Dimanche 9 avril dernier, la candidature du conservateur Ebrahim Raïssi, agent indispensable du régime iranien, a été officialisée : il sera donc face à l’actuel président « modéré » Hassan Rohani lors du scrutin du 19 mai.
À cause de la nature autocratique du régime iranien fondé constitutionnellement sur le principe du velayat-e-faqih, qui confère la plus grande autorité au Guide Suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, on ne peut pas espérer du pouvoir présidentiel iranien qu’il soit à l’origine d’un quelconque progrès social, économique ou politique… En ce sens, le mandat de Hassan Rohani et sa prétendue modération, dont les médias occidentaux ont complaisamment loué les espoirs qu’ils ont généré, ont été très utiles au maintien en place du vali-e-faqih (le Guide), dont la légitimité est par ailleurs affaiblie par l’opinion publique. Si la modération a permis à la communauté internationale de s’autoriser à tisser de nouveaux liens diplomatiques et économiques avec la puissance iranienne, le programme « progressiste » de Rohani n’avait pas beaucoup de marge de manœuvre face au contrôle du Guide Suprême et de ses organes majeurs, le pouvoir judiciaire et les Pasdaran.
Et derrière le progressisme timide fondé sur des promesses de garantie de libertés individuelles et d’émancipation des femmes, se cachait une répression toujours aussi impitoyable, avec un taux d’exécution par habitant surpassant celui des pires dictatures.
Il est entendu que l’on ne peut s’attendre à rien tant que le velayat-e-faqih barre la route à tout progrès et que les modérés ne peuvent que servir d’écran devant la véritable nature de la théocratie. Le processus électoral même est délusoire, les candidats devant être approuvés par le Conseil des Gardiens de la constitution, qui sélectionne avec le plus grand soin les prétendants aux pouvoirs, tenus entre autres à une « allégeance profonde et pratique » au pouvoir religieux. L’élection n’est, bien entendu, pas à l’abri des tricheries, aucune supervision impartiale n’étant possible.
Mais à quelques jours d’un scrutin qui aura lieu après une courte campagne (trois semaines), il est intéressant malgré tout de savoir quel conservateur affrontera Hassan Rohani et s’apprête à « prendre (ses) responsabilités concernant (ses) obligations religieuses, nationales et révolutionnaires et donc de (se) présenter à la 12ème élection présidentielle »[1], se présentant -quel artifice-, comme « un candidat indépendant. » Celui que l’Occident considère comme un candidat discret, novice en politique, occupe pourtant les hautes sphères du régime depuis ses heures les plus sombres.
En effet, Raïssi, procureur auprès du tribunal de Karadj dès les premières heures de la révolution, puis substitut du procureur de Téhéran, a joué un rôle clé auprès du Ministère du Renseignement en 1988, quand il fut nommé avec trois autres hauts fonctionnaires, à la « Commission de la Mort » chargée par l’ayatollah Khomeiny d’exécuter tous les opposants politiques iraniens, dont la plupart étaient des membres de l’OMPI (Organisation des Moudjahidines du Peuple d’Iran). Khomeiny accordait une confiance particulière à Raïssi, a qui il ordonna par décret d’agir selon ses « pouvoirs discrétionnaires » et d’outrepasser les procédures bureaucratiques pour « veiller à l’exécution rapide et rigoureuse de ce qui est le commandement de Dieu », un pouvoir accordé à Raïssi et fréquemment renouvelé au cours des mois qui ont suivi.
Ce massacre, qui a fait plus de 30 000 morts en l’espace d’un été et qui s’apparente à un génocide n’épargnant ni enfants ni femmes enceintes, avait à l’époque été vivement critiqué par l’ayatollah Montazeri, alors successeur désigné de Khomeiny. Ce dernier avait convoqué Raïssi et ses collègues à une réunion privée, pour leur déclarer qu’ils se rendaient coupables du plus grand crime commis par la République Islamique, et pour les sommer d’y mettre fin. Ce fut peine perdue et Montazeri fut limogé : n’a subsisté de cette confrontation qu’un enregistrement audio, ré-émergé en août dernier, qui a provoqué un scandale public et causé au responsable de sa publication, le fils de Montazeri, une condamnation à plusieurs années d’emprisonnement.
C’est donc, après des décennies de dissimulation et quelques mois seulement après ce scandale d’ampleur, l’un des principaux responsables de ce crime contre l’humanité qui se présente au scrutin du 19 mai 2017 en Iran, jamais repenti bien sûr, et gagnant toujours plus de pouvoir : dès 1994 et pendant 10 ans il est président de l’Organisation de l’inspection générale du pays. Il est adjoint au chef du pouvoir judiciaire de 2004 à 2014, procureur général auprès du tribunal spécial pour le clergé en 2012, puis procureur général du pays de 2014 au 2015, et enfin en 2016, nommé personnellement par Khamenei responsable de l’extrêmement riche et puissante Fondation religieuse « Astan-e Qods-e Razavi », centre névralgique du pouvoir politique et économique du régime, dont une grande part des recettes est employée à l’exportation de l’intégrisme et du terrorisme dans le monde.
À l’absurdité d’un scrutin sans enjeu s’ajoute donc l’affront d’une candidature scandaleuse, trompeuse, celle d’un agent criminel du pouvoir dont les intérêts résident dans la poursuite d’une politique répressive, intégriste, terroriste. C’est une impasse de laquelle l’Iran ne peut se sortir qu’avec une véritable prise de conscience de la communauté internationale, qui doit ouvrir les yeux sur la véritable nature de cette élection, ainsi que mettre enfin les responsables du massacre du 1988, qui occupent toujours éhontément les hautes sphères du pouvoir après trente années d’impunité, face à leurs responsabilités.
[1] Déclaration d’Ebrahim Raïssi dimanche 9 avril