
Changement de stratégie ?
Le SNES (principal syndicat des professeurs du secondaire) est en train de consulter ses adhérents sur une éventuelle grève des surveillances le 17 juin, date de l’épreuve de philosophie du baccalauréat. J’ignore encore si les professeurs concernés se déclareront favorables à cette action, mais le simple fait qu’elle soit envisagée est significatif. D’habitude, la stratégie du SNES n’est pas très offensive. Comme la plupart des autres syndicats d’enseignants, il se contente généralement d’appeler à des grèves et à des manifestations limitées à une journée. En écrivant cela, je ne jette pas la pierre au SNES, ni aux autres syndicats. Je fais moi-même partie de cette organisation, et je sais qu’elle ne porte pas toute la responsabilité de l’impuissance du corps enseignant face aux « réformes » (entendez régressions) mises en œuvre par les gouvernements successifs depuis au moins une quinzaine d’années. Néanmoins, il paraît de plus en plus clair qu’une journée isolée de grève est généralement peu utile. C’est un constat que j’entends dans la bouche de certains de mes collègues depuis des années, mais il semble de plus en plus partagé. Le mouvement des « Stylos rouges », qui a démarré fin 2018, a contribué à diffuser cette idée, et à proposer des alternatives à la grève traditionnelle. L’une d'elles consiste à refuser de surveiller une ou plusieurs épreuves du baccalauréat.
Généralement, les Stylos rouges n’aiment guère la grève, car ils estiment que c’est un mode d’action peu efficace et coûteux – une journée de grève équivaut à 1/30ème de salaire en moins – alors que le pouvoir d’achat des enseignants a considérablement diminué depuis 25 ans. Cependant, il y a grève et grève. Faire un grève un jour quelconque de l’année n’a qu’un médiocre intérêt. C’est presque devenu une sorte de tradition, souvenir d’une époque où les mouvements sociaux étaient plus forts et les gouvernements moins inflexibles. Faire grève à un moment stratégique, et notamment pendant les épreuves du baccalauréat, c’est autre chose ! Les Stylos rouges ont-ils été les premiers à y penser ? Sans doute pas. Quoi qu’il en soit, il est de plus en plus évident qu’un changement de stratégie est indispensable si les enseignants veulent triompher – ne serait-ce que partiellement – face à un gouvernement bien décidé à garder son cap, quoi qu’il arrive.
Restent à savoir trois choses :
- Les enseignants auront-ils assez de culot pour faire un blocage du bac, au risque d’être traînés dans la boue par les médias dominants (on connaît le couplet habituel sur les usagers « pris en otage » par des grévistes « irresponsables ») et détestés par nombre de leur concitoyens ?
- Une action aussi grave se justifie-t-elle par des raisons sérieuses ?
- En admettant qu’il faille répondre oui aux deux questions précédentes, le blocage du bac est-il une bonne stratégie ?
Les profs seront-ils assez culottés ?
J’irai assez vite sur ce point, car je ne pense pas qu’il soit encore possible de répondre à cette question. Les professeurs, d’après mon expérience, ne sont pas des gens excessivement courageux – en tout cas pas plus que la moyenne – et ils n’ont même pas toujours conscience de leurs intérêts. De plus, beaucoup d’entre eux se sont plus ou moins résignés après l'échec de mobilisations d’ampleur. Je pense notamment à deux mouvements sociaux, en 2003 et en 2010, qui s’opposaient à des « réformes » des retraites défavorables aux salariés.
Si on regarde les choses de manière plus globale, on peut constater qu’il est très difficile de lutter contre un capitalisme devenu extrêmement agressif depuis les années 1980. Dans de nombreux pays du monde, des gouvernements néolibéraux ont privatisé des services publics, accru les pouvoirs de la finance et des multinationales et organisé une concurrence fiscale entre les États. Les riches sont non seulement devenus plus riches, mais aussi plus puissants politiquement, soutenus qu’ils sont par des gouvernements et des médias complaisants.
