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Billet de blog 1 mars 2022

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Ligne 18 – Intox 2- L’incohérence de relier 3 bassins totalement disparates

La ligne 18 Orly- Versailles a pour velléité de relier les 3 bassins d’Orly, Massy et Versailles. En réalité, il s’agit d’un axe de transit qui traverse sans les desservir trois territoires extrêmement différents, qui fonctionnent indépendamment les uns des autres.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

DÉFINITIONS

Actifs occupés / Actifs totaux

La population active « occupée » comprend l’ensemble des actifs ayant un emploi. La population active « totale » comprend les actifs occupés et les chômeurs.

Pôle d’emploi / Bassin d’emploi

Un « pôle d’emploi » est une concentration d’activités économiques et d’emplois sur un espace géographique restreint. Un « bassin d’emploi » est l’aire d’attraction d’un pôle d’emploi, qui génère une attraction positive de population en activité sur son territoire environnant (les flux sont centripètes).

Pôle de main-d’œuvre / Bassin de main-d’œuvre

Un « pôle de main-d’œuvre » est une concentration de population active (ayant un emploi ou en recherchant un) sur un espace géographique restreint. Un « bassin de main-d’œuvre » est l’aire de diffusion d’un pôle de main-d’œuvre occupée sur son espace environnant (les flux sont centrifuges).

Aire directe / Aire diffuse

L’« aire directe » d’un pôle désigne sa zone d’attraction principale. Plus le pôle est spécialisé, plus l’aire directe est restreinte. L’« aire diffuse » d’un pôle est sa zone d’attraction secondaire, qui s’étend au-delà de son aire directe. Plus le pôle est spécialisé, plus l’aire diffuse est vaste.

Migrations alternantes

Ce sont les déplacements quotidiens entre le domicile et le travail. On les appelle aussi « mouvements pendulaires ». Les actifs qui effectuent ces déplacements s’appellent des « migrants alternants » ou encore des « navetteurs », faisant chaque jour deux navettes aller et retour.

Sortants / Entrants

Les « entrants » sont des actifs venant de l’extérieur occuper un poste situé en dehors de leur lieu d’habitat. S'ils alimentent un pôle d'emploi, leurs flux principaux permettent de déterminer le bassin d'emploi.

 Par opposition, les « sortants » sont des actifs ayant un emploi, qui quittent leur commune de résidence pour aller travailler. S'ils partent d'un pôle de main-d’œuvre, les flux les plus importants servent à déterminer le bassin de main-d’œuvre.

Travail « sur place » / Emploi « sur place »

Le premier terme désigne le travail rémunéré de ceux qui exercent leur activité dans leur commune de résidence. Le deuxième terme désigne l'emploi occupé par ceux qui habitent et travaillent dans leur commune de résidence.

Pour en savoir plus, voir site de J. LORTHIOIS, in « Concept généraux » https//j-lorthiois.fr/concepts-generaux/distinguer-les-bassins-sans-les-confondre

N.B. Sauf indication contraire, les statistiques citées proviennent du recensement Insee de 2016, afin d’être en cohérence avec les dernières statistiques disponibles des déplacements domicile-travail.

I. LE BASSIN D’ORLY : UN PÔLE AÉROPORTUAIRE SANS ANCRAGE LOCAL, AVEC UNE AIRE DE   RECRUTEMENT DE 670 COMMUNES

 Le bassin d'Orly est structuré par un pôle éminemment métropolitain - un grand aéroport international - sans lien avec le territoire local sur lequel il est implanté. Outre cette fonction transport, le pôle assure un rôle économique avec une concentration d’activités sur la plateforme aéroportuaire totalisant 28 000 emplois en 2019 (note 2). Mais il n’exerce aucunement la fonction de centralité urbaine assignée en principe à un site de gare du Grand Paris Express : son offre de transport est quasi entièrement destinée à desservir les usagers de l'aéroport et les touristes. Bien entendu, disposer d’une liaison rapide avec la capitale est absolument stratégique : d’où l’utilité de la ligne 14 en cours de travaux, mais aussi pour le moment Orlyval raccordé au RER B, ainsi que des lignes de bus dédiées. A l’inverse, la liaison future avec Versailles qu’assurerait la ligne 18 apparaît très accessoire.

