Note : Pour que vous puissiez facilement distinguer ce que disent les auteurices de mes commentaires, je mettrai ces derniers en italique. De plus, les indications de pages sans précisions d’ouvrage renvoient à leur livre.
L’exclusion
Si la critique artiste a été absorbé par le nouvel esprit du capitalisme, laissant la critique sociale, désarmée idéologiquement, celle-ci va alors se renouveler. Si le thème de l'exploitation s'est estompé au même moment que le cadre des classes sociales dans lequel elle prenait place disparaissait, l'exploitation sera remplacé par l’exclusion (p. 466-467).
La fabrication d’espaces d’exclusions est comme je le disais dans l’article précédent, le pouvoir spatial periphéphérique de la machine capitaliste qui est passé d’une naissance depuis des extériorités (notamment via la colonisation et des sociétés marchandes qui se sont autonomistes vis à vis des États souverains ) à la création de dehors à exploiter sans foi ni loi dans ce dedans. Cette hétérotopie capitaliste produit des guettos, des camps, une exploitation carcérale ainsi que toute une administration mettant à l’épreuve la sortie d’un statut d’exclu de la société. Ce pouvoir de contrôle et de surveillance qu’on observe actuellement sur les allocataires on est un funeste mais typique aboutissement. Je vous invite à lire à ce propos l’article de la quadrature du net qui analyse l’algorithme de notation des allocataires.
Plusieurs conséquences de ce glissement de l'exploitation vers l'exclusion :
1/ L'exploitation est celle de l'exploitation au travail, là l'exclu est celui qui est exclut du monde du travail. C’est le chômeur à longue durée (p. 468).
Ce glissement masque que la capitalisme se fait sur le surtravail puisque la victime n’est plus celle dont est extrait du travail gratuit mais celle qui n'accède même pas à cette exploitation. On peut voir actuellement comment en profite des politiques préférants avoir - de chômeurs mais + de travailleurs pauvres en dessous du seuil de pauvreté.
2/ Ça met la défaillance du coté d'un "handicap social", l'exclusion est celle causée par une défaillance des acteuricess. Ou elle n'est le fruit que de l'action de d'autres intéressés (p. 468). La notion de classe permettant de sortir de cette notion de faute (p.480). C'est lié soit à une défaillance, un destin et pas comme une asymétrie de classe sociale qui est exploitée par certains : "l'exclusion ignore l'exploitation" (p.480).
Il s'agira pas d'agir contre l'exploitation mais de donner ce qui manque ou de compenser cette défaillance : dépolitise grandement le problème.
3/ Plus besoin d’accuser la classe qui exploite, les exclus ne sont les victimes de personnes. On passe d'une "topique de la dénonciation" (Boltanski, 1993) à une "topique du sentiment" (idem) qui consiste à secourir les exclus en souffrance (pp. 468-469)
Des mouvements militants vont aussi se reconnaitre dans la métaphore du réseau : circulation de différentes personnes, sous un grand nombre de rapports, une mosaïque d'opinions mais qui converge dans une action contre l'exclusion. Ça va passer par une "définition minimale des droits" et une référence floue à la « citoyenneté ». Par exemple, des association comme "droits aux logements", "agir contre le chômage", "droit devant » (pp. 476-477). Il y a une homologie entre ces mouvements protestataires et le nouveau capitalisme dans leur coté très mobile (p. 478).
Il y a d'abord eu un discours du réseau et de l'autogestion qu'on peut déjà voir d’une manière prononcée peu de temps avant 68 (même si c’est une tradition politique plus ancienne qu’on trouve déjà dans la Commune de Paris) , et donc pointer des mouvement transversaux etc. Puis vient une récupération capitaliste qui en fait une horizontalité plate pour enfin prendre une nouvelle forme dans un militantisme anti-exclusion. Ici la critique ne peut que répondre dans le feu de l’action : face à une fabrique capitalisatrice d’une exclusion en sein d’un même espace, il faut opposer une politique de lutte contre le levier qu’est l’exclusion. Ici il y a enjeu autour des valeurs que produisent un monde en réseau via la cité par projets.