Il semble cependant que nous soyons arrivés à un tournant historique. Face à des mesures de plus en plus impopulaires, les peuples ont commencé à se révolter. Le fait qu’un socialiste comme Bernie Sanders ait failli devenir le candidat démocrate, en 2016, montre que le consensus néolibéral s’est fissuré aux États-Unis. Il en va de même pour l’accession de Jeremy Corbyn à la tête du parti travailliste britannique. En France, le mouvement des Gilets jaunes témoigne indiscutablement d’une rupture. On pourra critiquer ces gens tant qu’on voudra, force est de reconnaître qu’ils sont courageux, très en colère, et qu’ils ont d’excellentes raisons de l’être. Et, à l’évidence, ils ont donné des idées et de l’espoir à certains de leurs concitoyens, y compris dans le milieu enseignant. Le mouvement des Stylos rouges s’en inspire. Et de nombreux enseignants – qu’ils soient ou non « Stylos rouges » – mènent depuis quelques mois des actions atypiques pour faire entendre leurs voix : rétention de notes, notation de 20/20 pour tous les élèves, démissions de professeurs principaux, nuit au lycée…. Toutes ces actions ne suffiront pas, sans doute, à émouvoir le gouvernement, mais elles sont suffisamment nouvelles pour attirer notre attention. Elles montrent à la fois un haut degré d’exaspération face au gouvernement actuel et un réel désir de sortir de l’habituelle inertie du milieu enseignant.
Il est probable que toutes ces actions, pour l’instant, ne concernent qu’une minorité de professeurs. Mais il peut arriver qu’une minorité se transforme en majorité. J’écoutais récemment une émission de France Culture à ce sujet. Le chercheur Mehdi Moussaïd, auteur de Fouloscopie, y parlait des effets de groupe. L’un d’eux est particulièrement intéressant. Dans plusieurs espèces, dont la nôtre, il arrive fréquemment qu’un petit nombre d’individus ayant un objectif commun parvienne à influencer un groupe. Il suffirait, en général, que soit atteint un seuil situé entre 5 et 10 %. Bien entendu, cette loi ne s’applique pas à tous les cas : il faut que le groupe ne soit pas dès le départ opposé au but de la minorité. Même si 10 % des membres du Ku Klux Klan étaient d’habiles gauchistes infiltrés, il serait peu probable que cette organisation devienne un jour antiraciste. Mais le cas des professeurs est différent. Malgré leurs divisions, ils n’en ont pas moins des intérêts communs, et de bonnes raisons de s’opposer au gouvernement actuel. Voyons en quoi elles consistent.
Pourquoi tant de haine ?
Je vais ici parler surtout des professeurs de lycée, car ce sont eux qui sont le plus directement concernés par un éventuel blocage du baccalauréat. Mais, comme on va le voir, une bonne partie des motifs que je vais énumérer concerne aussi mes collègues qui enseignent dans les collèges et les écoles primaires.
Tout d’abord je mentionnerai la question des salaires, la première qui est mise en avant par le mouvement des Stylos rouges. Si nous vivions dans un monde beaucoup plus juste que le nôtre, le salaire actuel des professeurs ne serait pas scandaleux. On pourrait très bien vivre décemment avec 1,25 fois le SMIC (salaire d’un professeur débutant), dans une société où il serait facile de se loger à bas prix et où il y aurait de nombreux services publics gratuits et de qualité. Malheureusement, ce monde n’est pas le nôtre, et dans les conditions actuelles, il n’est pas étonnant que beaucoup d’enseignants trouvent qu’ils sont mal payés, eu égard à leur niveau d’études. Comme Thomas More et Manuel Cervera-Marzal, je suis convaincu qu'une société vraiment juste ne ferait plus de différence entre travailleurs intellectuels et travailleurs manuels : tout le monde s'adonnerait alternativement à des activités plutôt manuelles et à des activités plutôt intellectuelles. Hélas! nous ne vivons pas dans une telle société, si bien qu'il paraît difficile de ne pas tenir compte du nombre d'années d'études pour déterminer le niveau d'un salaire. Or, si l’on compare ce que gagne un professeur certifié avec le salaire d'un autre fonctionnaire de catégorie comparable, la différence est frappante : « Les salaires des professeurs, conseillers principaux d'éducation et conseillers d'orientation-psychologues sont systématiquement moins élevés que les salaires des fonctionnaires de catégorie comparable, du fait de la part des primes : en moyenne, ce salaire est égal aux deux tiers du salaire d’un cadre. » (Source : ce document du SNES,datant de 2016). Et il est clair que la situation n’est pas prête de s’améliorer. Sous le quinquennat précédent, l’État avait au moins fait semblant de vouloir revaloriser les salaires des professeurs. Ce n’est plus le cas aujourd’hui.
