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Billet de blog 27 mai 2013

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De l’influence du changement climatique sur le monde (et les révolutions) arabe(s)

La sélection de liens de l'iReMMO (10). L’actualité dans le monde arabe est riche. Pas un jour ne passe sans que les médias évoquent les révolutions arabes, le conflit israélo-palestinien, l’influence du Qatar, etc. Mais il est rare de parler de monde arabe et … d’environnement.

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La sélection de liens de l'iReMMO (10). L’actualité dans le monde arabe est riche. Pas un jour ne passe sans que les médias évoquent les révolutions arabes, le conflit israélo-palestinien, l’influence du Qatar, etc. Mais il est rare de parler de monde arabe et … d’environnement. S’il y a bien un champ trop peu exploré, c’est la question du réchauffement climatique dans cette région. L’actualité récente permet pourtant de combler ce vide.

1. Le changement climatique et le Printemps Arabe

Le Center for American Progress, un think-tank progressiste américain proche des démocrates, a publié en février 2013 une étude sur « Le Printemps arabe et le changement climatique » (The Arab Spring and Climate Change - A Climate and Security Correlations Series, février 2013) : plusieurs universitaires y réfléchissent à l’impact qu’a pu avoir le réchauffement climatique sur la naissance des révolutions arabes.

Le raisonnement est simple. Dans une région aride, où les terres cultivables sont rares, la question de l’approvisionnement alimentaire est politiquement sensible. Déjà en janvier 1977, les émeutes du pain en Egypte avaient marqué les esprits et fait vaciller le régime (79 morts, plus de 500 blessés et de 1000 arrestations). Or, en 2010 et 2011, un enchaînement catastrophe se produit : des phénomènes climatiques extrêmes (vagues de chaleur, vagues de froid, fortes intempéries) font chuter dramatiquement le niveau des récoltes de blé en Russie (-32.7%), en Ukraine (-19.3%), au Canada (-13.7%), en Australie (-8.7%). Au même moment, la Chine connaît une sécheresse hivernale exceptionnelle (« a once-in-a-century winter drought ») : le souvenir des famines tragiques (la dernière en 1958-1961) et la crainte de mauvaises récoltes poussent le géant asiatique à compenser sa mauvaise année en achetant en quantité du blé sur les marchés internationaux. Les cours du blé explosent : de 157$ la tonne en juin 2010 à 326$ la tonne en février 2011. 

Les pays arabes seront parmi les plus touchés par cette vertigineuse hausse des prix. En effet, parmi les 10 plus gros importateurs de blé ... 8 sont des pays arabes ; en outre, les populations consacrent à la nourriture une partie significative de leurs revenus (45% au Yémén, 40% en Jordanie, 39% en Egypte, 35% en Tunisie) - comme le montre le tableau ci-dessou, tiré du rapport du CAP.

De là à dire que la révolte sociale des révolutions arabes peut s’expliquer par ces prix exceptionnellement hauts, il n’y a qu’un pas. Certains rappellent même qu’en Tunisie, pendant la révolution, on brandissait des pains.

Mais l’émergence des révolutions est bien évidemment trop complexe pour espérer trouver une cause unique et incontestable. Le changement climatique n'est qu'un élément parmi d'autres, qu’une pierre de plus à l’édifice de la colère, et aucune relation parfaite de causalité ne peut être tirée ; il paraît cependant raisonnable de le considérer comme une pièce du puzzle. Pour reprendre l'expression de deux chercheurs (Johnstone et Mazo), dans une note publiée juste après les renversements tunisiens et égyptiens, le changement climatique a joué le rôle d'un "threat multiplier" (un multiplicateur de menace).

En mars 2011, les prix des denrées alimentaires ont atteint leur plus haut historique ; un mois plus tôt, Hosni Moubarak démissionnait. 

2. Le changement climatique et les gouvernements arabes

L'autre rapport qui a permis de remettre la question du changement climatique au cœur de la région méditerranée a été publié par la Banque mondiale(Adaptation to a changing climate in the Arab countries - A Case for Adaptation Governance and Leadership in Building Climate Resilience, décembre 2012), il détaille les conséquences que pourrait avoir le réchauffement de la planète sur la région, et propose certaines pistes d’action. Il vise à provoquer une prise de conscience et un sursaut politique, dans une région où ce sujet n'est que rarement une préoccupation des gouvernants. 

