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Billet de blog 11 octobre 2009

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Moscou, Riga, Belgrade : face à face avec la haine homophobe.

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Ecolosphere, par Pierre Serne.

Alors que s’achève la « saison » des gay prides, Pierre Serne, militant écologiste et pour les droits LGBT, revient, au travers de ses propres expériences, sur la difficulté de vivre son identité et son orientation sexuelle face à la haine homophobe encore bien vivace un peu partout en Europe. Attaquer ces marches est en effet devenu un nouvel objet privilégié de mobilisation de l’extrême-droite. C’est pourquoi il est nécessaire d’essayer de comprendre qui est « en face » et ce qui se joue.


Par Pierre Serne, membre du bureau de l’ILGA-Europe.

Avec la fin de l’été c’est aussi la « saison » des gay prides et autres Marches des Fiertés qui s’est achevée le 20 septembre dernier avec la manifestation avortée de Belgrade (de peur d’incidents trop graves et face aux menaces explicites de violence de la part de l’extrême droite serbe). Cette année fut aussi marquée par de nombreux drames de l’homophobie et des déchaînements de haine qui accompagnent ces tentatives de marcher sans honte.

De fait, de Moscou à Riga, de Budapest à Zagreb ou Belgrade, cette année n’a hélas pas dérogé à la règle : dans toutes ces capitales, les marches ont été l’objet de menaces et d’attaques plus ou moins violentes qui ont obligé la police à se déployer en force pour permettre le bon déroulement de ces manifestations ou au contraire ont conduit à l’annulation (comme ce 20 septembre à Belgrade) ou encore à l’arrestation des organisateurs comme, une nouvelle fois, à Moscou en mai dernier. Et à Riga et Budapest, les manifestations n’ont pu se tenir uniquement parce que les forces de l’ordre s’étaient interposées et protégeaient les marcheurs. De ce point de vue, l’appartenance à l’Union européenne (ou l’espoir de cette appartenance à court terme dans d’autres cas) semble obliger les gouvernements à protéger des marches que, par ailleurs, ils tentent parfois en amont de dissuader ou d’interdire.

Pourquoi, demandent certains, ces poignées de militants baltes, russes ou autres veulent-ils donc manifester leur homosexualité dans la rue ? Ces questions, on les entend chaque année. N’est-ce pas une provocation qui mène inéluctablement aux violences, que finalement « ils ont un peu cherchées» ? N’est-ce pas un mode d’action contre-productif, comme s’interroge légitimement une partie des personnes LGBT en Russie ? Ces questions se posent aussi au sein des groupes militants, qui hésitent sur les stratégies à mettre en œuvre pour revendiquer leur droit à l’égalité et à vivre leur identité sans se cacher. Et le fait que ces marches soient devenues un des points de ralliement les plus mobilisateurs et fédérateurs pour l’extrême-droite européenne, contribue largement à faire douter les militants LGBT.

Mais, nous, militants occidentaux, n’avons pas à leur donner de leçons et à leur dire ce qu’il vaut mieux ou non faire. À partir du moment où une marche est annoncée et va se tenir, notre devoir de solidarité nous oblige à y aller, parce que la simple annonce de la présence de militants européens sur place oblige le plus souvent les gouvernements à prévoir un minimum de sécurité. Les ambassadeurs néerlandais, anglais, belges, danois et, il faut le dire, de plus en plus souvent français, interviennent auprès des autorités locales pour que soit garantie un minimum de protection. Parfois ils rejoignent les cortèges, comme à Riga cette année.

Le droit de manifester, la liberté de réunion, faut-il le rappeler, sont garantis par tous les traités qui régissent non seulement l’Union européenne mais aussi le Conseil de l’Europe auquel tous les 46 pays européens – y compris la Russie – appartiennent. À tel point que la Cour Européenne des Droits de l’Homme a condamné[1] la Pologne, après que Lech Kaczynski, le maire de Varsovie a interdit une marche en 2005, avant qu’il ne devienne président de son pays… On en viendrait presqu’à en douter parfois : quand nous tentons de défiler dans toutes ces villes, nous avons le droit pour nous. D’ailleurs qui se poserait la question de la légitimité à marcher s’il s’agissait d’un 1er mai syndical ou d’une manif antinucléaire ? Les prides sont des manifestations avant tout politique, a fortiori dans des pays où la discrimination et la stigmatisation des personnes LGBT restent la règle. Quand nous tentons de marcher à Moscou ou à Varsovie, nous sommes aussi en train de défendre une certaine idée des libertés publiques et des mouvements sociaux, pas seulement d’essayer de permettre à une partie de la population de sortir de la stigmatisation, de la honte, du placard… Quitte à le payer cher, y compris physiquement.

