
Et d’ailleurs, il l’est tellement (autoritaire) qu’il ne vous permet même pas d’émettre un doute. En sommes, et si nous voulions résumer trivialement la chose, il suffirait de changer un seul mot dans cette phrase que l’on voit surgir aujourd’hui dans nos pays occidentaux : « Pour VOTRE sécurité, vous serez privés de libertés ; » pour connaître le calvaire enduré par les Iraniens au quotidien. En Iran, l’état dit plutôt : « Pour NOTRE sécurité, vous serez privés de libertés. »
Maryam Akbari Monfared
Et le cas de Maryam Akbari Monfared en est un criant exemple. Cette femme mariée et mère de trois enfants dont une fille de 11 ans s’est vue emprisonnée en 2009, le matin du 31 décembre, sans qu’aucun membre de sa famille ne soit prévenu… Pendant près de 5 mois. Elle est reparue en mai 2010, au tribunal révolutionnaire de Téhéran, condamnée à 15 ans de prison pour, entre autres chefs d’accusation, « l’inimitié contre Dieu », mais surtout en raison de son appartenance au groupe d’opposition des Moudjahidine du peuple Iraniens.
Véritable prisonnière politique, Maryam Akbari Monfared s’est vue confinée à l’isolement pendant les 43 premiers jours de son arrestation. Elle a subi, comme tous les prisonniers politiques en Iran, de nombreux interrogatoires que nous qualifierons de musclés. Elle n’a pu rencontrer son avocat commis d’office que le jour même de son audience, et n’a pu échanger avec lui qu’une poignée de minutes avant le début de son procès. Le jugement a donc été rendu sans qu’elle puisse se défendre et sans même que les accusations soient argumentées. Le juge a déclaré durant l’audience « qu’elle payait pour les activités de son frère et de sa sœur avec l’OMPI ».
La justice version Iranienne.
Voilà donc une bonne raison d’emprisonner les gens en Iran ; faire payer les erreurs éventuellement commises par les membres de sa famille. Et encore, le terme « erreur » est galvaudé, puisque seul le régime qualifie l’opposition à son pouvoir d’erreur. C’est que la conception de la justice en Iran est bien différente de celle que nous connaissons en Occident. Comme l’écrit Reza Akbari Monfared, frère de Maryam - lui aussi emprisonné-, dans une lettre adressée à l’ONU : « Le pouvoir judiciaire ne se contente pas de se conformer à la règle de l'individualité dans la punition, mais il adhère au principe de collectivité et de familiarité et il punit tout le monde. Dans ce système judiciaire et ce régime, il n'y a pas d'autorité pour appeler à la justice et le contentieux est considéré comme un crime. »
Mais si l’on évoque aujourd’hui le cas de Maryam Akbari Monfared, c’est que sa vie vient de prendre un nouveau tour. En effet, la prisonnière politique vient de déposer une plainte depuis l’intérieur de sa prison, à Evin, réclamant haut et fort qu’une enquête soit menée concernant les exécutions de membres de sa famille durant le sanglant été 1988. Eté durant lequel plus de 30 000 personnes se sont vues assassinées par le régime théocratique pour la seule et unique raison qu’eux-mêmes ou que certains membres de leurs familles appartenaient à l’OMPI.
Le but de la démarche de Maryam Akbari Monfared est simplement de rendre justice à son frère (alors âgé de 17 ans) et à sa sœur, et, accessoirement, d’identifier les auteurs de ce massacre et de connaître leur lieu de sépulture. Cela fait 28 ans maintenant que les familles attendent de savoir où ont été enterrés les milliers de prisonniers exécutés de l’été 1988.
Punie pour avoir osé demander une enquête.
Le problème, c’est que le régime n’a pas supporté qu’une citoyenne, emprisonnée arbitrairement qui plus est, ose lui demander des comptes. Et sa réponse est sans appel. La prisonnière fait aujourd’hui face à des représailles dignes de la pire des tyrannies. Atteinte de polyarthrite rhumatoïde et de problèmes de thyroïde, il lui est impossible de consulter quelque médecin que ce soit. L’accès aux soins lui est purement et simplement interdit. La substitute du procureur de la prison d'Evin a d’ailleurs précisé que l’annulation de ses consultations médicales étaient du au comportement de Mme Akbari Monfared, jugée trop « effrontée ».
En somme, Maryam Akbari Monfared est punie pour avoir osé demander justice. Et, dans le même élan de terreur psychologique, il lui est interdit de recevoir des visites de sa famille. Ses enfants et son mari n’ont que très peu de nouvelles de leur mère et épouse. Un fonctionnaire du bureau du procureur de Téhéran va même jusqu’à poser la question suivante : « Qu’est ce qu’elle cherche ? De telles plaintes ne lui rapporteront rien et cela ne va faire qu’envenimer sa situation en prison et l'empêcher d'être autorisée à quitter temporairement la prison ou à être libérée. » C’est l’expression même du fascisme.
Le rapport avec les massacres de l’été 1988.
Rappelons que durant l’été 2016, un enregistrement audio révélait que ces massacres de 1988, longtemps jugés par l’occident comme un fantasme, voire une théorie du complot, avaient bien eu lieu. L’enregistrement en question mettait aux prises l’ayatollah Hossein Ali Montazeri, alors pressenti pour succéder à l’ayatollah Khomeiny, avec les membres de la commission de la mort, exécuteurs de la fatwa lancée par le guide spirituel et fondateur de l’Etat prétendu islamique. Si le premier nommé s’offusquait à la fois des méthodes et de l’image renvoyée par l’Iran à son peuple et à la communauté internationale, ses contradicteurs appuyaient sans vergogne la fatwa du plus haut dirigeant du régime Iranien. Pire, ils n’hésitaient pas à faire du zèle.
Alors que les dignitaires en poste aujourd’hui précisent publiquement que la requête de Mme Akbari Monfared est totalement inutile puisque les responsables de ces tueries sont soit mort, soit trop vieux, et que ses frères et sœurs auraient été enterrés à Khavaran (un cimetière à Téhéran), il ressort deux éléments qui contredisent ces dires.
Premièrement, des témoins oculaires de l’époque affirment que les corps de milliers de prisonniers exécutés ont été froidement jetés dans des fosses communes, sans qu’aucune cérémonie ni identification n’ait été faites. Secondement, les enregistrements dévoilés en août dernier démontrent que les contradicteurs de l’ayatollah Montazeri, les principaux responsables des massacres, sont encore bien vivants et occupent des fonctions de haut rang. Pour preuve, Mostafa Pour Mohammadi est actuellement ministre de la Justice, Hossein-Ali Nayyeri est l’actuel chef de la Cour Suprême de Discipline pour les juges, Ebrahim Raissi est le chef actuel de l'une des fondations les plus riches d'Iran, Astan Qodse Razavi et Morteza Eshraqi est encore juriste en exercice.
Dans ce fameux enregistrement audio, on entend très clairement Ali Hossein Montazeri dire aux membres de « la Commission de la mort » : « Le plus grand crime commis en République islamique, pour lequel l'histoire nous condamnera, a été commis par vos mains, et à l'avenir vos noms resteront dans l'histoire en tant que criminels. » Si l’histoire reconnaîtra sûrement un jour la culpabilité de ces hommes, pour l’instant, ce sont toujours leurs victimes qui sont torturées en prison.