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Billet de blog 7 mars 2024

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Non ! La Nouvelle-Calédonie n'est pas la France

En demandant le report des élections provinciales en Nouvelle-Calédonie, le gouvernement vise à modifier les conditions d’accès à la citoyenneté calédonienne, grand acquis de l’Accord de Nouméa, contre l’avis d’une partie de la population calédonienne. L’instauration d’un corps électoral glissant à 10 ans renoue avec la longue tradition des stratégies de minorisation du peuple kanak.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

À entendre les représentants de l’État, M. Darmanin ou M. Dupond-Moretti, ou à entendre les sénateurs, le vote à l’écrasante majorité de la chambre haute, ce mardi 27 février 2024, ouvrant la voie à l’ouverture du corps électoral provincial en Nouvelle-Calédonie, gelé sous la présidence de Jacques Chirac en 2007, répare une grande injustice. Le sénateur Médevielle, soutien de la majorité présidentielle, se félicite de la « fin d’une aberration démocratique » qui, selon lui, « n’était plus supportable ». La grande majorité des sénateurs invoque le respect de l’universalité du suffrage et reprend en cœur l’incantation des principes démocratiques que la France et la République se doivent de défendre dans les territoires français du Pacifique.

Ils soutiennent le ministre de l’intérieur et des Outre-mer dans sa décision d’accorder aux Français installés en Nouvelle-Calédonie après 1998 et à leurs enfants, le droit de vote pour les élections des assemblées de province qui détermine la composition du Congrès de la Nouvelle-Calédonie et celle du gouvernement local.

Ce faisant, ils modifient les conditions d’accès à la citoyenneté calédonienne, grand acquis de l’Accord de Nouméa, en instituant unilatéralement le principe d’un corps électoral glissant à 10 ans contre l’avis d’une partie de la population calédonienne.

Si cette réforme constitutionnelle est adoptée, tout français installé depuis 10 ans en Nouvelle-Calédonie, deviendra électeur aux élections provinciales, éligible au Congrès et, de facto, citoyen calédonien.

Si les Indépendantistes sont tous d’accord pour reconnaître un « droit du sol » aux enfants nés en Nouvelle-Calédonie, ils s’opposent avec force à l’idée d’un corps électoral glissant pour désigner leurs représentants aux assemblées de province qui déterminent les orientations politiques locales. Et surtout, ils connaissent, comme tout Calédonien, l’histoire de leur pays.

La Nouvelle-Calédonie, faut-il le rappeler, n’est pas la France.

Elle fut une colonie française soumise, là plus qu’ailleurs, à une logique de peuplement français, dès son origine, et ce tout au long du 20e siècle, soutenue encore ouvertement par Pierre Messmer en 1972 qui prescrivait une « immigration massive de citoyens français métropolitains ou originaires des départements d’Outre-mer » pour minorer le peuple Kanak, peuple autochtone, dont les « revendications nationalistes » menaçaient « la présence française en Calédonie  ».

La Nouvelle-Calédonie n’est pas la France mais un pays inscrit sur la liste des territoires à décoloniser par l’ONU dès 1946, puis retirée sur demande de la France en 1947 au motif qu’elle était devenue, depuis la Constitution d’octobre 1946, un territoire d’Outre-mer, sur fond d’élargissement progressif du suffrage universel aux indigènes, sujets français.

Pourtant, malgré une citoyenneté française accordée par la nouvelle constitution, le suffrage universel ne sera réellement instauré en Nouvelle-Calédonie qu’en 1957 et la collectivité fut réinscrite sur la liste des territoires non autonomes en 1986 grâce aux pressions exercées par les Indépendantistes.

La Nouvelle-Calédonie n’est pas la France car son passé d’ancienne colonie oblige la République au respect des règles du droit public international, conformément à nos principes constitutionnels et aux dispositions de la Charte des Nations-Unies.

Le « respect du principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes » oblige la République.

Car n’en déplaise au gouvernement, il existe en Nouvelle-Calédonie un peuple, le peuple Kanak, peuple autochtone et peuple colonisé, reconnu par le droit international et notre droit interne.

La tentation de l’État de noyer sous la notion indiscriminée de «populations concernées», une citoyenneté calédonienne ouverte annuellement aux nouveaux résidents cumulant 10 années de présence est contraire aux recommandations régulièrement rappelées par les organes des Nations Unies soucieux d’éviter toute modification de la composition démographiques des territoires administrés.

Elle est aussi contraire aux termes de l’Accord de Nouméa qui prévoit qu’à l’issue de l’ultime consultation,« si la réponse est encore négative, les partenaires politiques se réuniront pour examiner la situation ainsi créée» et qui ajoute que « tant que les consultations n’auront pas abouti à la nouvelle organisation politique proposée, l’organisation politique mise en place par l’accord de 1998 restera en vigueur, à son dernier stade d’évolution, sans possibilité́ de retour en arrière, cette irréversibilité́ étant constitutionnellement garantie ».

Dans une série de décisions de juin 2023, la Cour de cassation a rappelé que ces dispositions nous obligent et s’appliquent à la composition actuelle du corps électoral.

Pourtant, l’État décide de passer outre et qu’importe la garantie constitutionnelle.

Comme un seul homme, exécutif et législatif, après avis conforme du Conseil d’État, estiment qu’au nom des principes démocratiques, il est urgent de modifier le corps électoral en Nouvelle-Calédonie, au risque d’anéantir un des fondements de l’actuelle organisation politique issue de l’accord de Nouméa.

L’État, partenaire des accords fondateurs, s’apprête à modifier unilatéralement l’équilibre patiemment consolidé depuis 1988.

Le risque est grand que les discussions, sous la pression du gouvernement et la menace d’un passage en force, ne parviennent pas à un accord global et consensuel.

Le risque existe qu’on assiste, au contraire, à une rupture grave du dialogue et de l’équilibre sur lequel s’est construit le destin commun en Nouvelle-Calédonie.

Un véritable gâchis !

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