Et surtout le pôle d’Orly n’exerce aucune fonction habitat, puisque les servitudes aériennes y interdisent les constructions de logements dans un périmètre de proximité. Il faut dépasser les 2 km de rayon autour de la gare pour trouver 30 à 40 000 habitants - et non 173 000 dans un rayon d’1 km comme affirmé sur le site de la Société du Grand Paris (SGP),  ainsi que le montrent les figures 2 et 3 d’un article précédent de ce blog[1]. De plus, ces résidents travaillent très marginalement sur la plateforme et une gare leur serait d’une grande inutilité. Une grosse étude « Enjeux et perspectives socio-économiques et territoriales de l’aéroport d’Orly », effectuée en 2021 par Jean-Louis Husson et moi-même[2] fait le point à ce sujet et démontre la modestie de l’impact local du pôle en matière d’emploi sur son espace environnant. Sur une cinquantaine de communes affichant les plus gros flux de travailleurs vers l’aéroport (situées dans un rayon de 15 km), totalisant 820 000 actifs dont 715 000 occupant un emploi, le pôle d’Orly ne fournit que 2,3% des postes de travail nécessaires aux populations.

Dans le chapitre sur le territoire que j’ai rédigé, je tente d’identifier le périmètre du bassin d'emploi d'Orly. Mais quel(s) critère(s) utiliser ? Autrefois, l’Insee considérait que pour rattacher une commune à un bassin d'emploi, il fallait qu’au moins 40% de ses actifs occupés travaillent dans le pôle d'emploi structurant ce bassin. Mais l'étalement urbain et la mobilité de la main-d’oeuvre sont devenus tels, qu’il est impossible de conserver ce critère d'appartenance, surtout en Île-de-France. C’est particulièrement le cas de pôles spécialisés comme Orly ou Roissy, dont les emplois sont concentrés sur une palette fort étroite de filières d’activités et de professions, qui correspondent très faiblement à la diversité des métiers et des compétences de la main d'œuvre locale. Plus simplement aujourd’hui, est considéré comme appartenant à un bassin d’emploi, une commune dont les déplacements domicile-travail de ses actifs ont pour destination principale le pôle qui exerce son attractivité sur ce bassin.

En appliquant ce critère, on rattache alors à Orly deux localités à titre principal : Athis-Mons et Villeneuve-le-Roi. On peut leur adjoindre secondairement Savigny-sur-Orge avec Orly en 2e rang (après Paris 13e), ou encore Ablon-sur-Seine rattaché en premier rang à Villeneuve-le-Roi et en second à Orly. Une commune-pôle et 4 villes de rattachement ne peuvent suffire à déterminer un bassin d’emploi, qui comprend généralement 30 à 50 communes. Par voie de conséquence, Orly ne constitue pas un pôle d'emploi au sens habituel du terme. C’est pourquoi, pour traduire cette spécificité, j’ai créé dans les années 90 - dans un guide méthodologique édité par l’ANPE[3]- la notion de « pôle d’activités » : « une concentration d'activités et d'emplois », qui génère non pas un « bassin d’emploi », mais un « bassin d'activités » que je caractérise comme « l’aire secondaire d'attraction d'un pôle d'activités ». Celui-ci, à la différence d'un pôle d'emploi, ne joue pas un rôle de structuration spatiale majeur sur son espace environnant et son bassin d’activités fonctionne en vase clos.

Précisons que la faible attraction locale d'Orly se retrouve au sein même de ce qu’on appelle le « Cœur de pôle », les 3 localités qui concentrent les activités de l’aéroport : outre Orly, Paray-Vieille-Poste et Wissous. Dès la commune de Wissous située à l’ouest immédiat d’Orly, le pôle ne vient qu'en 7e position pour les destinations domicile-travail, tandis qu’Antony vient en premier rang. D’où une organisation territoriale du bassin d’Orly totalement déséquilibrée, avec un Cœur de pôle de 3 communes (Orly, Paray-Vieille-Poste, Wissous) et une « aire directe » particulièrement indigente de 4 autres localités. A l’inverse, j’ai déterminé une « aire diffuse » gigantesque, couvrant 660 communes et 10 départements, comprenant toute l’Ile-de-France et allant jusqu’en Eure-et-Loir et en Loiret recruter sa main d'œuvre. Par ailleurs, notons que 80% des actifs travaillant à Orly s’y rendent en voiture, ceci en raison de l’importance du « travail posté »[4], puisque l'aéroport fonctionne de 6 h du matin à 23 h 30. Phénomène aggravé par la très grande dispersion des lieux de résidence des travailleurs d’Orly, soit un territoire aréolaire qui s’étale du sud au nord sur plus de 100 km de diamètre, avec une myriade de tous petits flux - 2 ou 3 par ci, 3 ou 4 par là -, impossible à traiter par transport en commun, surtout une offre linéaire de métro, de surcroît orientée est-ouest.