La mobilité
Dans cette cité par projets émerge deux figures dont la valeur se définit par la capacité relationnel et de création de liens : le mailleur (les mailles) qui est la version altruiste, sa capacité sert au bien commun, il est le grand de la cité. Mais il y a de l'autre coté le pendant opportuniste, le faiseur de réseaux (ou networker) qui est la version égoïste il ne cherche à exploiter les liens que pour sa propre promotion. Il exploite les asymétrie de l'information et sa rareté (p. 485) : toutes les deux relèvent de la même échelle de valeur et concède aux mêmes sacrifice , à savoir, la mobilité se fait au détriment de la sécurité (pp. 482-483). Le faiseur cherche la position qui "donne accès au niveau le plus élevé de ressources compatible avec le niveau le plus faible de contrôle" (p.487): c'est à d'autres qu'il fait porter les risques, c'est à dire des entrepreneurs ou des responsables. Le seul élément stable d'un monde incertain et fluctuant est "le soi", le faiseur grossit ce "soi" et l'étoffe : il est "l'entrepreneur de lui-même" . p.488 (entre guillemet dans le texte).
Dans ce monde connexionniste la mobilité des uns n'est possible que par l'immobilité des autres, restés sur place, qui maintiennent le lien, font la réputation des grands. Les petits immobiles sont les doublures tandis que les grands sont à distances et profitent de ce travail local (pp. 492-493) : « les grands tirent une partie de leur force de l'immobilité des petits, qui est la source de la misère de ces derniers" (p493). Le marché financier se définit par la capacité de déplacement rapide et fluide (d'où la liquidification des titres) face à la lenteur territoriale des états (p. 497). Le marché financier est fluide il peut retirer et déplacer pour générer du profit là où les états et les entreprises locales n'ont pas cette mobilité : "Celui qui peut décider de se retirer unilatéralement impose son prix, son taux d'intérêt, à celui qui reste en place, qui est "collé" selon l'expression même utilisée par les opérateurs financiers" (p. 498). Les firmes doivent alors grossir et devenir incontournables, être internationales, devenir trop grosses pour être achetées et le fait d'être mondial réduit les marges de manoeuvres des actionnaires qui ne peuvent plus choisir un pays plus qu'un autre. En étant mondiale les entreprises peuvent alors faire elles-même leur propre arbitrage entre les pays. Pour obtenir le profit que les marchés leur retire, elles vont faire elle-même leur arbitrages entre les régions du mondes (p. 499).
Ainsi il y a une sorte de confrontation entre le marché fluide comme un liquide et des entreprises trop imposantes pour être mangées mais au sein de cette retéritorialisation massive qu'elles créent elles déplacent leur propre flux et imposent aux états des conditions pour s'y implanter. Le force de la fluidité est d'être une machine de guerre qui est rapide et peut se déplacer tel de l’eau, alors que les multinationationales répondent à cette vitesse de déplacement par une capacité de grossir tel un empire devenant un super territoire. Les états sont pris dans cette guerre n'ayant ni la capacité de déplacement d'une machine de guerre ni la capacité de grossissement d’un Empire. En effet un état ne peut grossir sans entrer en guerre avec les autres états. Les multinationales se déplacent en grossissant, les états sont fixes et les marchés financiers se déplacent par fluidité et vitesse de façon liquides.
Cette opposition est toute relative car pour exploiter des pays le marché et les multinationales peuvent s'allier (cf accord multilatéral AMI, Accord multilatéral sur les investissements au sein de l’OCDE, abandonné en avril 1998). De plus, recourir à de multiples prestataires extériorisés permet aussi de s'alléger pour se déplacer plus vite. Mais vu que l'empire est un super territoire, on peut dire que les prestataires font office de déplacement interne rapide (pp. 500-501). Ainsi, les plus mobiles (les investisseurs que sont les multinationales) font payer les plus lents (les états) le fait de ralentir et de rester plus longtemps car pour elles c'est un risque de s'immobiliser trop longtemps. Ce "differentiel de mobilité est ainsi, aujourd'hui, une nouvelle marchandise très appréciée. Elle a un prix en hausse rapide, payé par les "lents" qui obtiennent ainsi des "rapides" qu'ils accordent leur rythme et ralentissent un peu ». Ce rapport d'exploitation peut se faire sur plusieurs niveaux : multinationales vs pays, marché vs pays, marché vs multinationales, multinationales vs petites entreprises locales, entreprise vs employé précaire etc. La plus-value se fait sur ce différentiel de mobilité pour pas que les plus rapides aillent voir ailleurs (pp. 506-507).Tandis que dans les anciens esprits du capitalisme les différentiels se faisaient sur (pp 511-512) :
- Propriété des moyens de productions.
