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Billet de blog 3 mai 2011

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Pendant ce temps, le bus roule

Les frites refroidissent sur leur étal métallique, sous la lumière blafarde d'un néon fatigué. Il est une heure du matin, le bus Greyhound s'est arrêté dans une station-service entre New York et Albany. Pause hamburger, cookie, essence. Atmosphère glauque entre quatre murs jaunes.

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Les frites refroidissent sur leur étal métallique, sous la lumière blafarde d'un néon fatigué. Il est une heure du matin, le bus Greyhound s'est arrêté dans une station-service entre New York et Albany. Pause hamburger, cookie, essence. Atmosphère glauque entre quatre murs jaunes.

Derrière le comptoir, personne ; une odeur de steack trop cuit. Désertion des cuistos. Les hommes sont massés devant l'écran télé suspendu au-dessus de la caisse, tablier noué autour de leur obésité. Obama sur l'écran. «... Nous ne sommes contre l'Islam... » entend-on. L'information défile en bas de l'écran. « Ils ont arrêté Oussama Ben Laden », dit un passager du bus sur un ton monocorde. « C'est bon, Obama sera réélu », lance un autre passager qui du coup retourne s'écrouler dans le bus nocturne. Les cuistos reprennent leur poste, la frite supporte mal l'attente. Trois jeunes latinos restent immobiles, bouches entre-ouvertes, lobotomisés par l'écran CNN surchargé, Obama dans un coin, Maison blanche dans un autre, images de foule et de drapeaux américains, images de Moyen-orient (n'importe lequel, il y a du sable). On ne comprend pas tout à part que l'Amérique a gagné et qu'il y a des gens contents.

J'ai enfin mon cookie, je remonte dans le bus, et teste l'information sur mon voisin., vieux black emmitouflé dans sa veste de chantier. « Ils disent qu'ils ont tué Ben Laden ». Blanc. Je répète, au cas où l'accent français ait rendu l'info essentielle inaudible. Ebauche d'un sourire, par politesse. Il appelle sa femme. Juste pour lui dire que le bus a du retard, il sera à Albany à 2 heures.

Le bus passe par Albany puis poursuit sa route vers le Canada, traverse la frontière à l'aube et roule encore jusqu'à Montréal. Ben Laden est toujours dans l'air mais moins que les élections. Ici, on vote pour les élections législatives. Et on vote conservateur. La journée s'étire, les résultats approchent, la colère monte au Québec et chez tous les Canadiens ayant une sensibilité de gauche. Stephen Harper -Premier ministre sortant- et son parti conservateur obtiennent la majorité des sièges à la Chambre. « C'est l'enfer, ils vont s'attaquer au mariage homosexuel, aux droits sociaux... », note une Québécoise très énervée. Les indépendantistes du Bloc Québécois n'ont que quatre élus, même pas de quoi être considéré comme un parti, « la honte ». « On a encore un George W. Bush pendant quatre ans », note un Québécois blasé. « Remarque, on a de la chance, on ne fait que la guerre quand les Américains la font... Avec Obama, on devrait à peu près se tenir tranquille. »