En synthèse, le bassin de proximité généré par le pôle d’Orly est inexistant. Quant à son aire d'attraction, je constate qu’il faudrait aller au-delà de 4 km, afin de trouver une masse de populations significative, mais dont les actifs travaillent à 2% dans le Cœur de pôle (tableau figure...) score dérisoire ne pouvant justifier la fonction « emploi » d’une gare. Sans compter que cet élargissement prendrait en compte dans son périmètre deux autres stations de la ligne 14. En conséquence, contrairement à ce qui est indiqué sur le site de la SGP, j’ai conclu dans mon article précédent que la gare « Aéroport d’Orly » ne dessert aucun habitant dans un rayon d’1 km alentours et par conséquent aucun travailleur.

Ainsi, le chiffre de 173 000 habitants desservis, indiqué sur le site de la SGP, ne repose sur aucune réalité.

II. 2EME CAS :

LE BASSIN DE MASSY, UN POLE URBAIN MULTI-FONCTIONS ; DES RISQUES D’URBANISATION AGGRAVÉE SUR LE PLATEAU DE SACLAY

Cette fois-ci, il s’agit d’un vrai bassin d’emploi, constitué autour d’un Cœur de pôle de 3 communes (Antony, Massy et Palaiseau) qui concentre 146 300 habitants et 67 000 emplois, avec une aire d’influence d’une trentaine de communes, dont un « bassin satellite » Orsay/Saclay/Gif-sur-Yvette/Villiers-le-Bâcle de 43 000 habitants, 18243 actifs occupés et 26 000 emplois. La carte ci-dessous (figure 1) établie en 2017 (donc basée sur le recensement de 2013) montre la configuration territoriale de ce bassin. Comme celui d’Orly, Il est organisé sud-nord, avec un territoire largement développé au sud de Massy en Nord-Essonne - dans un rayon d’une quinzaine de km - et composé de quelques communes au nord (outre Antony dans les Hauts-de-Seine, Verrières-le-Buisson, plus accessoirement Chatenay-Malabry...)

Illustration 1
Figure 1 © J. Lorthiois

En ce qui concerne le bassin de main-d’œuvre, il est fortement dominé par deux catégories de flux. Tout d’abord des échanges internes entre communes du bassin : les actifs sont environ 13 000 à converger vers le Cœur de pôle, sans compter des flux entre les autres communes ; ensuite, d’importants flux vers Paris. En témoignent les « sortants » du Cœur de pôle œuvrant dans la capitale, qui représentent 13 237 travailleurs, soit près de 20 % des actifs résidents. Comme on le voit sur le graphique ci-dessous (Figure 2), viennent en tête les destinations du Quartier Central des Affaires (QCA : 1er et 2e, 8e et 9e, 16e et 17e arrondissements), du pôle Montparnasse (15e-14e) et de Bercy/Italie (12e-13e). Au total, le bassin de Massy fonctionne de façon relativement autonome au sein de la banlieue du Nord-Essonne et du Sud-Hauts de Seine. Sa dépendance avec Paris rend le RER stratégique (ligne B et accessoirement C).

Illustration 2
Figure 2 © J. Lorthiois

Les déplacements domicile-travail du bassin satellite de Saclay sont de nature assez différente : on relève un taux d’« emploi sur place » de 22%, lié sans doute à la résidentialisation de salariés d’établissements anciens (CEA, Université...) et 8% de flux internes entre les 4 communes. Par ailleurs, on relève 11% de « sortants » vers Paris. Mais l’essentiel des flux viennent des communes situées au sud du plateau. Ces trois catégories de déplacements ne relèvent pas d’un transport lourd de type ligne 18 - encore moins est-ouest - de plus avec des gares distantes en moyenne de 3 km : les flux de proximité réclament un maillage de desserte beaucoup plus fin avec des moyens légers. Quant aux destinations vers Paris, les actifs utilisent les lignes existantes sud-nord. Il y a très peu d'échanges transversaux est-ouest entre le plateau de Saclay et les communes côté Yvelines, comme on le verra au point IV.  