SUBIR LA HAINE

Faire l’expérience directe et personnelle de la haine brute et physique est une expérience heureusement rare, dans une vie, même quand on est homosexuel, du moins dans un pays occidental comme la France. J’en ai le triste « privilège » pour y avoir été directement confronté à plusieurs reprises lors de gay prides dans divers pays de l’Est de l’Europe, où je représentais les Verts et/ou des organisations LGBT telles que l’ILGA-Europe.

À Cracovie en 2005, ce fut une première pour moi. Organiser cette marche était déjà difficile en tant que tel. Mais le faire deux semaines après la mort de Jean-Paul II, dans sa ville natale, prenait une allure de provocation qui n’échappait pas même aux organisateurs de la gay pride. Malgré le caractère statique et réduit de notre regroupement, nous avions alors enduré les assauts verbaux (puis avec œufs, pierres et cannettes) de skinheads déchaînés. Plus que la peur, ce jour-là c’est un sentiment de colère et de honte mêlées qui m’a envahi. Colère de devoir fuir, de ne devoir mon salut qu’à la présence policière, et ce à quelques centaines de kilomètres de Paris, dans l’Union européenne. Honte aussi, sans que je ne sache très bien pourquoi. En tout cas, le sentiment qu’on en est encore à ce niveau là, en Europe, en 2005. C’était d’autant plus dur qu’il s’agissait de ma première venue en Pologne, berceau (et tombeau) tragique de ma famille. Enchaîner cette après-midi de haine avec ma première visite à Auschwitz restera comme un de mes plus grands chocs émotionnels et intellectuels, et est inscrit pour moi comme un symbole de la permanence de la haine.

Mais c’est l’année d’après à Moscou, lors de la première tentative de gay pride, que j’ai subi ma pire expérience : j’ai été violemment agressé physiquement, par un groupe de jeunes « hooligans », comme on les appelle là-bas, en marge du rassemblement que nous avions tenté de tenir devant l’hôtel de ville. Quand la police a fini par intervenir, j’étais déjà bien mal en point. Cela m’a valu la frayeur de ma vie, une ITT de 15 jours, les honneurs d’un rapport de Human Right Watch, des centaines de messages de soutien, des dizaines d’apparitions médiatiques et une plainte co-signée avec la consule générale de France dans un commissariat moscovite sordide où je finissais par me demander si ce n’était pas moi qui étais mis en cause… Plainte dont, faut-il le préciser, je n’ai plus jamais eu de nouvelles ni par les autorités russes ni françaises.

Cet épisode m’a évidemment profondément traumatisé. Je ne savais plus pendant un temps si tout ce militantisme valait la peine de se mettre à ce point en danger. Et alors, on pense aussi aux copains qui eux militent sur place, qui sont confrontés à ce danger quotidiennement. À ces ami-e-s russes, serbes, bosniaques, biélorusses, qu’on croise dans des conférences ou à Bruxelles, et dont on apprend un beau jour qu’ils ont été tabassés en pleine rue ou qu’elles ont dû déménager en catastrophe devant la précision des menaces de mort reçues. Et on se dit qu’on ne peut pas les laisser à leur sort. Alors on prend sur soi et on y retourne.

Victimes de violences homophobes après la gay pride de Budapest de 2007

Photo : Zsolt Szigetvary. Illustration en couverture de : Handbook on monitoring and reporting homophobic and transphobic incidents [PDF], Dr Christine Loudes et Evelyne Paradis, ILGA-Europe, Bruxelles, 2008.

