shahr » indique un communiqué de l’Amnesty International (22août) qui s’inquiète du sort des prisonniers.

Les prisonniers (une vingtaine) mènent depuis une grève de la faim pour réclamer leur retour aux normes élémentaires de détention. Leur vie est en danger. N’oublions pas que l’Iran est toujours le détenteur du record du monde des exécutions capitales per capita.  

Pourquoi ce silence de 30 ans ?

Comment un génocide a-t-il pu rester trente années sous silence ?

Simin Nouri du Comité de soutien aux droits de l’Homme en Iran qui est l’organisateur de l’exposition à la Mairie du second arrondissement de Paris déplore le silence complice de la communauté internationale, déjà pendant les évènements. « Il paraît que les accords commerciaux fructueux ont pris le dessus sur les grandes valeurs de l’Humanité » lance-t-elle d’un ton accusateur, expliquant que ce silence a joué une part de lion dans la déception des Iraniens qui « ont vu que leur voix ne parvenait nulle part ».

« En Iran même il était tout simplement interdit de parler des massacres de 1988. Cela pourrait suffire pour constituer un élément d’accusation », explique encore Simin Nouri qui ajoute que « beaucoup de jeunes qui n’étaient pas encore nés dans les années 80 ignoraient totalement ces massacres et leur envergure ».

« Pendant ces trois décennies on a beaucoup espéré que l’Occident revienne sur ses principes des Droits de l’Homme dans ses liens avec l’Iran. Non seulement ça n’a pas été le cas, il y a même eu des complicités pour la répression des opposants iraniens en exil », dit encore Simin Nouri en décryptant ces années de silence.

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Le grand retour

En 2016, les Moudjahidine ont lancé un mouvement en faveur de la justice dans ce dossier des massacres de 1988. L’OMPI n’a pu se lancer dans ce projet qu’après avoir extrait tous ses militants d’un Irak où ils ont été à maintes reprises victimes des assauts militaires de tout genre. Le 1er septembre est d’ailleurs la date anniversaire de l’une des plus grandes tueries des opposants iraniens en Irak, dans laquelle 52 militants des Moudjahidine ont été assassinés par des commandos irakiens en moins de deux heures.

« Toutes les forces du mouvement étaient alors déployées pour extraire ses militants de l’Irak » explique Afchine Alavi, le porte-parole des Moudjahidine à Paris qui précise que ce processus a duré de longues années.

« Une fois libéré du souci de sauver la vie de ses militants après leur transfert en Albanie, le mouvement a pu se consacrer entièrement à sa lutte contre le pouvoir intégriste en Iran », déclare Alavi.

Ce mouvement pour la justice réclame la traduction des protagonistes des massacres de 1988 dans les prisons iraniennes devant une cour internationale, « comme ça fut le cas pour Milosevic et Karadzic » affirme le porte-parole des opposants iraniens.

Peu de Bosniens de Srebrenica s’imaginaient il est vrai, de voir un jour Radvan Karadzic rendre des comptes de ses tueries devant une Cour internationale. Aujourd’hui c’est chose faite !

L’opposition iranienne a levé le défi de faire pareil pour Ali Khamenei, le Guide suprême de la théocratie de Téhéran, ce qui équivaudrait à la chute de la République islamique.

L’Occident a des intérêts commerciaux visibles en Iran. Mais elle a aussi des intérêts visibles dans la lutte contre l’intégrisme. N’oublions pas que ce phénomène a proclamé une guerre ouverte dans les rues de Paris, de Bruxelles et de Barcelone. Que fera l’Occident de ce défi de l’antidote de l’intégrisme contre le parrain de l’intégrisme à Téhéran ?

Un génocide, d’autres diront un holocauste a eu lieu en Iran en 1988. Ce massacre des prisonniers politiques s’est effectué sur une ordonnance (fatwa) de quatre lignes donnée par l’Ayatollah Rouhollah Khomeiny, le fondateur de la République islamique qui voulait exterminer tous les opposants, à commencer par les prisonniers politiques.

Trente mille opposant ont donc trouvé la mort en moins de deux mois. Des « commissions de mort » ont été constitués à travers tout le pays pour garantir la mise en application de la fatwa.

« En ce temps-là la communauté internationale a hélas eu un silence complice face à ces horreurs », déplore Simin Nouri du Comité de soutien aux droits de l’Homme en Iran qui a organisé les 30 et 31 août une exposition sur ce sujet à la Mairie du 2e arrondissement de Paris. Il s’agit des victimes des massacres des prisonniers politiques en 1988, en Iran.

« Les Iraniens veulent justice, comme ça a été le cas en Yougoslavie ou en Rwanda, où les criminels ont été jugés par des tribunaux internationaux » explique Simin Nouri qui précise que c’est là l’objectif d’un mouvement en faveur de la justice, lancé depuis l’été 2016 : « traduire les protagonistes des massacres de 1988 devant le tribunal ».