Compte tenu de cette pénurie d’échanges extérieurs, il y a fort à craindre que si la ligne 18 était réalisée, elle serait tellement déficitaire, qu’on serait tenté pour la rentabiliser d’urbaniser massivement le site.

Rappelons que le plateau de Saclay a échappé à l'urbanisation, parce qu’il s'agit d’un territoire délimité par des vallées encaissées, difficile d'accès et peu propice à l’habitat. Donc le risque est énorme si l'on devait réaliser cette ligne 18 d'implanter une ville nouvelle dans un isolat géographique, qui n'ait aucune autre fonction urbaine significative que le logement. Quant aux activités économiques ultraspécialisées en Enseignement-Recherche qui y sont localisées, elles fonctionnent en vase clos avec un faible niveau actuel de coopération interne entre établissements et sont peu créatrices d’emplois induits utiles aux populations résidentes (services de proximité, équipements de culture-loisirs, activités sanitaires et sociales, services publics, économie sociale et solidaire). Il est à craindre alors un fonctionnement de ville dissociée : des chercheurs préférant habiter dans les vallées et venir en voiture, ou résider à Paris/proche couronne et arriver tous les jours en transport en commun nord-sud. A l’inverse, vu l’absence de centralité urbaine, les logements seraient difficiles à pourvoir et risqueraient d’être occupés en majorité par des populations modestes, assignées à résidence, trop peu qualifiées pour travailler sur place : elles devraient emprunter le réseau existant, le RER B, avec son lot de galère des transports. En conséquence, on fabriquerait une caricature de ville sur le plateau de Saclay, venant effacer sa vocation historique de grenier alimentaire de l’Ile-de-France.

III. 3EME CAS : LE BASSIN DE SAINT-QUENTIN-EN-YVELINES / VERSAILLES : UN FONCTIONNEMENT EN AUTONOMIE AVEC LE PÔLE MONTPARNASSE

Le pôle de Guyancourt et sa gare « Saint-Quentin Est » se trouvent sur le trajet projeté de la ligne 18, après la gare « CEA Saint-Aubin » et avant celle de « Satory » (Versailles). Nous avons établi une carte (Figure 3) qui montre les attractions de cette commune-pôle, basées sur le recensement Insee de 2016. Nous constatons que le bassin d'emploi est organisé cette fois Ouest-sud-ouest /Est nord-est, alors que le la ligne 18 au-delà de Versailles devient nord-sud, ce qui correspond très faiblement aux flux domicile-travail indiqués sur la carte. Nous observons aussi que le bassin d’emploi de Guyancourt est composé d’une quarantaine de communes allant de Rambouillet et Beynes à l'ouest, jusqu'au 17e arrondissement et Massy-Antony à l’est. Au sein de l’agglomération de Saint-Quentin-en-Yvelines, le plus gros flux concerne Montigny-le-Bretonneux : 1068 actifs résidents de Montigny vers Guyancourt, 1060 en sens inverse. Une relation de proximité entre deux communes contiguës qui n'a aucunement besoin d’un transport lourd. Le seul trajet notable que pourrait assurer la ligne 18, c'est celui des Guyancourtois allant à Versailles, notamment les travailleurs au nombre de 1152 personnes, et en sens inverse, 1127 Versaillais actifs vers Guyancourt. Des déplacements de proximité somme toute fort modestes (8,2 % des actifs occupés de Guyancourt, 3% de ceux de Versailles) : à nouveau, une offre de métro est disproportionnée au regard de la demande.

Illustration 3
Figure 3 © J. Lorthiois

Les relations situées à l'ouest ne sont pas desservies par la ligne 18, à commencer par l’intercommunalité de Saint-Quentin-en-Yvelines, dont les flux sont présentés dans le tableau qui suit (Figure 4). Au total, l’agglomération fournit plus de 10 000 travailleurs à Guyancourt, y compris les actifs « sur place » : des relations de proximité assurant un tiers de ses emplois. Les communes du bassin situées au nord-est ne seraient également pas desservies par la ligne 18. Citons par exemple Suresnes ou encore Boulogne-Billancourt et son arrière-pays (Meudon, Sèvres, Chaville, Clamart...) et bien sûr Paris Sud (16e, 15e, 14e et 13e).

