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Billet de blog 3 septembre 2017

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De la violence à Barcelone, Bure, Charlottesville et ailleurs

Je mets en série quelques faits de violence livrés par l'actualité. Occasion de discuter de la folie meurtrière, des violences policières, de notre boucherie humaine...

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​Comme après chaque catastrophe et chaque ​attentat, nos sociétés passent par un temps de sidération collective. Temps nécessaire, inévitable, des affects. Vient ensuite, dans la précipitation, le temps des commentaires à chaud. Souvent stériles. Il s'agit certainement de se prémunir desdits affects (colère, haine, peine...) en les recouvrant du blabla médiatique. Ces commentaires se reconnaissent facilement à leur impuissance à produire une pensée neuve : ils tournent autour d'un centre énigmatique sans jamais pouvoir atteindre le nœud du problème qui se dérobe sans cesse à la pensée.

IL Y A DEUX MESURES

​On a souvent repéré les deux poids deux mesures dans la qualification d'un attentat. La récente actualité​ de ces derniers jours nous a confronté à trois attaques à la voiture bélier :

  • à Charlottesville, le 12 août dernier, James Field, un nazi (pourquoi d'ailleurs dirions-nous néonazi ?) lance sa voiture dans une foule et percute à mort une femme de 32 ans, Heather Heyer, qui manifestait en faveur de la tolérance et parce qu'elle militait pour cela ;
  • A Sept-Sorts (Seine-et-Marne), le 14 août dernier, un homme de 32 ans (dont on nous dit qu'il serait suicidaire et relèverait de la psychiatrie) lance son véhicule contre la terrasse d'une pizzeria. Il tue une adolescente ;
  • le 17 août à Barcelone puis dans la nuit du 17 au 18 à Cambrils, un groupe de jeunes hommes lance des véhicules dans des foules anonymes. Dans ce dernier cas, il semble aller de soi que ces hommes méritent les qualificatifs de terroristes et de djihadistes radicalisés ; de cette seule évidence, il parait justifié à certain de les stopper quitte à les exécuter (nous ne saurons donc jamais, s'ils relevaient de la psychiatrie, par exemple) - encore que la détermination meurtrière semble s'inscrire dans une fureur que seule la mort stoppera.

Dans le cas du meurtrier de Charlottesville : nous sommes face à un homme hautement idéologisé (nazisme et suprémacie blanche) que la presse et les autorités politiques n'envisagent pas de nommer terroriste ou radicalisé. Pourtant, son acte s'enracine bien dans une radicalité politique meurtrière et a bien dû susciter effroi et terreur chez les opposants à ce fascisme. Cet homme n'aura pas été exécuté sommairement : il aura le luxe de pouvoir rendre des comptes à la justice, à la société et aux familles de ses victimes.

LE DANGEREUX EST-IL TOUJOURS FOU ?
... et vice versa

Souvenons-nous, en mars 2017, un lycéen attaqua ses camarades de classe et le personnel de l'établissement avec un armement militaire : il était en possession de grenades. Son acte était précédé de menaces préalables sur internet. Rapidement, il fut affirmé dans les médias que ce jeune homme avait des problèmes psychologiques. Sans aucun doute. Pourtant, nous avions affaire à un jeune homme hautement idéologisé, dont on apprend qu'il dessinait sur ses cahiers de classe d'innocentes croix gammées. Ce jeune, perturbé mais ami des croix hitlériennes, était de surcroît apparenté à un élu du Front National, ce qui restitue à son parcours le contexte et la toile de fond où peut prend épaisseur la folie de son acte.

​Dans l'histoire des conflits, il faut repérer une balise. Lorsque des "boys" de la guerre du vietnam​ refusent de rentrer au pays et font valoir qu'ils soutiennent le projet communiste, la médecine américaine produit l'explication scientifique de leur positionnement politique : ils ne sont pas fous, ils sont "brainwashed", leurs cerveaux ont été lavés. La catégorie de brainwashing se déclinera ensuite en "manipulation mentale" pour expliquer aujourd'hui par exemple l'orientation politique et meurtrière des soldats du Califat. Ces jours-ci, les psychiatres se refusent à se compromettre avec le ministère de l'intérieur qui les invite pourtant à psychiatriser la question du terrorisme : "les psychiatres n'ont pas vocation à collaborer avec son ministère", déclare le psychiatre David Gourion à la presse. Encore heureux. Gérard Collomb souhaiterait en effet une « mobilisation de l’ensemble des hôpitaux psychiatriques et des psychiatres libéraux de manière à essayer de parer à cette menace terroriste individuelle ». Combien de dictatures se sont-elles dotées d'une psychopathologie d'État ? Ailleurs, aux Etats-Unis, les deux psychologues qui ont participé à la conception de dispositifs de torture pour le compte des États Unis ne feront pas de prison.

