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Professeur honoraire en psychologie clinique. Université Rennes 2. Psychanalyste. Membre de l'Association mondiale de psychanalyse.

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Billet de blog 8 mai 2019

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Un enfant autiste en psychanalyse, par J-C Maleval et M. Grollier.

Une cure psychanalytique moderne d'un enfant autiste. Ce n'est pas en interprétant l'inconscient qu'elle opère, mais en prenant appui sur les objets de l'enfant, qui le protègent de l'angoisse, qui lui permettent de réguler ses affects, et qui lui servent de médiation avec l'analyste.

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Illustration 1
                   Il existe peu d’équivalents du document clinique présenté par Christine Bouyssou-Gaucher sous le titre « Louange, l’enfant du placard ». Deux comptes-rendus de cas comparables eurent jadis un retentissement considérable : celui de Dibs, relaté par V. Axline[1], et celui de Joey, l’enfant-machine de Bettelheim[2]. Les temps ont changé, aujourd’hui l’evidence based medicine n’accorde aucun crédit aux études de cas, il sera maintenant plus difficile de faire entendre les enseignements de la cure de Louange. Pourtant quand l’analyste le rencontre il s’agit d’un enfant de trois ans et demi présentant une forme sévère d’autisme, assurément plus sévère que celle de Dibs, et même que celle de Joey. Or à la faveur d’un travail qui a duré plus de six ans, ses progrès furent spectaculaires. Dès lors, il n’est pas exagéré de reprendre le propos de la page de garde : le document clinique recueilli par C. Bouyssou-Gaucher, relatant une cure conduite en un Centre Médico Psychologique de la région parisienne, constitue bien « une démonstration éblouissante de l’efficacité de la psychanalyse » avec un enfant autiste. Tout indique que les progrès des acquisitions scolaires et sociales de Louange, intégré dans une ULIS[3] pendant la cure, furent corrélatifs aux avancées de celle-ci.

                       L’ouvrage ne convaincra pas ceux qui affirment la singularité de chaque autiste tout en exigeant des études de cas chiffrables et reproductibles pour se faire une opinion quant à la prise en charge la plus appropriée. En revanche, il constitue un outil majeur et novateur pour les praticiens qui s’engagent dans des cures individuelles d’autistes. En commentant le rapport de la Haute Autorité de Santé sur l’autisme de 2012, le Pr Houzel soulignait que sous le terme de « psychanalyse de l’autisme », « beaucoup d’approches différentes, voire opposées, sont proposées », de sorte que parler de « la psychanalyse » à cet égard, « n’a aujourd’hui aucun sens » [4]. Les références psychanalytiques de C. Bouyssou-Gaucher sont éclectiques : elles vont de Winnicott à Lacan, en passant par Freud, G. Haag, P. Delion, H. Rey-Flaud et F. Tustin. Cependant, son orientation majeure consiste à faire confiance au désir de changement de l’enfant,[5] ce qui la conduit spontanément à ce que tout enfant autiste induit : « respecter l’objet qu’il s’est choisi »[6]. Cela peut paraître anodin, voire évident ; pourtant beaucoup de psychanalystes n’orientent pas la cure sur ce respect de l’objet. Même si tous ne suivent pas les enseignements de Tustin, tous les connaissent, or, selon elle, les objets autistiques « s’opposent à la vie et à la créativité ; ils portent en eux la destruction et le désespoir »[7]. Elle précise qu’étant vécus comme des parties du corps, ils « sont ressentis comme instantanément disponibles et n’aident donc pas l’enfant dans son apprentissage de l’attente. Ils ne l’aident pas non plus à supporter la tension et à différer l’action – ce qui est essentiel pour les activités symboliques »[8]. Le document de C. Bouyssou-Gaucher s’inscrit clairement en faux contre une telle approche. S’orienter sur un respect de l’objet la détourne de chercher à interpréter les formations de l’inconscient, mais aussi de proposer une expérience symbiotique corrective, de considérer le contre-transfert comme une boussole majeure, de chercher à réparer le démantèlement, de tenter d’avoir accès à des vécus archaïques, etc. La conduite de la cure opérée se situe en marge de la plupart de celles classiquement prônées. Bien qu’elle n’utilise pas le concept de bord, conçu dans le champ lacanien comme la défense majeure de l’autiste, C. Bouyssou-Gaucher tire spontanément parti des ressources de celui-ci tout au long de la cure. C’est en s’appuyant sur les objets, constate-t-elle, que Louange a réussi à poursuivre son chemin vers l’Autre[9].