Illustration 4
Figure 4 © J. Lorthiois

En ce qui concerne Versailles, j'ai déjà démontré dans une conférence [5] que cette ville entretient une relation privilégiée avec ce qu'on appelle le quadrant sud-ouest de l’agglomération parisienne [6]. Il s’agit de liens privilégiés entre un ou plusieurs arrondissements de Paris, spécialisés dans des filières d’activités, qui se sont propagées ensuite le long des axes de transports vers la proche banlieue, puis vers la Grande Couronne. La main-d’œuvre a essaimé elle aussi à l’intérieur de ce faisceau. Le quadrant sud-ouest parisien spécialisé dans les emplois publics et administratifs prend son origine dans le quartier des Ministères autour de Matignon (7ème arrondissement). Ce centre de décision gouvernemental s’appuie sur des services administratifs localisés dans les immeubles de bureaux du 15e arrondissement. Les cadres plus aisés de ce pôle public résident dans le 15e ; d’autres à Boulogne et ses communes environnantes (Meudon, Sèvres, Chaville, Clamart), d’autres encore sont localisés dans des villes plus lointaines comme Versailles ou Saint-Quentin-en Yvelines. Les personnels moins qualifiés (catégorie C) habitent des quartiers populaires comme Trappes. Les travailleurs utilisent la ligne N et le RER C vers la gare Montparnasse. Ainsi, le bassin d’emploi de Guyancourt ou de Versailles comprend deux faisceaux : l’un au sud-ouest drainant les populations de Saint-Quentin-en-Yvelines et plus loin le bassin rural de Rambouillet ; l’autre, au nord-est, est composé d’un chapelet de communes le long de la ligne SNCF vers le pôle Montparnasse. Ce qui montre l’inutilité d’une offre de transports banlieue/banlieue transversale.

IV. RELATIONS ENTRE PÔLES : 3 BASSINS FORTEMENT DIFFÉRENCIÉS SANS LIENS ENTRE EUX

 Les bassins d’Orly, Massy et Versailles étant de nature très différente, les liens entre eux sont fort ténus. En conséquence, quel intérêt y a-t-il de les relier ?

A/ Orly-Massy

Faire croire que la ligne 18 serait d’une utilité quelconque pour relier le bassin d’Orly à Massy est une fable qui ne repose sur aucune réalité. Qu’on en juge : les flux des 3 villes du Cœur de pôle de Massy en destination du Cœur de pôle d’Orly, représentent 1209 travailleurs, soit 1,8% des actifs occupés du pôle de Massy. En sens inverse Orly-Massy, les flux domicile-travail totalisent 325 actifs, soit 2% de la main-d’œuvre en emploi du Cœur de pôle d’Orly.  

Entre les 4 communes du plateau de Saclay et Saint-Quentin-en-Yvelines, les échanges domicile-travail sont pratiquement inexistants, d’autant plus que les deux gares CEA de Saclay et Saint-Quentin Est sont distantes de 7 km en pleine campagne (flux des 4 communes vers Guyancourt, 1,7% ; vers Versailles, 1,4% de la main-d’œuvre occupée), encore moins avec le bassin d’Orly (flux des 4 communes vers Orly : 0,6% des actifs occupés !)...

B/ Guyancourt-Massy

Sur la carte du bassin d’emploi de Guyancourt, nous observons très peu de liaisons avec le bassin de Massy. Et dans l’autre sens, les Guyancourtois fournissent aux 4 principales destinations (Antony, Massy, Palaiseau, Gif-sur-Yvette) un apport de 759 actifs, ce qui couvre 1% des besoins de main-d’œuvre de ces communes !

C/ Versailles-Défense

Les relations de Versailles et de son bassin avec la Défense sont extrêmement faibles. Il n’y a guère de liens possibles entre d'une part un centre urbain attractif comme Versailles, ville historique dotée d’un pôle d’emplois de tertiaire administratif, et d'autre part un quartier d’affaires comme La Défense, pôle d'emploi privé spécialisé dans les filières de Banques-Assurances, Énergie, Sièges sociaux de grandes entreprises et fonctions supports (ressources humaines, juridique, comptabilité, informatique...)