Vice versa ? Il vaut toujours la peine de rappeler quelques chiffres : 90% à 97% des actes de violence en général sont commis par des personnes sans troubles mentaux. 19 homicides sur 20 sont commis par des personnes sans troubles mentaux graves. etc. Peut-on lire dans un rapport de la Haute Autorité de Santé sur la dangerosité psychiatrique (ici).

SI VIS SERVOS PARA BELLUM
si tu veux des esclaves prépare la guerre

​15 août à ​Bure : un ​jeune manifestant perd son pied parce que l'​E​tat emploie sur ses citoyens des armes de guerre pour les soumettre à sa gestion des affaires humaines. ​L​a manifestation à Bure relève de la Politique dans le sens le plus authentique du terme. ​Des hommes et des femmes protestaient contre l'enfouissement de déchets nucléaires à proximité de leur lieu de vie. ​Cet excès de vitalité politique (cf. R​ancière) n'est pas du goût du régime en place (​le ​capitalisme dit libéral et dont la violence ne fait pas de doute). L'approche gestionnaire et bureaucratique de l'idéologie dominante n'hésite pas à faire usage de violence dans son exercice. Que l'état d'urgence ait été reconduit et s'inscrive dans l'ordre normal des choses ne laisse pas de doute sur la tournure que peuvent prendre les manifestations à venir contre la détermination de Macron et des siens. J'appelle de mes vœux le centre de déradicalisation qui nous libérera du péril que représentent ceux-là : les macroniens, medefistes, etc. L'état de violence a déjà commencé : sodomie de Theo, meurtre de Rémi Fraisse, gazage de populations, etc. et criminalisation de la solidarité de Cédric Herrou).

Que voulaient les manifestants de Bure ? - vivre dignement. De ce point de vue, l'attentat de Barcelone arrive à point nommé pour légitimer la poursuite de l'état d'urgence (encore que sa poursuite ait été actée selon des méthodes qui n'ont rien à envier aux Républiques bananières, cf. les vidéos de l'Assemblée Nationale). Trouve-t-on l'affirmation trop cynique ? Il n'est qu'à se pencher sur la façon dont l'évocation des différents attentats remplit une fonction dans les argumentations et légitimations politiques de l'état d'urgence. Pour reprendre les outils du philosophe du langage Austin, quand un Macron parle des attentats, il s'agit moins d'un énoncé constatif  (descriptif, narratif...) que d'un énoncé performatif : au sens où il produit des effets, où il suscite des attitudes, oriente des politiques, etc. Pendant ce temps, le gouvernement s'équipe : les Forces de l'ordre reconstituent l'armement anti-manifestations (grenades lacrymogènes) pour les quatre prochaines années... et il va de soi qu'une grenade lacrymogène sera plus volontiers employée contre un Manifestant de Septembre 17 que contre un terroriste.

LA VIOLENCE DE L'ANIMAL HUMAIN

Cette violence m'est à la fois la plus étrangère, la plus répugnante, et à la fois la plus intime... tant je reconnais la violence des miens. L'indicateur : s'ils me font honte, c'est bien que j'ai assez d'humanité en commun avec tel nazillon, tel théo-fasciste fanatisé, tel homme d'affaire crachant sur les plus pauvres et fourrant les poches des siens de billets.

Pierre Legendre s'interrogeait sur le nouveau type de violence qu'inaugurait le nazisme. Dans la mise à mort de l'homme de l'autre filiation (celui qui n'est pas de la bonne race - c'est-à-dire qui n'est pas fils de la bonne personne -, pas du bon parti, pas de la bonne religion, pas de la bonne classe, etc.), n'y a-t-il pas comme une conception bouchère de l'humain ? (l'expression est de Legendre). Et il lançait cette question, au début de sa leçon sur le crime du caporal Lortie : ​"la vérité dans l'espèce humaine est-elle une affaire de viande ? Autrement dit, la vérité de la filiation est-elle du côté du corps ?"

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