Et on se retrouve l’année d’après, en 2007, à Budapest, dans une marche supposée ne poser aucun problème, sous un soleil magnifique. Une heure plus tard, nous étions entourés par des centaines de néonazis venus de toute l’Europe et voulant en découdre. Et on revit les mêmes scènes : serrer les rangs, éviter les œufs (ou pire), coller à la police (complètement dépassée et commençant elle-même à paniquer) et finir par être exfiltrés quand les cocktails Molotov commencèrent à tomber. Nous nous étions alors retrouvés parqués des heures durant dans le lieu prévu pour la fête de la marche, devenu une forteresse assiégée, sous protection policière, le temps que les forces de l’ordre trouvent un moyen de nous en faire sortir discrètement et protégés. C’était à Budapest — à deux heures de Paris —, longtemps la capitale la plus ouverte et « gay » de l’Europe de l’Est.

2009, ANNÉE TERRIBLE

Et cette année encore, on a pu assisté, lors de la Baltic Pride de Riga, à la répétition des mêmes scènes, comme une sorte de bégaiement du temps. L’impression qu’on a déjà vu ces têtes haineuses, ces banderoles mi obscènes mi religieuses, traduites en anglais histoire qu’on comprenne bien ces mots qui veulent blesser et qui passeront sur les chaînes de télé internationales. Et on soutient les copains locaux, honteux et courageux, qui nous expliquent qu’ils ont connu pire, que ça finira par changer. Et encore une fois on s’interroge, à quoi ça sert ? Pourquoi ce déferlement de haine ? Est-ce qu’on a vraiment envie de continuer à venir se mettre en danger, à venir chercher l’humiliation qui à chaque fois, laisse des traces ? On ne s’habitue jamais en fait. Et pourtant je sais que j’y retournerai. C’est déjà prévu d’ailleurs pour l’Europride de Varsovie l’été prochain (Lien internet) qui mobilise déjà l’extrême droite locale et européenne.

Mais cet été, mon inquiétude a encore grandi avec ce qui s’est passé à Tel Aviv, une des villes les plus libres pour les LGBT, autant que Paris ou New York. Un jeune homme et une jeune fille mineure sont mort-e-s dans les locaux d’une association LGBT, sous les balles d’un inconnu qui a tiré à bout portant.

Puis il y a eu les agressions aux coktails molotov lors des Outgames[2] en juillet dernier qui se déroulaient à Copenhague. Cette ville est le symbole de l’avancée des droits des LGBT dans le monde : c’est là que le premier mariage d’un couple homosexuel a été célébré en 1989. Les Outgames, ainsi que la conférence mondiale sur les droits LGBT qui était organisée au même moment, furent des moments enthousiasmants où j’ai pu rencontré ou recroise des militant-e-s de toute la planète, dans une ambiance détendue et sereine, dans une ville plus accueillante que jamais. Mais un après-midi, deux cocktails Molotov furent jetés dans le stade d’athlétisme, blessant des athlètes et des spectateurs… Le pays tout entier en a parlé des jours durant ; les Danois étaient aussi choqués que nous, groggy de découvrir ce genre de choses chez eux. Pour les militants présents, ce fut surtout la confirmation implacable que désormais l’extrême droite est partout prête à en découdre. Les questions LGBT sont devenues un terrain d’action pour elle, et pas seulement en Europe de l’Est. D’ailleurs, un mois plus tard, c’est à Rome que plusieurs actes homophobes violents, dont une double tentative de meurtre lors de la gay pride, ont mis en lumière à quel point l’extrême droite locale ciblait désormais les homos, au même titre que les Africains ou les Roumains…

Les homos qui dans certains pays, comme en Hollande, flirtent dangereusement avec le populisme xénophobe d’un Fortuyn et de ses émules, pensant être dans le même camp, feraient bien d’ouvrir les yeux.

QUI SONT CES AGRESSEURS ?

