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Billet de blog 7 novembre 2023

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Autopolitique, machine capitaliste et enjeux naturalistes

Je vais vous présenter succinctement les axes de réflexions que j’aborderai au fil des différents articles. Pour des raisons de pure exposition je les ai distingué en sous parties séparées mais dans le fond ils s’articulent et se pensent ensemble

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Autopolitique et autopuissance

L’autopolitique n’est pas vraiment un concept mais plutôt une manière de designer un ensemble de leviers d’exploitations à la fois concrétisés dans des pratiques sociales du monde du travail (dispositifs, machine sociale) que dans les discours de justifications, de motivations et d’engagements (esprit), propre à ce qu’on peut appeler de façon critiquable : néolibéralisme. En effet, c’est un abus de langage historiquement contestable que d’utiliser le terme « néolibéralisme » dans le sens que lui donne Foucault (in Naissance de la biopolitique) : « être entrepreneur de soi-même ». Seulement au fil des textes qui ont nourri mes réflexions, il est souvent apparu en ce sens. J’ai préféré favoriser pour des questions pratiques l’usage plutôt que l’exactitude. Vous n’imaginez pas à quel point c’est une lutte terrible envers moi-même. Je reviendrais dans les articles suivant sur une définition plus précises mais dans les grandes lignes c’est comment notre système actuel fait en sorte qu’on s’exploite soi-même, par soi-même, à partir de soi-même, pour (soit disant) soi-même mais qui finalement profite en terme de capitalisation monétaire à de grosses entreprises. Cet auto-exploitation peut autant s’attribuer à une personne qui se dirait « je » qu’à un groupe, une petite entreprise ou encore une association s’auto-désigant par un « nous ». L’autopolitique peut revêtir 3 aspects :  

  1. Ce que le philosophe Byung-Chul Han appelle de façon très parlante « psychopolitique » dans son essai Psychopolitique. Le néolibéralisme et les nouvelles techniques de pouvoir. Je reviendrai plus en détail dans un article dédié sur ce que l’auteur entend par là mais pour le dire rapidement la psychopolitique utilise nos émotions, sentiment, affect pour qu’au nom de la liberté de soi, on se contraigne soi. Par exemple libérer notre potentiel implique un ensemble de pratiques pour exploiter nos propres ressources internes, exposer nos intimités, se motiver à être soi mais en mieux (c’est à dire en plus exploitable), le tout d’une façon à ce que soit quantifiable et mesurable. Ce sont nos propres intériorités psychologiques qui deviennent une usine. Mais évidement nous ne sommes pour autant nos propres actionnaires, les dividendes sont pour l’extérieur. 
  2. Une illusion de l’autonomie est intrinsèquement lié à la psychopolitique. Dans un monde d’une multitude d’autoentrepreneur, d’associations et de petits prestataires en apparence indépendants car s’organisant de façon autonome et libre, la course à la satisfaction cliente ou au subvention ou encore aux demandes des commanditaires, le tout dans un contexte de concurrence fortement marquée, est d’autant plus aliénante qu’elle est relayée par des mots d’ordre moraux comme l’engagement, la motivation et l’implication. 
  3. L’autopolitique c’est aussi un déplacement social du risque passant de la collectivité vers l’individu. Dans une économie plus interventionniste, les prestations sociales et le code du travail protège les individus des accidents de la vie via des protections sociales diverses et variées. Le propre de l’autopolitique est de laisser le risque inhérent à la réalité être purement payable par la personne : libre d’être tous seul pour me relever si je tombe. 

A la différence de celle-ci et de l’autre coté du champs politique, il y a un ensemble de pratiques militantes qui luttent pour avoir le droit de se designer par soi et non par l’autre (via un pouvoir extérieur), de décider pour soi et de clamer leur propre dignité et force. Ce qui est de l’ordre de l’autogestion, de l’autodiagnostique, de l’empowerment ainsi que de remises en question des frontières de genres, de races, d’espèces et de territoire, je propose de l’appeler « autopuissance ».  Le terme de puissance se réfère à la distinction entre ce qui est en acte (concrétisé) et en puissance (ce qui peut se concrétiser, devenir). Néanmoins, dans l’usage que j’en fais c’est quelque peu différent puisque « puissance » reflète plutôt l’idée de non prédéterminé, de ce qui n’est pas fixer définitivement par des normes depuis un pouvoir extérieur. C’est l’idée d’être toujours dans des devenirs possibles où l’autodetermination (se dire, se définir se déterminer par soi-même) ouvre des possibles. C’est ce que Deleuze appelait  « le devenir ».