Un autre motif de mécontentement, c’est le manque de moyens pour financer les heures d’enseignement. M. Blanquer l’a annoncé en septembre dernier, il y aura 18 000 postes supprimés dans le second degré (c’est-à-dire dans les collèges et les lycées) alors qu'il y aura davantage d’élèves ! (Source de l'information : de nombreux articles, dont celui-ci et celui-là). Dans mon lycée, deux postes vont être supprimés, il y aura trois classes et demi et une soixantaine d’heures d’enseignement en moins. Et mon établissement est loin d’être un cas isolé. Ce qui est à prévoir, c’est donc une généralisation des groupes de 35 élèves ou plus – y compris dans les cours de langue, où il n’est pas rare, à l’heure actuelle, qu’ils soient plus de 30.
Cette restriction des moyens est d’ailleurs l’un des motifs invoqués pour rejeter l’actuelle réforme du bac et des lycées. La suppression des séries générales sera en effet bien pratique pour faire des économies sur le dos des élèves et des professeurs. En effet, il sera plus facile de supprimer dans un lycée une spécialité relativement peu choisie par les élèves que de supprimer toute une série. « Quoi, cette spécialité ne concerne que 25 élèves ? Quel scandale ! Liquidez-moi ça immédiatement ! » Mais il y a bien d'autres raisons de s'opposer à l'actuelle réforme du bac. J’en énumère quelques unes à la fin de cet article, en annexe.
J’en viens maintenant à un dernier motif de mécontentement : l’autoritarisme du gouvernement. La fameuse loi « pour une école de la confiance » fait l’objet de nombreuses critiques, mais l’une d’entre elles est particulièrement significative : elle porte sur l’article 1, dont on a de bonnes raisons de penser qu’il pourra être utilisé par ce gouvernement et les suivants pour empêcher les enseignants de critiquer le ministère de l’éducation nationale. Cet autoritarisme transparaît également dans le projet de loi visant à « réformer » la fonction publique. Il y est prévu, notamment, un recours massif à des contractuels, c’est-à-dire à des personnels non fonctionnaires. Ceux-ci sont déjà très présents dans les différentes fonctions publiques, puisqu’ils constituent environ 20 % des personnels. Vouloir y recourir encore davantage, c’est se diriger vers une disparition progressive de la fonction publique. Quel est l’objectif du gouvernement ? S’agit-il de faire des économies, une nouvelle fois ? Oui, sans doute. Mais on peut penser qu’il y a aussi une raison politique à ce projet : les fonctionnaires, à cause de leur fameuse sécurité de l’emploi, peuvent plus facilement se mobiliser contre les gouvernements que des salariés plus précaires. Par ailleurs, une des mesures prévues dans le projet de loi consiste à enlever aux commissions administratives paritaires l’essentiel de leurs compétences. Ces commissions, qui jouent un rôle important dans la carrière des fonctionnaires, comprennent en leur sein des délégués syndicaux. Leurs décisions ne sont pas toujours indiscutables, mais elles jouent malgré tout un rôle de garde-fou contre l’arbitraire de l’employeur. En les privant de la plus grosse partie de leur pouvoir, le gouvernement espère avoir un moyen de pression sur les fonctionnaires.
Mais il n’est nul besoin de se projeter dans l’avenir pour comprendre les intentions du gouvernement. Il suffit de voir comment ce dernier réprime la contestation. Il y a quelques semaines, des enseignants toulousains ont été aspergés de gaz lacrymogène parce qu’ils bloquaient la sortie du rectorat au moment où un véhicule était censé sortir pour apporter des sujets d’agrégation. Bien évidemment, les professeurs ne sont pas les premières victimes de la répression. L’usage répété des grenades lacrymogènes et assourdissantes, des « flash-balls » et autres LBD a mutilé de nombreux Gilets jaunes et blessé gravement plusieurs lycéens – sans même parler de cette vieille dame qui est décédée à Marseille suite à une grenade lacrymogène qui avait atterri dans son appartement... situé au 4ème étage de son immeuble. La violence de toute cette répression a d’ailleurs fait l’objet de critiques en France, mais aussi à l’ONU, au Conseil de l'Europe et au Parlement européen.
De manière générale, il semble bien que les gouvernements néolibéraux – en France comme dans d’autres pays – soient de plus en plus tentés de répondre par la force ou le recours à la justice pénale pour réprimer des oppositions politiques. En témoigne, par exemple, ce projet de loi liberticide qui risque d'être bientôt voté au Parlement européen avec l’appui de la France et de l’Allemagne.
Bloquer le bac est-il une bonne stratégie ?
Revenons à nos professeurs (j’allais dire à nos moutons, mais j’ose espérer que les membres du corps enseignant ressemblent de moins en moins à ces paisibles quadrupèdes). J’ai tenté de montrer qu’ils ont de bonnes raisons de s’opposer au gouvernement actuel. Il s’agit maintenant de savoir si le blocage du baccalauréat constituerait une bonne stratégie.