Le rapport est imposant et très détaillé (441 pages). On y trouve entre autres une présentation des impacts environnementaux, sociaux, économiques et politiques attendus.

On peut notamment relever les points emblématiques suivants :

  • la Jordanie n'aura plus d'agriculture en 2080 ;
  • Casablanca sera exposée à la montée du niveau de la mer (+1,5 mètres en 2100) ;
  • on skiera moins au Liban (45 jours par an, contre 100 actuellement) ; 
  • en Egypte, une augmentation de 50cm du niveau de la mer inondera 30% de la ville d'Alexandrie et provoquera le déplacement de 1,5M de personnes ;
  • certaines cultures (les bédouins en Syrie notamment) seront menacées ;
  • au Maroc la température aura augmenté de 5 degrés ;
  • le risque de pandémies sera plus élevé pendant les pèlerinages à la Mecque ;
  • le tourisme, et donc le PIB de pays arabes fortement dépendants de cette manne, seront touchés ;
  • la population se révoltera - problème intemporel !

Nous vous proposons deux documents extraits de ce rapport pour illustrer ce propos.
D’abord, une carte qui témoigne bien de l’aridité exceptionnelle et structurelle de la région – alors même qu’elle va aller en s’aggravant :

Ensuite, des graphiques qui illustrent la perte cumulée de revenus pour les ménages induite par le changement climatique en Syrie, en Tunisie et au Yémen. On peut y lire par exemple qu’en Syrie, en 2020, les revenus des ménages seront réduits de 527M$ (-1,1% du PIB) par rapport à un scénario où le changement climatique aurait été atténué ("perfect mitigation scenario") ; réduits de 1,2Mds$ en 2030 (2,5% du PIB) ; réduits de 3,4Mds$ en 2050 (6,7% du PIB).

Face à ce désastre annoncé, le rapport propose une série de mesures (souvent urgentes) pour commencer à adapter la région à la réalité du changement. Comme le résume le cabinet de conseil NGC, des propositions sont faites par exemple :
- sur l'eau : améliorer les systèmes de récupération, d'acheminement et de stockage de l'eau (actuellement, dans des villes comme Beyrouth, Jéricho, Sanaa ou Damas, on compte jusqu'à 60% de pertes sur l'eau distribuée (à cause de fuites, de détournements illégaux ou de problèmes de mesure) ;
- sur l'agriculture : privilégier la plantation de plantes locales plus résistantes, adapter les plantations (fruit, légumes, fleurs) à l'évolution de la demande, mettre en place des systèmes de récupération d'eau de pluie ... ;
- sur l'urbanisme : renoncer au modèle des hautes tours en verre, particulièrement mal adaptées au climat de la région et très consommatrices d'énergie, en privilégiant des formes d'architecture plus traditionnelles (exemple des badgirs, ou "tours du vent").


Internet permet de partager ce rapport, d'en propager les constats et les préconisations, de mettre la question du climat à l'agenda politique. Bien que ce message soit difficilement audible actuellement, étant donné le contexte social, politique et économique difficile, la blogosphère arabe peut, et doit mettre tout en oeuvre pour oeuvrer et contribuer utilement à la diffusion de ce genre de travaux. 

Pour aller plus loin :

- la page du rapport du Center for American Progress (en anglais) ; 
- le rapport du Center for American Progress (en pdf, en anglais) ; 
- la fiche Wikipédia sur les émeutes du pain en Egypte, en 1977 (en anglais) ; 
- quelques photos des émeutes du pain en 1977 ; 
- un article de Steve Kaplan dans Le Monde, sur le pain comme symbole de la contestation sociale ;
- le livre, "Pour le futur de la Méditerrannée, l'agriculture" de Sébastien Abis, publié dans la Bibliothèque de l'iReMMO, et qui analyse aussi ce lien entre hausse du prix du blé et révolutions ;
- la présentation du rapport de la Banque mondiale (en français) ;
- une fiche récapitulative, par la Banque mondiale, du rapport, en 3 pages (en français) ;
- le rapport de la Banque mondiale (en pdf, en anglais) ;
- un cabinet de conseil libano-américain, NGC, a synthétisé le rapport, d’abord autour du constat, puis des propositions ;  
- la fiche Wikipedia des badgirs ou (« tours du vent »). 

Mounir Corm et Tarek Daher

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