Boardwalk Empire arrive sur les écrans français ce dimanche 19 décembre, les écrans télévisés d'Orange Ciné Max pour ne pas les citer. Non je ne fais pas de publicité pour cette « petite chaîne qui démarre », je ne milite pas pour élargir le public HBO... Mais cette série américaine mérite le coup d'oeil. Boardwalk Empire s'adresse à tous les amoureux ou simples curieux des ambiances mafieuses, des reconstitutions historiques bien faites et du jeu de Steeve Buscemi.
L'incroyable premier épisode réalisé par Martin Scorsese donne le ton : ambiance feutrée et jazzy des années 20 pour une intrigue mafieuse à l'ère de la prohibition. Boardwalk Empire dépeint l'ascension de Nucky Thompson, le trésorier de la ville ayant fait d'Atlantic City un paradis pour bandits impliqués dans la contrebande d'alcool. L'esthétique léchée de Boardwalk Empire rend le crime séduisant et la série addictive.
Une fois ce premier épisode visionné (sur la petite chaîne citée ou via un petit outil de téléchargement), quelques questions vont forcément se poser : « Atlantic City, était-ce vraiment comme cela ? ». La série se base en effet essentiellement sur des faits réels, agrémentés d'une dose de fiction.
Dans la réalité de 2010, Atlantic City est une station balnéaire du New Jersey dont le charme des tours modernes, des casinos bling bling et des motels cheap vous échappera. Les années 20 et leur air de jazz n'ont pas laissé de traces. Hormis dans le fonctionnement politique de la ville.
Nelson Johnson est juge à la Cour du New Jersey. Il est l'écrivain qui a inspiré la série avec son ouvrage Boardwalk Empire: The Birth, High Times, and Corruption of Atlantic City. « Mon livre leur a servi de point de départ. La série prend des airs de roman, ancrée dans la réalité historique décrite par l'ouvrage. » L'écrivain a adoré la première saison de Boardwalk Empire. « L'esthétique m'a plu. Ils ont très bien saisi et rendu l'essence du vieux Atlantic City. Les vues et les bruits sur la promenade (le fameux‘boardwalk') sont authentiques, comme l'architecture et les costumes. »
« J'étais l'avocat de la ville lors des négociations pour légaliser l'implantation des casinos, en 1976, explique Neslon Johnson. Quand j'ai découvert le système de l'intérieur, j'ai été choqué de voir à quel point le gouvernement de la ville était chaotique. Ca partait dans tous les sens, comme si personne n'avait appris à gouverner selon des règles ici. J'ai donc commencé à m'interroger, à poser des questions aux habitants les plus âgés et à me plonger dans les archives. Et je me suis dit qu'il fallait raconter cette histoire. » Celle de l'empire mafieux construit par un homme politique : Nucky Thompson. Celle d'une ville accueillant en 1929 le premier sommet national des chefs du crime organisé, dont Lucky Luciano et Al Capone.
Pour comprendre cet homme, son réseau, son empreinte sur la ville et en faire un ouvrage digeste, il a fallu près de 17 ans à Nelson Johnson. « Celui qu'on découvre dans la série est à 70 % le Thompson réel, à 30 % le produit de l'imagination des scénaristes. C'est un personnage complexe, à la fois un homme politique et un membre du crime organisé, poursuit Nelson Johnson. Nucky était une personne tout aussi chaleureuse et généreuse que méchante et brutale. En revanche, il n'utilisait pas lui-même la violence, contrairement à ce que prétend la série. »
Un homme apprécié des habitants ? « Oui, il bénéficiait d'un soutien très fort de la communauté locale. Ce n'était pas possible de s'opposer à lui, à moins de quitter Atlantic City. La plupart des habitants savaient qu'il était dans l'illégalité, mais ça leur allait bien puisque, grâce à lui, le business était florissant ! » Le « succès » de la ville repose alors sur la conjugaison de trois entités, distinctes et mêlées : le gouvernement, l'industrie du loisir et le milieu du racket.
Atlantic City, ville construite en 1854 dans l'unique but de divertir la population du New Jersey, de New York et des alentours, grandit donc à l'ombre du système mafieux. Les restaurants et les hôtels fleurissent, mais aussi le jeu et les bordels. Comme le rappelle Neslon Johnson, ce business n'aurait jamais aussi bien fonctionné sans la présence de la communauté afro-américaine de la ville, exploitée à souhait. « Si vous les enlevez de cette histoire, la ville n'existe plus ! Les hôtels étaient totalement dépendants de leur travail. »
Tenu par le secret professionnel, Nelson Johnson ne souhaite pas s'exprimer sur la politique au présent d'Atlantic City et préfère insister sur le grand nettoyage des années 80. Mais si l'ère Nucky Thompson s'est bel et bien terminée sur des arrestations et des peines de prison, dès les années 40, la ville a toujours gardé un pied dans les « affaires », faisant sa réputation sur le jeu et l'alcool... Sans eux, elle semble se perdre, comme en témoigne la situation actuelle.
Depuis 2006, des casinos ont ouvert dans des villes et Etats voisins, affectant l'économie d'Atlantic City (les profits des onze casinos locaux sont en baisse de 30%). La promenade du bord de mer vieillit mal. La ville est plus touchée par le chômage que par les hordes de touristes, 26 % de ses habitants vivent dans la pauvreté, le double de la moyenne nationale. La ville va-t-elle réussir à se renouveler ? Peut-être. En attendant, certaines choses ne changent pas, comme en témoigne cet article du New York Times . On y apprend que la clique corrompue qui gérait la ville a cédé la place « à de la corruption en free lance, un turn over permanent de politiciens, et l'impression que personne n'est en charge » . Peut-être que seul le Boardwalk -la promenade- change. Comme une vitrine plus ou moins alléchante cachant la misère et les affaires.