Telle que je viens de la poser, je ne peux que répondre négativement à cette question. Bloquer le bac n’est pas une bonne stratégie, tout simplement parce que ce n’est pas du tout une stratégie. Au sens propre du terme, une stratégie est un plan d’ensemble dont le but est de gagner un conflit. Une action ponctuelle peut avoir un intérêt tactique, mais elle ne saurait à elle seul constituer une stratégie. Une grève le 17 juin, pour avoir du sens et une efficacité, doit donc être conçue comme un élément d’un ensemble.
En amont, il s’agit d’amplifier des actions – manifestations en tout genre, démissions de professeurs principaux, rétentions de notes…. – afin de faire pression sur le gouvernement et d’informer les parents et l’ensemble de la société. La menace d’un blocage du bac aura d’autant plus de chances d’être efficace et légitime qu’il y aura eu auparavant des tentatives pour faire fléchir le gouvernement. Il faudra que les professeurs soient en mesure de dire : « Nous nous sommes exprimés, et nous n’avons pas été entendus. Nous en sommes donc réduits à faire une action pénible pour tout le monde, et c’est d’abord le gouvernement qui en est responsable. »
Ensuite, il serait un peu naïf de penser qu’un seul jour de grève, le 17 juin, suffira à renverser le rapport de forces. Il faudra que les professeurs se préparent, dès maintenant, à une grève reconductible, véritable bras de fer avec le gouvernement. Dans cette optique, les syndicats et d’autres organisations plus informelles, comme les Stylos rouges, devraient dès maintenant réfléchir à la création de caisses de solidarité.
Enfin, il serait évidemment utile aux professeurs d’associer leurs luttes à celle de tous les fonctionnaires, et plus généralement de tous les salariés – et en particulier des Gilets jaunes. Il ne serait pas non plus inutile de s'associer au mouvement écologique, et notamment aux marches pour le climat. Car les problèmes sociaux et écologiques ont au moins une origine commune : l'appétit débridé des capitalistes. C’est la grande majorité de la société française qui souffre – et va souffrir dans l’avenir – du néolibéralisme autoritaire. Le « progressisme » de monsieur Macron et de ces amis se résume en quelques recettes merveilleuses, qui remontent pour la plupart à l’ère Thatcher-Reagan : creusement des inégalités sociales, cadeaux fiscaux aux plus riches, effritement du droit du travail et de la protection sociale, privatisations, déliquescence des services publics, liberté de polluer pour les entreprises industrielles et répression de plus en plus brutale de la contestation politique. Tout cela est en sens terrifiant. Mais ces mesures vont tellement contre l’intérêt général qu’elles pourraient susciter un vaste soulèvement, et pas seulement en France.
Dans une telle perspective, le blocage du baccalauréat pourrait apparaître comme une mesure à la fois légitime et efficace, et bien moins violente que le néolibéralisme autoritaire de nos gouvernants.
Annexe : pourquoi la réforme du bac et des lycées est de plus en plus impopulaire
Une réforme menée de manière précipitée et autoritaire
Visiblement, le ministère de l’éducation nationale a voulu accélérer les choses, sans doute pour pouvoir achever son œuvre (la création d’un nouveau baccalauréat) avant les prochaines élections présidentielles. Un indice de cette précipitation ? Les élèves de seconde, cette année, doivent assimiler un programme censé les préparer au bac ancienne mouture. L’an prochain, par contre, ils auront affaire à un programme d’un genre nouveau, censé les préparer au bac à la sauce Blanquer. Voilà qui n’était pas très cohérent. La moindre des choses aurait été d’attendre encore un an, pour que les programmes des trois années de lycée soient en phase les uns avec les autres.
La précipitation implique en général l’autoritarisme, le refus d’un véritable dialogue. C’est ce qu’ont pu constater le conseil supérieur de l’enseignement et le conseil supérieur des programmes, qui a été repris en main par le ministère de l’éducation nationale alors qu’il était censé être un organe indépendant.
Le baccalauréat cesse d’être un diplôme national
Il est prévu que 40 % de la note globale résulte du contrôle continu. Les chefs d'établissement et les professeurs subiront donc des pressions entraînant une trop grande indulgence dans la manière de noter ou dans le choix des sujets, voire des fraudes (phénomène déjà répandu au Royaume-Uni).
