Le 12 décembre 2017, lors du « One Planet Summit », il s’agissait notamment de mettre en place le plan de financement concret de la lutte contre le réchauffement climatique global. Le résultat est bien en deçà des espoirs et peu de résolutions concrètes, réellement innovantes et marquant une rupture avec la politique du « business as usual », ont été prises.
Il est un choix peu coûteux, ambitieux et innovant que la France et ses partenaires seraient bien avisés de soutenir : un plan de gestion du patrimoine naturel, basé sur l’expérimentation. En ces temps incertains, il faut clairement éviter de mettre tous ses œufs dans le même panier et mettre à profit l’esprit d’expérimentation de long terme, multiforme, qui existe chez les scientifiques, les gestionnaires et les propriétaires de milieux naturels, notamment forestiers. La mise en place d'options durables d'atténuation et d'adaptation aux effets du changement climatique ne se feront pas sans cette ambition.
La forêt est particulièrement concernée. La forêt est un élément essentiel de la politique réduction des effets du changement climatique d’origine humaine. Elle est à la fois un levier de l‘atténuation et elle doit s’adapter aux changements climatiques pour ne pas dépérir. Le risque d’augmentation de fréquence et intensité des incendies est, par exemple, un enjeu important.
Les forêts méditerranéennes, françaises et européennes, ont été très durement touchées par les incendies cet été. A la fin août, on recensait quelques 15 000 hectares ravagés par les flammes en région méditerranéenne française, dont 3 grands feux de plus de 1000 ha. Ailleurs en Europe et dans le monde, au Portugal et en Californie en particulier, de nombreuses pertes de vies humaines étaient à déplorer en lien avec des incendies d'une ampleur gigantesque.
Après la destruction par le feu, vient le temps de panser les plaies, de prévenir l'érosion et de reconstituer le milieu naturel. Si la prévention de l'érosion fait consensus chez les spécialistes, beaucoup de voix sensées s'élèvent pour dire qu'il faut raison garder, pour indiquer que les processus écologiques incluent le feu depuis des millions d'années dans les forêts méditerranéennes et qu'il est donc inutile de vouloir replanter ou reboiser à grands frais, que la régénération naturelle suffit. La Nature y pourvoira ! Certes... Mais...
Nous sommes entrés de plain-pied dans le siècle du changement climatique d'origine humaine, au cours duquel les perturbations et les phénomènes extrêmes (dont les feux, mais aussi les sécheresses, les tempêtes, les catastrophes sanitaires…) seront plus fréquents et plus intenses : les écosystèmes pourraient être tout bonnement incapables de supporter un tel rythme et de s'en remettre, d’un bouleversement à l’autre. En conséquence, les habitats et écosystèmes des années 2100 seront probablement très différents à bien des égards de ceux de l'époque actuelle. Quels seront-ils ? Très difficile à dire tant l'incertitude est grande quant aux trajectoires climatiques régionales à cet horizon-là. Une chose est sûre : le climat méditerranéen occupera une place bien plus étendue qu'actuellement en France et ce qui se passe actuellement dans les forêts méditerranéennes préfigure ce qui se passera dans des régions où l'incendie n'est actuellement qu'un mauvais rêve. Des études récentes dans l'Ouest américain montrent que l'augmentation de la sécheresse atmosphérique due au changement climatique d'origine humaine est une cause très probable de l'augmentation des incendies ces dernières années.
C'est dans le cadre du changement climatique d'origine humaine qu'un soutien institutionnel massif à l'expérimentation est nécessaire dans les écosystèmes naturels, notamment forestiers du fait de la multitude de services qu’ils rendent aux sociétés humaines. Les laboratoires des grands organismes de recherche font déjà de l’expérimentation, bien entendu. Il faut les soutenir pour que leurs travaux puissent s'effectuer sur de longues échelles de temps, plus long que celles classiques des projets de recherche (3 ou 5 ans), plus long que l'échelle du temps politique. Mais la science peut avoir un rôle bien au-delà de ses approches classiques en aidant, encadrant et valorisant les expérimentations non savantes de long terme et les données qui en sont issues. Les données de long terme manquent pour valider les modèles climatiques, notamment aux échelles régionales et locales qui intéressent souvent propriétaires et gestionnaires !
Si les données non encore exploitées de la littérature scientifique doivent être "moissonnées" et mieux valorisées, ce à quoi le domaine des sciences de l’environnement s'emploie enfin depuis quelques années, dans le cadre de la mise en place de politiques de données ouvertes et accessibles à tous, la portée générale et l'applicabilité de ces données resteront souvent limitées. Il est toutefois d'autres domaines qui peuvent fournir des données expérimentales, exploitables et généralisables : ceux de la gestion des milieux naturels, tout particulièrement en forêt.
Les forêts privées et publiques représentent environ et respectivement 70 % et 30 % de la surface des forêts françaises métropolitaines. Elles sont gérées et aidées dans leur gestion par des instituts techniques et des organismes publics. Propriétaires privés et gestionnaires privés et publics sont bien souvent des expérimentateurs par choix et par goût et les actions de gestion constituent en elles-mêmes autant d'expériences qui demandent à être analysées. Il en est de même des habitats gérés au titre de la compensation écologique lors de grands travaux d'infrastructures ou d'opérations de restauration écologique. Il s'agit de grandes masses de données « dormantes », qui concernent des expérimentations parfois involontaires, et qui n'ont jamais été collectées et organisées. Pour que ces opérations passent de l'état de compte rendu et de savoir local à de la connaissance générale et utilisable, de nombreuses étapes doivent être franchies : recensement (y compris les expérimentations ratées), compilation, homogénéisation, traçabilité, mise à disposition des données, notamment. Ces étapes constituent souvent des actions mal soutenues par les institutions et peu valorisées. La communauté des scientifiques et des institutions de gestion en est consciente, de timides mouvements s'amorcent, qui doivent être largement soutenus par les pouvoirs publics. Ces expérimentations pourront venir compléter les actions dites de « sciences citoyennes », la plupart du temps orientées vers l’observation (et non l’expérimentation).
Sans une production massive de nouvelles connaissances opérationnelles, les efforts des nations pour réduire les effets du changement climatique sur les milieux naturels et les services qu’ils produisent, seront vains. Généraliser une gestion expérimentale des milieux naturels est une occasion historique et simple de mettre à disposition les connaissances nécessaires pour lutter efficacement contre les effets du changement climatique. N’y passons pas à côté !
Auteurs :
Bruno Fady, Directeur de recherches, INRA, Unité de recherches Ecologie des Forêts Méditerranéennes, Avignon, France.
Ivan Scotti, Directeur de recherches, INRA, Unité de recherches Ecologie des Forêts Méditerranéennes, Avignon, France.