- Différentiel de pouvoir par rapport non plus aux propriétaires mais au directeur. L'objet de revendications concernera un pouvoir de décision. D'où le fait que c'est l'autogestion qui sera ce qui rééquilibre les inégalités
La cité par projets comme limite
Important : "La mise en place des dispositifs d'une cité par projets légitimant mais aussi limitant les rapports de forces propres au monde connexionnistes demeure un scénario optimiste dont rien ne dit qu'il se réalisera" (p. 514).
Au moment du livre (1999), On reste dans la description d'une émergence, qui est presque une anticipation.
Pour les auteurices, la cité par projet est optimiste car limite, émet un contrôle sur un monde connexionniste. En effet la cité est le fait qu'il y a négociation. Voici leur anticipation sur ce que serait un monde connexioniste sans le contrôle d'une cité par projet :
- Il leur semble que la "généralisation d'un monde connexionniste sans frein d'aucune sorte à l'exploitation soit de nature à détruire le tissu social" (p. 516)
- Les conduites opportunistes (qui ne reconnait pas les dettes envers autrui et le collectif, définition de Sarthou-lajus, 1997) risques de s'étendre (p. 517)
- Risque de marchandisation de l'information notamment type donnés de santés, vie sociale et relationnelle ( ça prouve que ce contrôle n’a pas opéré. p.518).
Iels proposent par la suite différentes pistes qui s'appuient sur les réseaux pour limiter les effets destructeurs d'un monde connexionniste. L'idée est de "tendre" les épreuves de forces pour en faire des épreuves de grandeur. En préservant la souplesse des réseaux et à la fois par le droit social, obtenir une meilleure protection particulièrement des plus faibles. la mobilité devant être rémunéré de façon équitables (p. 520). Se doit de concilier 2 temporalités celle courte et discontinue des projets ainsi que celle longue et continue de la vie des personnes (pp. 520-521). La complexité réside dans le fait de trouver un cadre légal (constitution d’un droit spécifique) qui limiterait les opportunismes et les exploitations sans fins sans tomber dans une rigidité juridique qui ne serait pas adapté au réseau. Le fait que ces "quasi entreprises" n'ont pas statuts juridiques mais juste des contractants font que les plus gros n'ont pas à appliquer le droit du travail ou reportent, tout simplement, le risque sur les prestataires qui ont une responsabilité d'entrepreneurs. De plus la protection ne s'applique pas pour eux.
Conclusion
En 2023 constatons qu’il est évident que ce contrôle n’a pas fonctionné. Comment pouvons-nous faire face à des entités aussi rapides, qui se déplacent constamment, peuvent grossir et se rapetisser. Où le états sont trop lent et immobile. De plus, il y a comme je l’ai dit plusieurs foi, le recours à la répression et la violence. La machine capitaliste est une économie libidinale sans fin qui prend la forme de la monnaie et de flux financiers de titres etc. C’est une fringale vampirique pour reprendre les mots de Marx. La machine capitaliste est une socialisation de la jouissance, le toujours plus sans véritable satisfaction finale car elle est constante. Une jouissance infini c’est la tension constante vers la mort et la propre consumation d’une société capitaliste par elle-même. Ici dans ce cadre le préfixe « auto » est synonyme de mort. L’autopolitique est une thanato-politique. Ce mouvement de déplacement d’un vecteur d’exploitation vers soi est au final le mouvement d’une pulsion de mort socialisée. A ce propos, je ne peux qu’avoir une pensée au livre de Gilles Dolaster et Bernard Maris, Capitalisme et Pulsion de mort qui m’a beaucoup influencé.