Écrit par Nadia Azoug
Après l'admiration partagée de la révolution de Jasmin et du courage de cette jeunesse qui se soulève pour sa liberté, viennent les atermoiements et l'instrumentalisation politique du gouvernement face à l'urgence de l'accueil de réfugiés. Paris XIXème, au Parc de la Butte rouge, aux portes de la ville, plusieurs centaines de réfugiés tunisiens ont trouvé refuge dans un square. J'y ai passé hier l'après-midi et la soirée... Point sur une situation d'urgence...
Ils sont au moins 300 sur place, peut-être 400. On parle de 1000 personnes en tout qui passent ici sur la journée, auxquels s'ajoutent ceux qui ont trouvé refuge à Belleville (prés du boulevard colonel Fabien) et à Massy. La très grande majorité des réfugiés sont des hommes, de la région de Zarzisse, âgés de 17 à 35 ans.
Tout le monde s'improvise "porte parole", dans un très grand désordre, où se mêlent tunisiens qui souhaitent collecter de l'information pour aider, quelques militants politiques et associatifs, la presse, et probablement police en civil. L'échange est riche, les tensions palpables. Il y a de la fatigue, des hommes qui commencent à être malades, c'est visible.
La demande est simple : "on veut des papiers pour pouvoir circuler". L'enjeu, ici, c'est la dignité ! Pas de mendicité : "on veut travailler, c'est tout". Les hommes présents ne comprennent pas la froideur à la française, ce "non accueil" alors qu'en Tunisie les français ont toujours été bien accueillis. Le décalage entre la France rêvée et la réalité est frontal, violent.
Les conditions d'hygiène sont catastrophiques. Le tunnel tout proche a été un peu nettoyé pas les habitants mais il faudrait faire passer des engins de nettoyage à forte pression d'eau. L'odeur d'urine est prenante, étouffante. Il pourrait pourtant être un refuge en cas de pluie.
Les bonnes volontés sont nombreuses, les moyens d'agir dispersés. Les habitants sont solidaires, apportent des vivres. Nombreux sont ceux qui veulent agir et aider mais disposent de peu de moyens pour le faire ou ne savent pas par quel bout commencer. On pare au plus pressé. La communauté tunisienne de Pantin, d'Aubervilliers, de Paris commence à s'organiser. Les repas sont amenés, le ramassage des déchets est fait.
Bertrand Delanoé a saisi le Ministre de l'Intérieur pour demander à l'État de missionner une association afin qu'elle coordonne l'aide aux réfugiés. Le Ministre a donné une fin de non recevoir. La mairie de Paris a du coup décidé de mandater elle-même France Terre d’asile et Emmaüs pour mettre en place un dispositif social et sanitaire et débloquer une aide de 127 000 euros à l’association La Chorba pour distribuer des repas. Cela ne suffira pas, mais c'est une véritable bouffée d'air vue la situation sur place et l'indifférence de l'État.
Le Maire de Pantin a demandé que les services de la ville coordonnent une action avec les associations pantinoises qui s'occupent d'aide alimentaire (Secours Populaire, Restaurants de coeur, etc.) et a débloqué un appui de 5000 euros.
France Terre d'Asile est sur place. Ils recensent les mineurs afin de leur apporter une assistance. Une Chorba pour tous et Emmaus sont là aussi.
On discute avec un petit groupe, on leur explique l'importance de s'auto-organiser, d'organiser leurs messages en direction de la presse. De désigner des communicants, des référents dans le groupe pour certaines tâches. On tempère aussi. Ne pas donner de faux espoirs. Côté régularisation, cela va être très compliqué, on commence à connaitre la petite musique du gouvernement.
On rencontre des personnes exceptionnelles, des vieux militants associatifs, un restaurateur, un dirigeant d'entreprise, etc. L'heure tourne, "on monte des tentes, on monte pas de tente ???" That is the question ! Ils seraient à peu près 80 personnes à coucher en plein air. A Massy, idem, ils seraient 50.
On discute avec des représentants de la police du 19ème arrondissement. Quatre représentants de la préfecture de Paris sont aussi là, mandatés pour faire un rapport au Préfet de Paris qui a eu toute la journée des interpellations de la presse.
Vers 21h00, 2 ou 3 jeunes de Pantin viennent vers nous et nous informent qu'aux Quatre-Chemins, "la police est partout". Il n'était pourtant pas question d'évacuer et d'arrêter ces hommes. On empêche 2 ou 3 hommes d'aller se jeter dans la gueule du loup. Nous re-passons sous le tunnel, arrivée au niveau de la rue Berthier. Je reconnais un policier en civil (présent lors de l'évacuation du campement de Rroms en septembre). Le préfet Lambert est là, le commissaire de Pantin aussi. Je vais aux nouvelles, j'en aurai finalement peu. Je déconseille encore aux réfugiés de passer par le pont.
J'appelle Augustin Legrand, n'étant moi même pas une spécialiste de "l'intervention générale" évoquée par le Préfet. Il m'alerte. Je prends conscience qu'une opération côté Paris est peut-être en train de s'envisager. Tout se confirme, la presse revient : une opération d'évacuation et d'arrestation se préparent.
On va prévenir tous les hommes. Des jeunes du quartier sont là, ils nous font les traductions. Les consignes de dispersion sont données... L'intervention des forces de polices côté Paris n'est possible car le préfet est du 93, chacun son territoire. En reprenant le tunnel vers Pantin, un petit barrage nous accueille. Contrôle d'identités. Méthodes de dissuasion classique...
On sera quand même là demain. Vous êtes aussi les bienvenus.
adia Azoug, Adjointe au maire déléguée à la Jeunesse à Pantin et Conseillère Régionale IDF Europe Ecologie Les Verts