Paru avant le Sommet de Bruxelles, voici une tribune d'Eva Joly et de Claudia Roth / Zone euro : l’heure des choix et des responsabilités :
*Les dirigeants de la zone euro se réuniront une fois de plus jeudi prochain à Bruxelles pour tenter de trouver une solution à la crise des dettes des Etats européens. Cette énième rencontre au sommet démontre l’incapacité des dirigeants européens, à commencer par Nicolas Sarkozy et Angela Merkel, à apporter une réponse crédible à la crise. Pourtant les solutions existent à condition de rompre avec les logiques ultra-libérales et souverainistes actuelles.
Dès jeudi, les gouvernements européens doivent admettre que la Grèce ne remboursera pas toutes ses dettes. Avec un endettement qui dépassera les 150% du PIB en 2011 si rien n’est fait et une économie en récession, nier l’insolvabilité grecque comme le font les dirigeants européens depuis des mois sape la crédibilité de l’ensemble de la réponse européenne à la crise et participe de ce fait à la contagion vers des économies nettement plus solides comme l’Espagne et l’Italie. Une restructuration ordonnée de la dette ne signifie en rien une absolution des Grecs de toute responsabilité dans l’accumulation de ce mur de dettes. Une partie de la restructuration devrait notamment mettre à contribution les épargnants grecs – et notamment les ménages les plus riches qui se sont largement soustraits à l’impôt du fait d’une fraude fiscale généralisée. Selon le gouvernement grec plus de 200 milliards d’euros de capitaux se sont placés en Suisse pour échapper à l’impôt. Les mesures d’austérité seraient considérablement allégées si une priorité numéro de l’Europe, et du gouvernement socialiste grec était d’obliger la Suisse à lever le secret bancaire sur ces capitaux pour permettre au gouvernement grec de les taxer et de réduire ainsi son déficit Par ailleurs la Grèce n’a toujours pas réduit son budget militaire totalement disproportionné symbole d’un nationalisme antiturc partagé par la gauche comme par la droite. Là encore la priorité de l’Europe devrait être d’exiger des coupes dans ces budgets militaires et de créer les conditions géopolitiques d’une résolution de ce conflit en réaffirmant la perspective de l’adhésion de la Turquie.
Au-delà du cas grec, les dirigeants européens doivent porter un message fort aux spéculateurs. Le financement des pays de la zone euro ne peut être soumis aux paris des fonds spéculatifs et des départements de compte propre des grandes banques européennes. L’impunité dont bénéficient ceux qui ont par exemple spéculé la semaine dernière contre l’Italie n’a que trop duré. A l’initiative des Verts, le Parlement européen a voté en juillet l’interdiction des outils financiers permettant de spéculer contre la dette des Etats, à savoir les CDS et les ventes à découvert. Mais les Etats, sauf l’Allemagne, s’y refusent encore et les négociations trainent. Il est temps que les dirigeants européens rompent avec la logique ultra-libérale du laisser-faire pour soutenir cette reprise en main de la sphère financière. Par ailleurs, les spéculateurs jouent aussi du refus des mêmes dirigeants européens de créer des obligations européennes qui rendrait la spéculation impossible et permettrait à chaque pays de la zone euro de financer une certaine partie de sa dette au meilleur coût en bénéficiant de la garantie européenne sur une partie d’entre elle. Ces euro-obligations n’impliqueraient en rien pour l’Allemagne un transfert à fonds perdus vers le reste de l’Europe puisqu’elles amélioreraient la sécurité des placements des épargnants allemands aujourd’hui mis en danger par les risques que fait la crise des dettes souveraines sur leurs propres banques. Aujourd’hui, le souverainisme frileux d’Angela Merkel et de Nicolas Sarkozy sont les principaux freins qui empêchent d’avancer dans cette voie.
Les européens ont de plus en plus de mal à voir la valeur ajoutée de leur Union. Si l’Europe ne sert qu’à imposer une austérité synonyme de coupes massives dans les budgets sociaux alors un délitement de la construction européenne n’est pas exclue. Nous ne contestons pas la nécessité de réduire les déficits budgétaires. Mais pas en sabrant dans les investissements d’avenir, comme ceux nécessaires à la transition écologique, ni en cassant nos modèles sociaux. Parce que nous avons mis en place un marché unique tout en ne créant pas les conditions d’une vraie coopération fiscale, l’Union européenne est aujourd’hui la zone du monde où la concurrence fiscale est la plus féroce ce qui contribue à abaisser massivement la contribution des détenteurs de patrimoine et des grandes entreprises aux charges communes. La priorité numéro un de l’Union devrait donc être d’opérer un désarmement fiscal pour retrouver collectivement une capacité à imposer les flux financiers comme les plus values à un niveau plus juste. L’Union démontrerait alors de manière éclatante sa valeur ajoutée.
Les gouvernements conservateurs au pouvoir en France et en Allemagne ont démontré qu’ils n’étaient pas capables d’opérer ces ruptures. En 2012 en France et en 2013 en Allemagne, nous porterons le changement dont la France, l’Allemagne et l’Europe ont besoin.
Eva Joly, candidate EELV à l’élection présidentielle,
Claudia Roth, coprésidente des Verts Allemands
Juillet 2011