Ce mouvement a rapidement fait tache d’huile dans tout le pays. « Beaucoup de jeunes qui n’avaient pas connu les années 80 mais qui ne s’identifiaient pas non plus dans la théocratie au pouvoir, ont rejoint ce mouvement » précise Afchine Alavi, le porte-parole des Moudjahidine du peuple, principal mouvement d’opposition dont les réseaux structurent ce mouvement pour la justice à travers le pays.

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À côté de cette cruauté se dessine tout de même une volonté de résistance admirable

« Oui ils sont omniprésents à Téhéran » indique Dariush joint sur la messagerie Télégramme et qui témoigne sous couvert d’anonymat. « Surtout pendant la campagne électorale pour les Présidentielles, leurs affiches étaient visibles dans tous les coins de Téhéran », ajoute le jeune Iranien qui dit être un informaticien au chômage.

« On s’était préparé de voir sortir des urnes, Ebrahim Raïssi, un proche collaborateur du Guide suprême, mais celui-ci a été la cible de ce mouvement pour la paix pour son implication dans les tueries de 1988, à tel point qu’Ali Khamenei a craint un soulèvement s’il plaçait Raïssi au poste de Président de la République », dit Laleh, une jeune Iranienne jointe elle aussi sur le Télégramme. 

Ce mouvement a aussi galvanisé autour de lui les dissidents et activistes à l’intérieur de l’Iran. Le célèbre Dr. Mohammad Maleki, un courageux universitaire qui défie le pouvoir en place depuis Téhéran, vient d’annoncer dans un communiqué sa fidélité à ce mouvement en faveur de ce mouvement en faveur de la justice. C’est lui, aujourd’hui octogénaire qui a donné le surnom de « l’Holocauste chiite » au massacre de 1988 dans les prisons du pays.  « L’expression est là pour montrer que les chiites ont été les premières victimes de l’intégrisme », indique Afchine Alavi.

 « Le fait est qu’on n’est jamais à l’abri d’une répétition de cet holocauste », dit Azadeh Alami, jeune Iranienne rencontrée à la Mairie du 2nd arrondissement de Paris, dont un oncle se trouve parmi les 21 prisonniers politiques qui sont depuis plus d’un mois en grève de la faim dans prison de Raja’i Shahr, dans la ville de Karaj (40 km à l’ouest de Téhéran).

 Cette vingtaine de prisonniers politiques ont été brutalement transférés à un secteur de haute sécurité de la prison au lendemain de la publication d’un communiqué annonçant qu’ils rejoignent le mouvement en faveur de la justice.

Amnesty International s’alarme sur leurs conditions de détention. « Les fenêtres sont couvertes de plaques de métal, les détenus n'ont pas un accès suffisant à de l'eau potable ni à de la nourriture, et le nombre de lits est insuffisant. Leurs familles n’ont pas le droit de leur rendre visite en personne et ils ne sont pas autorisés à les appeler, ce qui est habituellement possible dans d'autres quartiers de la prison », décrit un communiqué de ONG qui parle aussi « de dizaines de caméras de surveillance et d'appareils d'écoute dans tout ce secteur de la prison, y compris dans les toilettes et les salles de douche, ce qui constitue une grave violation de leur doit à la vie privée ».

« Dans un régime sans loi ni droit, il suffit que le Guide suprême décide de donner une autre fatwa pour qu’il exterminent encore une fois tous les prisonniers politiques », affirme Azadeh qui rappelle que l’Iran est détentrice du record per capita des exécutions capitales dans le monde. « Cent onze personne ont été encore pendues en juillet ».

À côté de cette cruauté se dessine tout de même une volonté de résistance admirable qui ne perd pas l’espoir dans le renversement de ce régime, même après tous ces massacres. « On ne perdra jamais la capacité de mourir pour ne pas céder aux pressions », écrit l’un des grévistes de la prison de Raja’i Shahr, Sa’id Massouri, dans un communiqué envoyé depuis la prison.

Cette volonté ne date pas d’aujourd’hui. « Les victimes des massacres de 1988 étaient toutes soumises à des simulacres de tribunaux de quelques minutes, dans lequel il suffisait de faire semblant de ne pas soutenir les Moudjahidine du peuple pour avoir une chance de survie », raconte Mostafa Naderi, un rescapé des massacres de 1988.

« La plupart des opposants jugés par ces tribunaux ont confirmé sans ambiguïté soutenir les Moudjahidine et c’est ça qui leur a coûté la vie », dit sereinement Mostafa, avant d’ajouter : « Ne croyez pas qu’ils ne savaient pas ce qui les attendait ».

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