                       Pour y parvenir, et pour rendre possible l’engagement de l’enfant dans la cure, il a d’abord fallu que l’analyste adopte un positionnement non intrusif. Quand elle rencontre Louange, il apparaît particulièrement angoissé par la présence de l’Autre : tantôt s’allongeant par terre, tantôt courant n’importe où. Il n’était sensible à aucune parole, lui-même ne parlait pas, et toute tentative pour limiter son déchaînement provoquait des hurlements suraigus. L’analyste sait alors se faire docile à l’enfant, en n’imposant pas ses présupposés, mais en respectant la principale activité spontanée : organiser minutieusement des files serrées de petites voitures. D’une grande fréquence, de telles activités de classements apaisent quelque peu l’angoisse, en créant une cohérence locale qui instaure un ordre maîtrisé dans le chaos du monde, de sorte qu’il s’agit de les accueillir pour qu’une cure puisse s’engager. La rencontre se fait d’abord à l’occasion d’une comptine dont Louange semble esquisser l’air, tout en ayant le nez dans ses petites voitures, et que l’analyste se met à fredonner. Elle obtient alors un furtif regard, vite détourné. Par la suite, elle l’entend dire, sans que ce soit adressé, « Chante ! ». Le chant devient alors le vecteur du lien qui s’instaure entre eux même si dans les débuts de la cure il est porteur de messages dont le sens est sans importance. En respectant l’attente d’immuabilité de Louange et en s’adressant à lui de manière indirecte par l’intermédiaire de comptines, C. Bouyssou-Gaucher parvient à capter son intérêt et à surmonter l’évitement initial du transfert propre aux autistes.

                       Elle constate que la rencontre de l’enfant avec l’analyste le déborde vite. L’ébauche d’un instant partagé suscite chez lui une intense excitation qui le conduit à foncer sur l’autre, à fuir du bureau, à crier, etc. Après quelques mois de cure, quand il entrevoit que l’analyste puisse devenir un partenaire, pour se protéger de cette présence attirante et inquiétante, Louange invente un ingénieux dispositif. Il ouvre un jour la porte d’un grand placard qui se trouve dans le bureau et se réfugie à l’intérieur. Il utilise longuement par la suite ce moyen pour se soustraire à la présence de l’Autre. Peu à peu, grâce à cette protection, il accepte ce qui angoisse le plus l’enfant autiste, à savoir entrer dans l’échange. Il crée un monde sous contrôle à partir duquel il peut chercher à rencontrer l’Autre. La porte du placard rend possible l’ébauche d’échanges verbaux. Dans le même temps, les petites voitures deviennent un objet de médiation entre l’intérieur et l’extérieur du bureau, ainsi qu’entre lui et son analyste. Cette dernière tolère que Louange emporte régulièrement chez lui une petite voiture du CMP, ce qui permet à l’enfant de mieux accepter la fin des séances. Beaucoup d’analystes s’y seraient opposés, au nom de l’importance du cadre pour certains, ou d’un traitement de la perte pour d’autres. Ç’aurait été méconnaître la fonction de protection des objets autistiques. Mme Bouyssou-Gaucher la prend tout autant en compte que l’immuabilité. Elle accepte patiemment que Louange répète les séquences qu’il organise avec le grand placard, puis avec le petit, ce qui lui donne la possibilité de maîtriser et de traiter l’excitation suscitée par la présence de l’autre. « Mon immuabilité, écrit-elle, fait de moi un Autre réglé, ce qui permet en retour à Louange de se régler sur moi, de s’organiser pour vivre nos moments de rencontre, qui deviennent des expériences qu’il peut progressivement intégrer, dans la mesure où il ne s’en trouve plus débordé »[10]. Elle constate ne pouvoir introduire que de micro-différences dans les scénarios répétitifs, faute de quoi Louange exige de tout recommencer.

