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« M. Mélenchon : redonnez de la voix à ceux qui n’en ont pas et qui meurent à Alep »
Par Paul Didier, étudiant, adhérent d’Europe écologie les verts
Pour Jean-Luc Mélenchon, condamner les « crimes de guerre » que couvre Vladimir Poutine en Syrie, comme le fait François Hollande, relève du « bavardage ». Le leader de la France insoumise ferait mieux de défendre les victimes de Bachar Al-Assad.
Jean-Luc Mélenchon a récemment qualifié de « bavardages » les mots du président Hollande qui soulignait que le président Poutine couvrait, en Syrie, des « crimes de guerre ». Puis, il a ajouté que ces qualifications étaient « contraires aux intérêts de la France ».
Depuis ces derniers jours, des centaines de civils sont abattues par les forces pro Al Assad à l’est d’Alep. Parmi eux, des dizaines d’enfants. Certains, pris au piège, attendent la mort dans des ruines. Depuis plusieurs heures, nous pouvons lire les déchirants messages d’adieux qu’ils envoient au monde. Beaucoup fuient la ville, sans leurs proches. Les blessés sont difficilement pris en charge. La situation est catastrophique. Je ne sais si, pour M. Mélenchon, les voix de ceux qui, en France, demandent une action immédiate et une condamnation ferme de ces massacres sont ridicules parce que cela est « contraire aux intérêts de la France ».
En outre, M. Mélenchon a plusieurs fois pu rappeler sa passion, que je crois sincère, pour les œuvres de Kant et de Rousseau. Si leurs œuvres sont si importants pour la culture universelle, c’est notamment par la force avec laquelle ils affirmèrent la stricte égalité de tous nos frères et sœurs en humanité – ce qui doit nous pousser à ne jamais défendre seulement « nos » intérêts nationaux, mais les intérêts de l’humanité tout entière.
Dans Vers la paix perpétuelle, Kant imagine la création d’une ligue des nations, qui après avoir été mâchée et remâchée par bien des Hugo, des Zweig et des Briand, inspira notre Union européenne actuelle, si malmenée par l’assaut conjugué des néolibéraux, qui en font un simple instrument bureaucratique, et celui de nouveaux nationalismes, qui lui font porter tous les maux du monde.
Nous en aurions pourtant besoin d’une Union européenne forte, pour n’avoir à s’aligner ni sur les États-Unis de Donald Trump ni sur la Russie de Vladimir Poutine. Une vraie armée européenne et une diplomatie coordonnée donneraient une puissance d’impact d’une force incroyable.
Inutile d’ergoter sur le fédéralisme. Après tout, les États-Unis comme la Russie sont des pays fédéraux. Et en Europe, l’Allemagne, première puissance du continent, l’est également. Quand les États savent s’unir derrière un gouvernement unique, la puissance politique, économique, diplomatique n’en est que décuplée
Jean-Luc Mélenchon se dit aussi écologiste, depuis peu. C’est une victoire pour les écologistes français que d’avoir réussi à lui faire prendre conscience de l’importance de ces questions. Cependant, l’écologie affirme le respect de toute forme de vie, au-delà des « intérêts de la France ». Les bombes chimiques du président Al-Assad sur des rebelles modérés ne sont pas écologiques. Les avions du président Poutine sur des civils ne sont pas écologiques.
Je ne peux entendre le silence assourdissant d’un homme qui se revendique haut et fort de Rousseau, de Kant, de l’écologie politique, de la gauche sociale, face aux exactions et aux crimes de guerre commis en ce moment même en Syrie.
Ce ne sont pas des « bavardages ». Il n’est jamais excusable de massacrer des civils. Ce n’est pas une lutte contre le terrorisme. C’est du terrorisme. Des femmes et les hommes innocents meurent sous les bombes de dictateurs de pacotille qui s’accrochent à leur pouvoir, et M. Mélenchon choisit de se taire.
Dans les heures qui suivirent la mort de Fidel Castro, il appelait au rassemblement. Dans les heures qui suivirent la mort d’Hugo Chavez, il publia un texte d’hommage. Cela fait des semaines qu’Alep agonise, et votre silence, M. Mélenchon, est pesant.
Perdriez-vous votre voix de tribun lorsqu’il ne s’agit plus de glorifier des dictateurs morts mais d’appeler au secours pour des humains qui meurent sous les balles des dictateurs vivants ? Rangeriez-vous votre « insoumission » à la casse, lorsqu’il faut soutenir les insoumis du monde entier et les innocents bombardés ? Je suis sans voix, impuissant face au massacre
La force des tribuns, de tout temps et en tous lieux, c’est d’avoir su redonner de la voix à ceux qui, ici, soutiennent les luttes de là-bas. C’est Camus qui donne de la voix aux opprimés en Algérie. Malraux qui fait entendre les souffrances dans l’Indochine coloniale, s’engage durant la guerre d’Espagne puis dans la résistance. Aron et Sartre qui, au-delà de leurs divergences politiques, défendent la cause des « boat people ». Bataille qui redonne la parole aux victimes du franquisme. Hugo qui se lève pour les victimes du bonapartisme ou contre le travail des enfants. Gide qui décrit le travail forcé en Afrique équatoriale.
À quoi sert-il d’avoir de la verve, du charisme, de la prestance, de l’intelligence, de l’audace et de l’éloquence, si ce n’est pour donner de la voix aux plus faibles et aux révoltés partout dans le monde ? Qu’en avaient-elles à faire, toutes ces voix, de l’« intérêt de la France » ?
Je ne sais pas si être élu, si écrire, lire, parler, dire, informer, chanter sur la révolte à l’autre bout du monde sert à quelque chose. Je sais simplement que se taire est pire que tout. Que le silence du tribun engagé est une caution pour des litres de sang. Que le soutien à un criminel est une transgression impardonnable.
Je vous en prie, M. Mélenchon : redonnez de la voix à ceux qui n’en ont pas. Par votre position et votre éloquence, vous avez, plus que moi, plus que nous, les moyens d’alerter et d’appeler à l’action. Les paroles des tribuns ou des intellectuels cités plus haut ne sont pas restés lettre morte. Votre parole porte, sachez l’utiliser.
C’est parce que je pensais que vous étiez un compagnon de la lutte pour les droits humains partout dans ce monde que je m’adresse à vous, et pas à d’autres. C’est parce que ma déception fut grande quand vous vous taisiez sur le sort des Tibétains, sur celui des Cubains, sur celui des Vénézuéliens, sur celui des Ukrainiens et maintenant sur celui des Syriens que je vous écris à vous, et pas aux autres. Où avez-vous rangé votre insoumission ? À quoi sert-il de hurler quand on ne soutient pas les sans-voix ?
Paul Didier (étudiant, adhérent d’Europe écologie les verts)
Le 16 décembre 2016 / LE MONDE