Ce ne sont ni les mêmes activités, ni les mêmes métiers : quelle serait la demande ? Rappelons que les flux entre pôles d’emplois représentent 3% du total des déplacements domicile-travail selon l’Enquête Globale des Transports IDF 2010... Ils seraient encore plus marginaux dans le cas de pôles spécialisés...

V. UNE STRUCTURE DES EMPLOIS ORIGINALE DES TROIS PÔLES

La singularité de chaque bassin est confirmée par une analyse des emplois des 3 pôles Orly /Massy / Versailles, répartis par grandes « familles professionnelles » en 2018 (voir en annexe la présentation de cette source statistique Insee). Le graphique ci-dessous (figure 5) montre 3 histogrammes très typés, traduisant l’originalité de chacun des pôles, donc des bassins étudiés ici.

Illustration 5
Figure 5 © J. Lorthiois

Orly possède une structure de l’emploi très spécialisée sur quelques filières liées à l’activité aéroportuaire : on observe sur le graphique l’importance des professions de Transport logistique (32,5%), suivies loin derrière par les Services de proximité (10, 9%) qui englobent les métiers de la Sécurité et de l’Hôtellerie-restauration. Citons encore la Gestion (9,6%) qui concerne les professions de l’administration des entreprises, du directeur à la secrétaire ; ou encore la filière Entretien-Réparation (8,1%) où l’on trouve par exemple les ouvriers d’entretien ou les techniciens de maintenance aéronautique.

Le profil de Massy est très différent : il s’agit d’un pôle doté de fonctions urbaines bien développées, avec une répartition de filières multi-spécialités. En tête, les professions de Gestion (20,1%) fortement représentées, en raison d’un tissu dense d’entreprises dans les zones d’activités de la ville. Viennent ensuite les filières qualifiées de Conception-Recherche et de Prestations intellectuelles (18,6%). Mais on trouve aussi bon nombre de services aux populations, soit 17,6% regroupant les catégories Santé/social, Services de proximité, Éducation-formation. Enfin, on observe aussi des activités plus classiques, commerciales (Distribution, Commerces inter-entreprises, 14 %) et de Logistique (7,5%).

Versailles affiche des caractéristiques bien spécifiques, avec une forte spécialisation de professions administratives du secteur public (27%). La ville représente la base arrière du pôle d’emploi public parisien Matignon/Montparnasse que nous avons détaillé plus haut. Le bassin de Versailles/Saint-Quentin possède une structure de l'emploi harmonieuse Habitat/Travail, avec un taux d’emploi sur place de 35% qui constitue un record en banlieue francilienne. Un tel centre urbain n’a nul besoin d’une offre de transport transversale, qui le relierait à d’autres pôles ayant des profils d’emploi moins adaptés.

En synthèse, il y a très peu de liens entre ces 3 bassins qui sont organisés de façon totalement différentes, tant du point de vue de l’emploi que de la main d'œuvre. En conséquence, vouloir relier transversalement ces 3 bassins est une hérésie. J'ai déjà étudié la question lors de l’avis que j’ai exprimé dans le cadre de la dernière enquête publique [7]. Sur la carte ci-après que j’ai produite (figure 6) les données indiquées montrent que le long du tracé envisagé de la ligne 18, les flux à l'intérieur des 3 bassins sont 21 fois supérieurs aux flux entre les bassins.

Illustration 6
Figure 6 © J. Lorthiois

Pour justifier un axe de transit telle que la ligne 18, il faudrait peu de déplacements de proximité et beaucoup de déplacements lointains. C’est exactement le contraire que nous constatons sur l’ensemble des territoires traversés.

On objectera à notre analyse qu'il y a un bassin d'emploi en formation sur le plateau de Saclay. Qu'il nous soit permis d'en douter. En effet il s'agit d'implanter côte à côte des grandes unités d'enseignement recherche, dont on n’a nullement la garantie qu'elles travailleront ensemble. Une première tentative effectuée il y a des années s’est soldée par un échec.