                       Tout en continuant à user des placards, il invente des circuits de plus en plus riches et complexes pour ses petites voitures, dans lesquels s’insèrent peu à peu des feux de circulation, des maisons et des personnages. En s’enrichissant le circuit devient par la suite une mini-ville avec un commissariat, une caserne de pompiers, un Centre Médico Psychologique, etc. Il crée ainsi dans le chaos du monde des cohérences locales rassurantes, qui fonctionnent comme des médiations avec la réalité extérieure. Après quatre ans de cure, C. Bouyssou-Gaucher constate que Louange a franchi une étape : « il semble désormais en mesure de se reconnaître en ces petites figures humanoïdes, au point de les utiliser comme des doubles miniatures »[11]. Le thème majeur du scénario est alors une histoire d’amour passionnée vécue entre une figure maternelle, qui se montre tour à tour câline et brutale, et un Louange-bis, qui porte le nom de son frère, Evangile. « La scène, écrit C. Bouyssou-Gaucher, le confronte manifestement à un lieu du vivant qui lui était jusque-là sinon étranger, du moins indéchiffrable, et l’intéresse au plus haut point. Mais le déferlement d’excitation entre la mère et l’enfant est tel que pour en apprendre quelque chose il faut qu’il s’en éloigne, d’où l’entrée en scène d’Evangile »[12]. Louange projette dans le monde des doubles figurines les craintes auxquelles il s’affronte. Un saut est encore franchi quand le circuit devient graphique. Louange développe à partir de celui-ci des scénarios de plus en plus sophistiqués auxquels il accorde un intérêt passionné. L’analyste constate que l’histoire se développe d’elle-même comme mue par une nécessité. La logique qui préside aux scénarios de l’enfant reste remarquablement stable : Louange garde le contrôle, il utilise l’analyste comme un élément clé d’un appareil de plus en plus complexe, ce qui atténue l’étrangeté de l’Autre, et lui permet de s’approcher, sous couvert des petits personnages, du monde de ses affects[13]. C. Bouyssou-Gaucher fait confiance au processus initié par l’enfant. Elle observe que ses capacités d’expression verbale se développent remarquablement, non pas suite à un apprentissage, mais par un effet indirect de l’instauration d’un lien particularisé entre Louange et elle-même.                      

                        Dans les dernières années de la cure les scénarios s’insèrent dans des bandes dessinées qui produisent « un encapsulement dans l’écrit de la jouissance du corps et de la voix contenue dans la scène du jeu »[14]. L’introduction de l’écrit est due à une initiative de l’analyste qui fut acceptée par Louange. Elle fut prise en respectant ce que C. Bouyssou-Gaucher dégage comme une règle fondamentale : les changements ne doivent apparaître qu’à dose homéopathique et toujours en sollicitant l’accord de l’enfant. En effet, bien qu’elle n’interprète pas le matériel apporté dans les séances, et bien qu’elle accompagne son patient plus qu’elle ne le précède, son rôle ne se borne pas à être celui d’un catalyseur : elle intervient aussi pour tenter de tempérer la jouissance de l’enfant ou pour chercher à la canaliser vers des voies de décharge moins explosives. Pour ce faire par exemple elle favorise l’insertion de limites dans les scénarios de Louange. « Chaque nouvelle source d’excitations, constate-t-elle, ne peut se concevoir qu’accompagnée de sa propre limite. L’apparition des chevaux a entraîné celle des barrières, l’extension du circuit de voitures celle des feux de circulation, le développement de la dyade mère-enfant celle du tiers »[15]. De surcroît l’analyste se sert de la réceptivité de Louange pour les maximes générales énoncées d’une voix neutre dont Asperger notait déjà pour les autistes la force contraignante[16]. Dans ces conditions, après s’être assuré par l’intermédiaire de la répétition qu’il maîtrise bien la quantité et la qualité des excitations qui s’attachent à une scène, Louange peut alors accepter d’ouvrir les vannes du désordre, afin d’étendre un peu plus sa maîtrise d’une cohérence locale et celle des affects qui s’y attachent. Sa répétition contrôlée des séquences lui permet de se préparer à les vivre avec moins d’inquiétude dans la vie quotidienne.

