« Five thousand years of civilization, more or less, twenty-three hundred years since the libraries of Alexandria, over a hundred years since the invention of flight, water-thin computers at our fingertips, which can access the intellectual riches of the globe, and judging by the girls in that room (le narrateur est en présence d'un groupe d'adolescentes), the only advance we'd made since the invention of fire was turning like into an omni-word, useful as a verb, a noun, an article, the whole sentence if need be. »
Que je traduirais par : 5 000 ans de civilisation au bas mot, deux mille trois cent ans depuis la bibliothèque d'Alexandrie, plus de cent ans depuis l'invention de l'avion, de l'ordinateur, d'outils donnant accès aux richesses intellectuelles de cette planète, et à en juger par les adolescentes réunies dans cette pièce, la seule avancée jamais connue depuis l'invention du feu est d'avoir fait de « like » un omni-mot, utilisable comme un verbe, un nom, un article, la phrase entière si besoin.
Ceci est un extrait de Moonlight Mile, le dernier opus de Dennis Lehane, écrivain de polar bostonien à qui l'on doit Mystic River et Shutter Island, traduit approximativement par mes soins. Ce passage me parle. Je suis en effet sidérée du nombre de fois où le mot « like » sort de la bouche de la jeunesse américaine. En compétition avec « awsome » (peut-être l'équivalent d'un « génial » ou « de la balle ») mais ce sera l'objet d'un autre billet. Nous avons tous nos tics de langage, notre argot, notre verlant, mais ce mot « like » peut au contraire faire l'effet d'une absence de langage.
Voici un exemple de conversation entendu du côté de New York. Quiconque se sent inspiré par l'emploi du « like » peut d'ailleurs partager son expérience via les commentaires de ce blog, histoire de bien saisir l'étendue du « like ».
- I was like, you know, feeling like shit... And she was like, « no », like, telling me « you're wrong »...
- Je me sentais, tu vois, super nul... Et elle me disait un truc comme « mais non », comme « tu te trompes »... Et moi, tu vois, je sais plus.
Le « like » permet d'éviter la construction d'une phrase, semblerait-il. Il exprime parfois les deux-points employés à l'écrit. Du coup dans la même phrase on parle pour soi et pour d'autres. On ne sait plus qui parle d'ailleurs. Je me demande aussi si le « like » ne sert pas à préparer son interlocuteur à l'expression d'une situation, d'un sentiment ou d'une opinion à demi mots, sans avis (sans analyse ?), en noyant le tout dans l'effet d'annonce qu'introduit le « like » suivi d'une pause et d'un bout de phrase. Ou bien c'est une simple flemme, celle de construire une phrase efficace, nuancée et donc d'aller chercher dans son vocabulaire le mot juste. Bref, il faut l'entendre pour comprendre.
En lisant quelques petites choses sur le sujet, j'apprends que je ne suis bien évidemment pas la seule à m'étonner de cet usage à outrance des quatre lettres. Le magazine Vanity Fair dédiait un article en juin dernier à l'usage extensif de « you know » et « like », à lire ici.
On y apprend en substance que l'ado, plutôt issu d'un milieu populaire, use et abuse du « like » depuis les années 60. Et que ce mot, c'est une révélation, vient combler une phrase en bois. L'origine de cet insupportable abus serait à chercher du côté d'écrits comme le roman L'Orange mécanique d'Anthony Burgess (1962), dans lequel les personnages likisent à fond les ballons. « C'était ensuite quasi ironique dans Scooby Doo en 1969 », révèle encore l'article et « l'objet d'une satire » de Frank Zappa et sa fille Moon Unit dans leur chanson Valley Girl des années 80. Se diffusant, le mot est devenu le symbole de la « californisation » du langage de la jeunesse américaine.
J'apprends également que le « like » sert de pause vocale et permet au jeune mal dans sa peau de rester sur la défensive, dans le vague, voire neutre. J'en déduis que certaines phrases sont plus des pauses, des silences que des sons, des affirmations.
Mais je constate encore que le jeune n'est pas le seul à abuser du silence, de la coquille vide « like ». L'ancien jeune américain, l'adulte donc, aime bien likiser ausi... Peut-être une dérive facebook. Non ce n'est pas possible, tu ne like pas tout dans la vie. Parfois, en 2011, tu EXPRESS YOURSELF.
Une photo trouvée sur le web, d'un anonyme qui avoue l'avoir trouvée ailleurs et commente avec humour : "I didn't, like, take this picture. It was, like, totally, emailed to me, but like, it's funny, so like I totally wanted to, like Flickr it. You know.... But like the copyright belongs, to like someone else..."