Depuis quelques mois déjà, je n'en pouvais plus. Je rongeais mon frein après chaque prise de parole de Frigide Barjot et/ou Christine Boutin. Seul l'esprit de tolérance m'empêchait de fustiger leurs outrances. Je m'y tenais d'autant plus facilement que nul ne m'a demandé mon avis ; je ne suis qu'une citoyenne lambda. Que je sois favorable au mariage entre deux personnes qui s'aiment, quel que soit leur sexe, n'intéresse personne. Puis sont apparus les manifs de masse, les slogans injurieux, la violence d'une "Internationale catholique", les campagnes homophobes, les appels à faire couler le sang et, à partir de là, j'ai commencé à m’inquiéter pour mon fils que j’élève dans le respect des idées que chacun se fait de sa vie. Je lui apprends qu’il est essentiel d’être heureux, mais sans déranger les autres : il ne faut surtout pas nuire à autrui. Le « spectacle » de la rue, de ces familles déchaînées contre « deux papas » ou « deux mamans » m’a tant choquée que j’aie dû me contraindre à des cours supplémentaires d’éducation civique, à de constantes piqûres de rappel : non, mon fils, les images que tu vois au journal télévisé le dimanche soir ne sont pas le reflet de la France que j’aime, de l’existence que je te souhaite, de l’avenir que je t’aide à construire. Cette France là existe, ne la nions pas, mais ses valeurs ne sont pas les nôtres. Je lui ai même raconté que, durant toutes mes années de chronique judiciaire, j’avais croisé plein de parents, un papa homme et une maman femme, qui battaient leurs enfants, les violaient souvent, les tuaient parfois. Je lui ai dit aussi que j’avais la chance d’avoir des amis homosexuels, ensemble depuis 25 ans, qui avaient adopté des orphelins auxquels ils dispensaient un amour fou et que du coup, cela faisait trois heureux. Il a tout compris, lui qui partage sa classe avec des copains nés d’hétérosexuels qui se déchirent chaque jour.
Emportée par ma colère du jour, je m’égare un peu. Il me faut oublier Barjot – "l’attachée de presse de Jésus", comme elle s’est présentée humblement après avoir chanté "Fais-moi l’amour avec deux doigts" – pour revenir à Christine Boutin à qui je dois mon coup de sang. Madame Boutin a commis un tweet à 15 heures, ce 14 mai 2013. Elle répondait à un contributeur du Nouvel Obs qui commentait l’annonce, par Angelina Jolie, de son ablation des seins : "Pour ressembler aux hommes ? Rire ! Si ce n'était triste à pleurer !" écrit madame Boutin...
Quand j’ai lu ces quelques mots misérables, j’ai ressenti une forme de pitié pour la dame Boutin, "Républicaine sociale", "chrétienne-démocrate". Railler une femme, une mère, qui a recours à la mastectomie pour atténuer les risques d’être un jour rattrapée par un cancer quasi inéluctable relève, dans le meilleur des cas, d’une méchanceté profondément enracinée. C’est triste, d’avoir tant de noirceur à l’âme. Tout le contraire d’une Angelina Jolie qui pense à ses enfants plus qu’à sa féminité, qui dépense sans compter sa fortune pour aider les autres, surtout les petits qu’elle espère ainsi voir grandir, le plus longtemps possible. Puis la colère a chassé la pitié : comment oser se moquer d’un tel acte de courage physique – l’ablation est un acte lourd, jusqu’à 13 heures au bloc – et psychique ? Comment oser rire d’une femme porteur d’un gène pernicieux, lequel a tué sa mère à l’âge de 56 ans ?
Christine Boutin me fait penser à ces dames qui, autrefois, invitaient à leur table l’abbé Machin après qu’il avait dit la messe et leur avait donné l’hostie, mais qui rarement donnait l’obole aux mendiants. La charité chrétienne ne s’apprend pas, elle est innée. Que madame Boutin retourne à ses œuvres ; Angelina Jolie, elle, se chargera du reste : aider les pauvres et aimer son prochain.