Die Staatsräson(fr) (et wiki en), la raison d'État à l'allemande, ne signifie plus guère de nos jours qu'un soutien inconditionnel à Israël. Censée être la quintessence des leçons tirée des génocides nazis et de la repentance allemande, ce terme sert presque uniquement à marquer comme constitutif de l'État allemand son obligation de soutien à Israël et en l'occurrence à imposer à tous le principe que l'Allemagne doit toujours apporter son appui au gouvernement Israélien.
Un article de la Deutsche Welle (DW en), traite de façon tellement orientée de la Staatsräson, qu'un autre article (en) a dû venir le corriger. Dans le premier, DW cite une « experte » prétendant que définir le soutien inconditionnel au gouvernement israëlien en place comme une raison d'État est un acte "bien joué" ("smart move"). Il contient aussi cette affirmation abracadabrante de DW (sous la plume de William Noah Glucroft):
« La liberté d'expression est inscrite en lettre d'or dans la Loi fondamentale allemande, qui fait office de constitution. Les manifestations pro-palestiniennes ont été interdites et d'autres formes d'expression entravées, conformément au Code pénal allemand, qui interdit les déclarations « approuvant des actes criminels » ou incitant à des troubles. Il s'agit d'un équilibre délicat entre des intérêts concurrents, même si la manière dont un État gère ses obligations envers ceux qui vivent sur son territoire relève de son ressort national. »1
La France n'a bien sûr pas de leçon a donner en matière de violence coloniale et de crimes contre l'humanité mais c'est bien cette particularité allemande qui est le sujet de ce billet. Cette Staatsräson a récemment servi à interdire à des juifs de parler (en), à décider de l'expulsion d'étrangers (dont des citoyens européens) (en et en) d'Allemagne, à interdire les termes de génocide et d'apartheid (en) dans des manifestations contre les massacres à Gaza, à retirer des subventions déjà accordées, à retirer des prix à des artistes (en), à désinviter des intellectuels (tout cela figure dans un article très bien documenté et sourcé, (en français) sur le site de l'ujfp)... Cependant c'est dans son application en politique étrangère et à des fins politiques intérieure qu'il est le plus dévastateur.
L'Allemagne justifie par ce "principe", ses envois d'armes à Israël en pleine entreprise génocidaire, sa défense devant la cour de justice, d'Israël contre l'accusation de génocide, sa couverture diplomatique totale et hermétique de l'occupant en Palestine, son soutien économique et la non révocation de l'accord d'association Israël-UE, et jusqu'à son refus d'immigrants supposés être hostiles au bourreau de Gaza.
Cette position qui tient lieu de reconnaissance par l'Allemagne de sa responsabilité dans les génocides nazis et de réparation envers les juifs est pourtant paradoxale à plus d'un titre. D'abord, les roms eux aussi victimes de génocide par les nazis n'ont pas de statut équivalent. Ensuite même lorsque l'Allemagne reconnaît sa responsabilité dans un génocide, elle est loin d'accorder la même réparation aux victimes et encore moins aux états où certains de leurs descendants vivent. La république fédérale a en effet accepté sa culpabilité dans le génocide des Héréros et des Namas (fr), mais les réparations sont une autre histoire et elle ne se considère en rien redevable de la Namibie et absolument pas forcée de la soutenir diplomatiquement.
Les Maji-Maji ont eux aussi été tués en grand nombre par les allemands mais jamais ceux-ci n'ont reconnu leur responsabilité dans ce qui a tout d'un génocide sauf la reconnaissance officielle. L'Allemagne a aussi été impliquée dans le génocide des arméniens (pas comme principal coupable), mais pas non plus de Staatsräson dans ce cas. Par ailleurs, il est pour le moins problématique que La leçon de génocides soit le soutien à tout gouvernement d'un état dont une partie, même grande, de la population s'identifie religieusement ou ethniquement aux victimes les plus nombreuses d'iceux. Ainsi la résolution allemande n'est pas "plus jamais ça pour qui que ce soit" mais, "tout pour Israël quoi qu'il fasse". Bien sûr, beaucoup de juifs ne sont pas israéliens, certains sont antisionistes au sens où il ne reconnaissent pas la légitimité d'Israël comme état, ou comme État juif, beaucoup sont opposés aux intentions et aux actes à caractère génocidaires de l'armée et de l'état israélien. Sont-ils moins porteurs de la mémoire des 50% de juifs européens (6 millions) exterminés par les nazis pour autant ? Israël n'est pas un pays éthno-religieusement homogène sauf à nier la nationalité des druzes, chrétiens, bédouins et arabes israéliens. Pourquoi donc cette confusion en entre le devoir de mémoire et le soutien unique et inconditionnel à tout gouvernement israélien ? Qu'est-ce que cette Staatsräson qui permet de décider ce qu'une juive a droit de dire (en et en) et d'interdire des intervention de juifs ou non car il pourraient tenir des propos qui pourraient être interprétés comme contraires à cette raison d'état qui n'est même pas définie ? Quelle est cette raison supérieure implicite et pourtant incontestable permettrait d'arrêter une rapporteure de l'ONU munie d'un passeport diplomatique (en)? Elle n'est ni définie, ni traduite en loi.
Mais le pire c'est cette erreur fondamentale qui voudrait qu'être complice d'un état qui se prétend représentant (des descendant de) victimes ait une importance juridique et morale supérieure à celle pourtant clairement fondée en droit et éthiquement très largement partagée, d'éviter la perpétration ou la continuation d'un autre génocide contre un peuple identifié comme ethniquement différent. Ce n'est pas moi, ici, qui (ré)introduit un argument raciste mais bien la staatsräson elle même en ce qu'elle considère le droit d'un peuple à être protégé d'un génocide comme inférieur à la loyauté à un état (et à un gouvernement) fût-il coupable de ce même génocide. L'Allemagne, dans une perversion totale de sa responsabilité historique, se rend complice d'un nouveau génocide et se justifie par ce principe abscons qui lui imposerait un soutien inconditionnel à tout acte d'un gouvernement d'un état étranger. Même quand les actes en question ont un caractère génocidaire.
En un mot, la Staatsräson a engendré et servi à justifier la soutien allemand au génocide des palestiniens de Gaza. Alors que la conscience des précédents génocides impliquant l'Allemagne et, en particulier, la mémoire de celui commis contre les juifs (6 millions exterminés), aurait dû pousser l'Allemagne à tout faire pour stopper celui en cours en Palestine, c'est pour des raisons racistes, encore, que ce pays européen s'est rendu complice d'une nouvelle entreprise génocidaire.
L'union européenne, déjà soutien d'Israël jusqu'à violer le droit et le propre texte des accords signés, est encore détournée des maigres efforts de pays plus raisonnables comme l'Irlande et l'Espagne par une Allemagne et une une présidente de la commission complètement fourvoyées et inféodées à la politique de l'état israélien.
1. : "Freedom of speech is enshrined in Germany's Basic Law, which acts as the country's constitution. Pro-Palestinian protests have been banned and other forms of expression curtailed in accordance with Germany's criminal code that outlaws statements "approving criminal acts" or fomenting unrest. It is a delicate balance of competing interests, though how a state manages its obligations to those living within its borders is a domestic affair." cinquième paragraphe avant la fin.