                         Aujourd’hui, à 12 ans, trois ans après l’arrêt de la cure, il a intégré au collège une classe spécialisée pour les enfants autistes. Il a des amis, fait de l’athlétisme en club et de la musique au conservatoire.

                          On ne saurait rendre compte en quelques lignes de la richesse du document de C. Bouyssou-Gaucher, il faut le lire en son détail, il fourmille d’indications techniques et d’intuitions novatrices, il constitue une contribution majeure à tout travail avec les autistes.

                          La cure de Louange présente de nombreux points communs avec celle de Dibs : toutes deux sont centrées sur des objets et dirigées par des thérapeutes qui veulent que l’enfant « soit le guide ».[17] Dans l’une comme l’autre, le transfert n’est pas analysé, le matériel n’est pas interprété, et pourtant la cure de Louange ne se réduit pas à une thérapie par le jeu. Il s’agit d’une authentique cure psychanalytique, car l’analyste ne se borne pas à se laisser guider par l’enfant, il fait plus que cela : il intervient pour tempérer et canaliser la jouissance en excès, et il pratique un doux forçage pour instiller à dose homéopathique du changement dans l’immuable. L’ouvrage de C. Bouyssou-Gaucher apporte une éclatante démonstration d’un nécessaire appui majeur sur le bord pour conduire la cure analytique d’un autiste. Sa fonction protectrice, régulatrice et médiatrice s’affirme et permet au sujet de se construire quand on favorise le déploiement de ses trois incarnations : l’objet autistique, le double et l’intérêt spécifique[18].

                         La force probante du travail de C. Bouyssou-Gaucher ne tient pas aux chiffres mais à l’évolution clinique qu’elle relate. « Ceux qui ont aidé à l’éclosion d’une personnalité, à la libération d’une intelligence gelée, à l’apparition de relations humaines, de sentiments positifs, de joie de vivre alors qu’il n’y avait aucune personnalité, aucune apparence d’intelligence, rien qu’un isolement méfiant ou désespéré, une angoisse panique et une violence homicide, ceux-là sont plus convaincus de l’efficacité des méthodes thérapeutiques […] qu’ils ne le seraient par des études statistiques »[19]. Même si ce constat de Bettelheim n’est pas aujourd’hui partagé, il est au principe de la résistance des cliniciens sur le terrain, constaté et déploré plan autisme après plan autisme. La cure de Louange est une objection supplémentaire aux préconisations de la Haute Autorité de Santé abusivement réduites à des approches comportementales et contraignantes.

[1] Axline V. Dibs. Développement de la personnalité grâce à la thérapie par le jeu. [1964]. Flammarion. 1967.

[2] Bettelheim B. La forteresse vide. [1967]. Gallimard. 1967, pp. 301-418.

[3] Unité localisée d’inclusion scolaire.

[4] Haute autorité de santé. (HAS) Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (Anesm) ; Autisme et autres troubles envahissants du développement ; interventions éducatives et thérapeutiques coordonnées chez l’enfant et l’adolescent. Commentaires relatifs au rapport final. Mars 2012, p. 14.

[5] Bouyssou-Gaucher C. Louange, l’enfant du placard. Psychothérapie analytique d’un enfant autiste. Penta Editions. 2019, p. 169.

[6] Ibid., p. 107.

[7] Tustin F. Les états autistiques chez l’enfant. [1981]. Seuil. Paris. 1986, p. 90.

[8] Tustin F. Autisme et protection [1990]. Seuil. Paris. 1992, p. 137.

[9] Bouyssou-Gaucher C. Louange, l’enfant du placard, o.c., p. 124.

[10] Bouyssou-Gaucher C. Louange, l’enfant du placard, o.c., p. 52.

[11] Ibid., p. 116.

[12] Ibid., p. 161.

[13] Ibid., p. 141.

[14] Ibid., p. 175.

[15] Ibid., p. 154.

[16] Asperger H. Les psychopathes autistiques pendant l’enfance. [1944] Synthélabo. Le Plessis-Robinson. 1998, p. 70.

[17] Axline V. Dibs, o.c., p. 47.

[18] Maleval J-C. L’autiste et sa voix. Seuil. 2009.

[19] Bettelheim B. Evadés de la vie. Quatre thérapies d’enfants affectivement perturbés. Fleurus. Paris. 1986, p. 29.

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