Pour terminer, je voudrais revenir sur cette confrontation à la haine. Je me suis à chaque fois demandé si j’avais moi-même, à force, de la haine pour nos agresseurs. De la colère, oui. De la haine, et j’en étais le premier surpris, non. Je les ai regardés : ces gens étaient un mystère. J’ai essayé de comprendre ce qui pouvait bien se passer dans leur tête, ce qui pouvait bien les pousser à venir nous cracher cette haine à la figure. Ce qui m’a systématiquement frappé, au-delà de la peur et de la violence ressentie, c’est la ressemblance d’un pays à l’autre de nos agresseurs, de ceux et celles qui manifestaient. Une foule très hétérogène d’allure, des vieilles femmes, des familles, pas mal de femmes en fait, des jeunes skins ou « hooligans », des vrais néonazis (en général minoritaires). En tout cas, de façon ultra majoritaire, des pauvres gens, des déclassés, des recalés, bref des gens pour lesquels, dans la plupart des cas, j’ai ressenti plus de pitié qu’autre chose. Avec le sentiment terrible qu’ils se trompaient de cible et que nous étions des boucs émissaires commodes et si facilement stigmatisables pour leurs souffrances… Bien sûr certains tirent les ficelles, l’Église, orthodoxe ou catholique d’ailleurs, des politiques, qui vont jusqu’à payer certain-e-s de ces contre-manifestants comme cela a été confirmé à Moscou : les babouchkas si télégéniques qui nous avaient arrosés d’eau bénite ou cassé des œufs sur la figure, avaient pour la plupart reçu 50 roubles et été amenées en car sur le lieu de l’affrontement.

Globalement la plupart de ceux qui viennent nous insulter, voire nous frapper, viennent dire leur rejet mêlé de l’autre, portant tous les péchés de « l’Occident » moderne et cosmopolite, celui-là même jugé responsable de leur situation économique et sociale dramatique. Cette Sodome qu’ils abhorrent sur leurs banderoles, ce sont des valeurs modernes qu’ils assimilent à la décadence de leurs propres valeurs. Nous, les LGBT, devenons pour eux une sorte de caricature de tout ce que Bruxelles et Washington mélangées peuvent représenter de fantasme de perte de leur identité nationale, de perte d’un passé où ils avaient vaguement de quoi vivre. C’est aussi la négation de valeurs dont on leur martèle qu’elles sont leur seul salut : la famille et la religion. J’ai vu, parfois, dans leurs yeux à quel point nous représentions quelque chose de diabolique au sens premier du terme, de quasiment inhumain. Et bien sûr, quand on nous retire notre part d’humanité, la haine devient facile.

Mais justement, je n’ai jamais pu nier leur part d’humanité, si visible finalement dans ce déferlement de haine qui ne dissimulait même pas la peur qu’elle recelait. Même ceux qui m’avaient laissé à terre en sang à Moscou me sont apparus que comme des gosses manipulés ou en tout cas paumés. Et je me suis surpris à rechigner à les reconnaître au commissariat, me sentant plus éloigné encore des flics qui m’y poussaient que d’eux…

J’espère continuer longtemps à croire qu’ils comprendront peut-être un jour qu’eux aussi sont des victimes. Que nous subissons, eux et nous, sous des formes différentes, la domination et l’oppression. Mais il est des moments où le doute grandit.

Notes

  1. Début mai 2007, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) à Strasbourg a condamné la Pologne pour avoir interdit à des militants homosexuels, sous des prétextes fallacieux, d’organiser des rassemblements à Varsovie au printemps 2005, à l’époque où le président conservateur Lech Kaczynski, frère jumeau du Premier ministre Jaroslaw Kaczynski, était encore maire de la capitale. Cet arrêt a été confirmé en appel en septembre 2007 et est donc définitif. Il est clairement expliqué dans cet arrêt qu’en refusant d’autoriser la Gay pride 2005 de Varsovie, son maire a violé plusieurs articles de la Convention européenne des Droits de l’Homme (articles 11), ce qui revenait à violer le droit des recquérants à la liberté de réunion et d’association et également revenait à une pratique discriminatoire. L’arrêt Baczkowski et autres contre Pologne est consultable en français sur le site de la CEDH. [remonter]
  2. Les Outgames mondiaux constituent un événement sportif et culturel d’envergure internationale ciblant la communauté gay et lesbienne et organisé par l’Association internationale sportive pour gais et lesbiennes (GLISA). La participation aux jeux est ouverte à tous, sans égard à l’orientation sexuelle, à l’âge, au sexe, à la religion, à la nationalité, aux aptitudes sportives et artistiques ou à l’état de santé. Les Outgames rassemblent des athlètes et artistes de toutes origines, dont plusieurs proviennent de pays où l’homosexualité est toujours considérée comme illégale. L’idée d’organiser des « jeux olympiques LGBT » répond aux fortes homophobie et lesbophobie qui imprègnent les milieux sportifs. Les Outgames s’accompagnent d’une conférence internationale de première importance sur les droits LGBT, devenue le plus grand rendez-vous de ce type sur la planète. [remonter]

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