Machine capitaliste

Parler de machine pour désigner le capitalisme m’a semblé pratique pour décrire un fonctionnement initialement très simple qui est la logique du toujours plus. Produire toujours plus sans qu’il y ait d’instruction d’arrêt. Imaginez un seul instant que nos logiciels et ordinateurs n’aient pas ce genre de procédure, très vite les circuits imprimés surchaufferaient et les composants fonderaient. La machine capitaliste pourrait aussi se comparer à une voiture qui ne pourraient que continuer d’accélérer. En sommes, c’est une machine qui bug, qui fonctionne justement grâce à ce bug fondamental. En effet, les contradictions inhérentes au capitalisme sont nombreuses et une requête dans un moteur de recherche pourra vous en donner des exemples. Pour le présent article j’aimerais juste en mettre une seule en avant, pour moi la plus basique, le bug fondamental : produire plus à partir de toujours moins. La croissance épuise nos ressources planétaires et produits des déchets dont même le recyclage, d’ailleurs limité, produits  de la pollution et demande de l’énergie. Il n’est pas bien difficile de voir que c’est pas possible. Au fond la machine capitaliste est une machine à jouissance c’est à dire un toujours plus et qui finalement ne répète que de la perte. On doit au moins ça à Lacan (in L'envers de la psychanalyse) d’avoir fait le lien entre la jouissance et le concept de Marx de plus-value (ou dans une meilleure traduction de survaleur)

Mais comment fonctionne cette machine qui s’adapte et évolue par bug ? Cette instabilité fondamentale c’est ce qui lui permet de s’adapter et de muter. Je rejoins complètement Byung-Chul Han lorsqu’il écrit : 
« Contrairement à la supposition de Marx, la contradiction entre forces de production et rapports de production ne peut être surmontée par une révolution communiste. Elle est insurmontable. C'est précisément grâce à cette contradiction qui l'habite en permanence que le capitalisme peut se protéger en évoluant, en se réfugiant pour ainsi dire dans le futur. Au lieu de basculer dans le communisme, le capitalisme industriel connaît ainsi une mutation en néolibéralisme et en capitalisme financier, avec un mode de production post-industriel, immatériel. »
pp 13-14 in Byung-Chul Han, Psychopolitique. Le néolibéralisme et les nouvelles techniques de pouvoir


Or si la machine capitaliste a besoin de muter c’est pour dépasser des limites. Cette machine dépourvu d’esprit va devoir en trouver un pour à la fois motiver, convaincre et justifier de s’engager dans le processus de croissance mais aussi pour répondre aux résistances et critiques lorsqu’elles deviennent trop importantes et menace l’accumulation monétaire. Cette limite par résistance va être dépassé par la récupération de la critique. C’est ce qu’explique Luc Boltanski et Eve Chiapello dans Le nouvel Esprit du capitalisme. Par exemple les demandes d’autonomie, et de sens de la critique de mai 68 a été récupéré pour proposer un capitalisme de l’autonomie, du travail fun, du sens au travail etc. Ce troisième esprit du capitalisme c’est justement celui que je me suis contraint d’appeler  « néolibéralisme » 

Les enjeux naturalistes

La nature et les arguments biologiques ont pris depuis quelques siècles un tournant politique et économique. Les enjeux naturalistes sont au cœur, bien sûr, de nos problématiques écologiques mais le fait de justifier les lois de l’économie comme étant des lois naturelles en fait un terrain de lutte dès lors que pour des lois physiques et biologiques on se doit de convaincre que nous ne pouvons pas continuer ainsi si nous voulons rester en vie et ne pas détruire la planète c’est à dire le vivant. L’économie qu’on appelle orthodoxe qui est le courant de pensée largement dominant stipule ce qu’ils appellent « une harmonie spontanée des agents économiques ». Grosso modo, l’état ne doit pas intervenir car en fonction de la loi de l’offre et de la demande les choses vont s’équilibrer comme un processus naturel. Sauf que cette harmonie supposée ne peut-être calquée sur celle de la nature qui tend vers la vie et le vivant alors que celle des intérêts économiques personnels tend vers le toujours plus qui fini par accélérer la mort de la nature : le calque détruit son modèle. Le non interventionnisme capitaliste est une sur-intervention sur la vie au point d’un accélérer la fin. 

L’argument de la nature est aussi un axe obsédant du racisme et du fascisme justifiant des différences et des hiérarchies fondées sur des croyances biologisantes, certes éclatées au sol, mais qui retrouvent actuellement une efficacité discursive redoutable à travers les écofascismes. Antoine Dubiau a écrit une excellent livre sur sujet qui s’appelle très logiquement : Écofascismes. Ici l’identité du sang est redoublé par une identité du territoire et d’un renforcement des frontière à la fois locale et psychologique. Ce surplus d’un psychofascisme vient renforcer, surcoder, sur-symboliser un rapport essentialisé à un territoire. C’est une sorte de bioterritorialisation par une surterritorialisation raciste. Ma peur du ridicule m’a gardé d’utiliser le terme de « Biosurterritorialisation ». Vous pouvez la remercier

Si je parle d’enjeux naturalistes c’est qu’il y a lutte. Si les justifications naturalistes sont des stratégies ou des croyance pour le capitalisme et le racisme on va trouver un ensemble d’arguments qui pour la nature vont critiquer la capitalisme et qui dans un rapport moins coupé avec la nature prône des nouvelles façon d’ouvrir nos identités, de réduire une frontière entre humain, animaux et végétaux. On peut citer par exemple les travaux de Donna Haraway et de Vinciane Despret sur ces questions là.

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