De plus, le bac cessera d'être un diplôme national. La réputation d'un établissement – qu'elle soit ou non méritée – servira de critère de sélection, y compris pour les filières naguère non sélectives : depuis la mise en place de Parcoursup, l'an dernier, les universités peuvent sélectionner les bacheliers.
Une pseudo-liberté de choix
Le remplacement des séries générales par des spécialités est censé donner aux élèves une grande liberté de choix. En réalité, cette liberté sera très limitée. Toutes les combinaisons de spécialités ne seront pas possibles, à la fois pour des raisons d'organisation et par manque de moyens financiers. Dans mon établissement, le proviseur a clairement annoncé que le choix serait limité, et que les combinaisons proposées aux élèves correspondraient plus ou moins aux anciennes séries. Cela dit, il y aura une différence notable entre le système actuel et celui que M. Blanquer veut mettre en place : le choix des spécialités effectué par les élèves à la fin de la seconde sera plus déterminant pour les études post-baccalauréat que le choix des séries. C'est pourquoi beaucoup d'élèves et de parents s'inquiètent : en seconde – plus encore qu'en terminale – les élèves ont bien souvent une idée bien floue de ce que sera leur avenir.
J'en profite pour faire une remarque importante : si les professeurs sont mécontents, ce n'est pas uniquement à cause du gel de leur salaire ou de la dégradation de leurs conditions de travail : c'est aussi parce qu'ils sont soucieux de l'avenir des jeunes gens qui leur sont confiés (mais aussi de leurs propres enfants, quand ils en ont). Car, aussi incroyable que cela puisse paraître, nombre d'enseignants aiment bien leurs élèves !
Nouvelle dégradation du bac professionnel
Un autre problème de la réforme du bac concerne le secteur professionnel. En 2009, la durée de la préparation au baccalauréat professionnel est passée de 4 à 3 ans, ce qui avait contribué à dégrader ce diplôme. Dix ans plus tard, cette durée va encore être réduite d'une année.
Des programmes pour le moins contestables
On pourrait encore mentionner le fait que les nouveaux programmes sont rejetés par des professeurs des différentes disciplines. Voici quelques exemples.
La disparition des maths du tronc commun (due probablement à la difficulté de recruter des professeurs dans cette discipline) obligera les élèves qui en ont besoin à prendre la spécialité mathématique, dont le niveau sera nettement plus élevé que celui des maths enseignées à l'heure actuelle en section ES, d'après ce que m'a dit Serge Ermisse, professeur de mathématiques dans mon établissement, qu'on peut entendre dans cette interview. Que faire, par conséquent, des élèves qui n'ont pas un excellent niveau dans cette matière mais qui risquent d'en avoir besoin plus tard, après le baccalauréat ? (Autre source d'information sur ce problème : cet article)
Au sujet du programme de philosophie, on pourra lire avec profit ce billet bien argumenté et bien écrit.
Enfin, voici deux extraits d'une lettre envoyée au ministre de l'éducation nationale par les professeurs de lettres de mon lycée :
« […] Quelles que soient les instances à l'origine des nouveaux programmes de Français, il ne fait pas de doute que les personnes qui vous ont conseillé, Monsieur le Ministre, n'ont jamais enseigné dans un lycée. Ces programmes, il est évident qu'ils ne pourront être décemment menés à terme avec des horaires disciplinaires inchangés, des œuvres supplémentaires, et un ambitieux programme de grammaire. C'est là leur première et criante faiblesse. Nous ne pourrions qu'être condamnés au saupoudrage, à la superficialité.
Ensuite, puisqu'il fait tout dire, le programme de Première est un véritable coup de canif dans la liberté pédagogique, fondement même de notre métier et, hélas, l'un de ses seuls avantages encore. Imposer des œuvres, même dans une liste de douze, c'est tout simplement en finir avec le plaisir d'enseigner et de transmettre le patrimoine littéraire que l'on aime. […]
D'autre part, organiser la rotation des œuvres et changer pour moitié le programme chaque année en classe de Première nous paraît gravement dommageable à la qualité de l'enseignement. En effet, vous savez, Monsieur le Ministre, qu'un programme se travaille dans la durée et se rode, s'améliore et s'expérimente. Or, vous semblez organiser un véritable zapping littéraire, extrêmement insécurisant pour le professeur, toujours happé par l'urgence de préparer de nouveaux cours. Ainsi, les enseignants de Français en lycée, déjà submergés de copies comme vous en conviendrez, seront les seuls dont la moitié du programme sera obsolète chaque année. [...] »