Dans son édito intitulé « A Gaza, l'horreur à huis clos », Alexandra Schwartzbrod écrit :
« Israël empêche tout accès aux médias, menant ainsi une guerre loin des regards » ... « cette tragédie a lieu à huis clos »
Certes Israël empêche l'entrée de journalistes étrangers à Gaza, tentant ainsi de brosser seul le tableau médiatique et c'est scandaleux. Mais il y a des journalistes à Gaza. Ils sont palestiniens. Certains décrivent même la situation sur place en anglais comme par exemple sur AlJazeera (English edition). Au nom de quoi négligerait-on l'apport de ses confères gazaouis à l'information sur le territoire palestinien ? Les media français auraient-il une production si admirablement irréprochable sur le sujet qu'elle disqualifierait d'office les journalistes locaux ? Ou bien est-ce simplement parce-qu'ils ne sont pas occidentaux ou israéliens ? L'offense est d'autant plus grave que beaucoup d'entre eux ont payé de leur vie leur engagement à continuer à informer. Malgré un taux de mortalité très important, ceux qui restent persévèrent et nous permettent de savoir un peu ce qui se passe là-bas. Dans certains cas ces reporters sont pris pour cible par l'armée israélienne et, pour tous, le simple fait de se déplacer et de faire leur travail les expose à un danger quotidien. Balayer d'une ellipse involontaire ou méprisante leur contribution en est d'autant plus problématique.
L'éditorial est bien intentionné et juste sur beaucoup de constats.
« Les bombardements quotidiens de l’armée israélienne, qui ont déjà fait plus de 27 000 morts, réduisent jour après jour l’enclave à l’état de ruines » ... « [La population est] privée de tout, d’électricité, de chauffage, de médicaments, de nourriture, d’eau potable, d’Internet »
Tsahal essaie en effet de contrôler complètement le récit qui est fait de l'horreur à Gaza. Seuls les journalistes étrangers "embedded" (insérés dans des unités de l'armée qui montre ce qu'elle veut) sont tolérés. Le Monde a même par deux fois au moins participé à cette macabre pantalonnade. Mme Schwartzbrod a raison de dénoncer cette tentative de contrôle total par l'occupant, mais ça ne devrait pas être fait au mépris des courageux journalistes locaux.
On ne peut écarter d'un revers de main, les contributions des media non occidentaux. La chaîne en anglais AlJazeera, fait un travail tout à fait raisonnable. Les interventions et discours retransmis des chefs du Hezbollah et du Hamas sont certes difficiles à regarder mais le reste est plutôt équilibré et on y entend des intervenants de toute obédience. En fait, elle fait un bien meilleur travail que ces consœurs occidentales non seulement de récolte et diffusion d'information et de témoignages mais aussi à présenter toutes les facettes et donner la parole à toutes les parties. On ne peut lui reprocher d'apporter des informations là où les media occidentaux en sont avares. Et malheureusement c'est aussi une partie du problème. Les media occidentaux, après avoir occulté les exactions israéliennes lors des premiers jours après le 7 octobre pour ne parler que des horreurs déclenchées par le Hamas et de la souffrance ses victimes (qui, évidemment, méritaient le temps d’antenne), ont entouré d'innombrables conditionnels les évènements qui se passaient à Gaza, préférant toujours les sources militaires israéliennes, et puis s'en sont vite lassées. Le sujet ne fait plus que deux phrases générales de-ci de-là. La guerre en Ukraine a à nouveau préséance dans la hiérarchie des conflits. Pourquoi ? Le sang des palestiniens est t-il moins rouge, leurs souffrances moins grandes et leur morts moins pleurés ?
L'édito pèche aussi par imprécision en affirmant que la persistance des bombardements est la conséquence logique directe de la volonté d'atteindre le but de guerre (révisé) de détruire le commandement du Hamas. Ici l'autrice semble prendre pour argent comptant les déclarations à géométrie variable des officiels israéliens. Le biais symétrique de la méfiance par rapport aux sources palestiniennes est le crédit donné aux dires des dirigeants de l'état occupant. ce alors qu'il semble qu'un des but de guerre soit la vengeance sur le peuple palestinien et la riposte disproportionnée pour dissuader. Mme Schwartzbrod fait pourtant mieux que beaucoup de ses confères qui ne semblent pas comprendre que la situation informationnelle dissymétrique engendre des biais rédhibitoires dans leurs production. Il faut reconnaître à l'éditorialiste d'exposer au moins un des facteurs induisant l'orientation pro-israélienne de beaucoup d'acteurs médiatiques : l'interdiction par Israël des journalistes étrangers à Gaza. (l'auteur semble aussi blâmer l'Égypte d'empêcher le passage des journalistes internationaux à Rafah mais ce dernier point n'est pas clair et nous donnera l'occasion de revenir sur le flou de la gestion du poste frontière de Rafah et l'accord de Philadelphie dans un prochain billet.)
 
                 
             
            