Ad nauseam. Depuis une semaine, plus une heure ne s'écoule sans une révélation, une simple question, voire une rumeur "fondée" sur une non-information, comme en ce lundi 8 avril 2013 qui voit le quotidien Libération faire sa Une sur de prétendues investigations que les reporters de Mediapart n'ont peut-être même pas entreprises. Je regrette au passage de ne plus enseigner au CFPJ (Centre de formation et de perfectionnement des journalistes) car j'aurais fait mon miel de ce stupéfiant cas d'école. Mediapart a initié l'affaire Jérôme Cahuzac, la Justice a ordonné l'enquête et, par ses aveux, l'ancien ministre du Budget a ouvert la boîte de Pandore. S'en échappent depuis de saines interrogations, de vraies découvertes, hélas aussi des relents de course effrénée aux supputations et à la dénonciation. Comme si des médias qui ont raté le coche, désormais débridés, voulaient à n'importe quel prix coiffer au poteau Mediapart jusqu'à se faire parfois auxiliaires du fisc. Danger : révéler, c'est d'abord enquêter, un verbe qui recèle les notions de temps, recoupements, mesure ; tout le contraire de l'emballement. Fabrice Arfi l'a indiqué, il lui a fallu trois mois pour être sûr et publier. Trois mois. Las ! au train où vont les choses, où en serons-nous en juillet ? A jeter les bases de la VIe République sur un cimetière d'hommes politiques soupçonnés ou convaincus de turpitudes ? Gardons-nous d'aller trop vite. D'autant que, si honteuse et détestable soit l'affaire Cahuzac, elle n'est qu'un scandale parmi d'autres (dans le désordre : Urba, Elf, Carrefour du développement, HLM et emplois fictifs de Paris, faux électeurs, Clearstream, etc.) ; c'est cela qui devrait donner le tournis, donner à réfléchir. Depuis les années 1980, on s'accomode de petits arrangements entre amis : révélation, indignation, condamnation par les tribunaux, puis amnésie collective sur le mode du "clou qui chasse l'autre". Pourquoi les affaires se succèdent-elles sans que le législateur ose, une fois pour toutes, se saisir des moyens dont il dispose pour traquer les fraudeurs et écarter définitivement de la scène politique les délinquants qui la souillent ?
Souvenons-nous, par exemple, de "L'Appel de Genève", initié par le journaliste écrivain Denis Robert. C'était en 1996, j'étais l'envoyée spéciale de Canal Plus dans cet amphi aux rangs clairsemés, face à sept juges anti-corruption : le Suisse Bernard Bertossa (père d'Yves, actuel substitut du procureur général de Genève), le Français Renaud van Ruymbeke, les Espagnols Baltasar Garzon et Carlos Jiménez Villajero, le Belge Benoît Dejemeppe, les Italiens Edmondo Bruti Liberati et Gherardo Colombo. A l'époque, instruits des malversations financières rendues possibles par la prolifération des paradis fiscaux, ils tiraient déjà la sonnette d'alarme. Ils demandaient une coopération internationale en matière de lutte contre la corruption. Leur appel fut accueilli par des commentaires caustiques, on railla les chevaliers blancs de la justice, par quelques applaudissements aussi, venus de parlementaires qui, yeux dans les yeux, jurèrent l'avoir entendu et en tirer les enseignements.
Dix-sept ans après, les paradis fiscaux, loin d'avoir disparu, hébergent toujours les fraudeurs avec la même facilité, ou presque. Certes, les CRI (commissions rogatoires internationales) sont mieux accueillies, parfois même suivies d'effets, mais cela tient plus aux rapports entre magistrats qu'à une volonté des chefs d'Etats. Rendons grâce à Nicolas Sarkozy d'avoir voulu "éliminer les zones d'ombre de la finance internationale" mais n'oublions pas que son discours d'octobre 2008 resta lettre morte. Et l'on s'étonne qu'un Jérôme Cahuzac ait profité d'un système si bien protégé ? Aujourd'hui pris dans la tourmente, François Hollande et son gouvernement veulent "moraliser la vie politique" - formule qui, pour les raisons exposées supra, commence à me taper sur le système. Soit. N'étant pas experte, j'ignore comment ils s'y prendront. Mais j'ai l'impression que ce billet pourra être actualisé et republié dans dix ans. J'espère me tromper.