De plus, on peut s'interroger sur la pertinence d'une proximité physique à l'heure de l'ubiquité des échanges à l'échelle planétaire. La proximité géographique de l'École Polytechnique et de HEC dès les années 70 n'a pas empêché ces deux grandes écoles de pratiquer un splendide isolement, qui s’est encore traduit dans les années récentes par le refus de Polytechnique et de ses satellites d’intégrer l’université Paris-Saclay. Rien ne prouve qu'à l’avenir, il n’y aura pas d’autres éclatements de cette nouvelle entité. Celle-ci a certes obtenu en 2021 le 13e rang au classement de Shanghai, mais ce score est dû uniquement à une addition de prix Nobel, médailles Fields et nombre de publications scientifiques qui aurait été obtenue tout autant, en cas de regroupement sous une bannière commune, sans déménagements. L'objectif d'une « Silicon Valley à la française » apparaît bien démodé à l'heure de l'explosion des échanges numériques et la crise sanitaire que nous traversons avec la multiplication des visioconférences et autres webinaires ont fait voler en éclats les besoins des échanges présentiels quotidiens.

Par ailleurs, constatons que les établissements d'enseignement recherche regroupés sur le plateau de Saclay existaient déjà auparavant. Donc il ne s'agit pas d'emplois nouveaux, mais d'emplois déplacés. Nous n’avons pas de garantie que ces déménagements puissent augmenter les échanges et entraîner un certain développement des établissements. Et au niveau de l'île de France, il s’agit d'un jeu à somme nulle, voire négative, en cas de regroupement de certaines activités. Certes, le cluster de Paris-Saclay va peut-être créer quelques start-ups supplémentaires, toutefois constatons que celles qui décollent s’implantent au cœur de Paris intra-muros, afin de bénéficier des aménités urbaines exceptionnelles de la capitale. Faisons observer que dans la ville de San Francisco, il y a davantage de start-ups que dans la Silicon Valley (la vraie !)

Enfin, n’oublions pas que dans l'évaluation socio-économique des lignes du Grand Paris Express, le critère « emplois nouveaux » fait partie des bénéfices soi-disant engendrés par les lignes nouvelles. Dans le cas d'emplois déplacés, ce critère n’est plus valide.

Pour toutes ces raisons, on a beau tordre la réalité, la ligne 18 n’est ni utile aux habitants, ni utile à la desserte des emplois. Réaliser un tel axe serait une gabegie de fonds publics. En aucun cas, l’offre est-ouest dissuaderait les habitants d'utiliser leur voiture pour des trajets principalement sud-nord pour les bassins d’Orly et de Massy et Ouest-sud-ouest/Est-nord-est pour les deux agglomérations de Saint-Quentin-en-Yvelines/Versailles. Par ailleurs, la crise sanitaire a révélé le désamour qui frappe les grandes métropoles. Le projet du Grand Paris de Sarkozy en 2007 paraît fortement daté, au regard des aspirations nouvelles des populations, qui souhaitent habiter de préférence des villes moyennes de 30 000 habitants, avec des trajets domicile-emploi de proximité, des transports de desserte de type léger, une part de télétravail et des circuits courts de consommation. Exactement à l’opposé de l’offre du Grand Paris et de son métro Grand Paris Express, qui permettrait de traverser l’Ile-de-France de part en part. Et à l’inverse des comportements des Franciliens, qui subissent des déplacements contraints domicile-travail de 15 km aller dont les distances ne cessent d’augmenter, alors que leurs déplacements choisis (sport, loisirs, écoles, commerces, services publics...) ne dépassent pas 4 km et ne cessent de diminuer. Dans ces conditions, la vision d’une densification autour des gares, qui ferait exploser les déplacements apparaît largement obsolète, en contradiction totale avec les préconisations du GIEC qui prônent la sobriété et la résilience.

ANNEXES

Illustration 7
Figure 7 © J. Lorthiois

PRÉSENTATION DE LA SOURCE INSEE   « FAMILLES PROFESSIONNELLES»

La notion de « familles professionnelles » repose sur une classification des emplois, fondée sur l'analyse des contenus des professions exercées par les personnes. On se base sur l'activité individuelle du travailleur, quelle que soit l'activité collective de l'entreprise. Exemple : un mécanicien, salarié d’Air France, qui redresse une aile d'avion et travaille sur la zone d'entretien de l'aéroport Charles de Gaulle, n'est pas classé dans "Transport-logistique" (l'activité collective d'Air France classée par branches) mais dans « Fabrication » (l'activité individuelle du salarié classée par catégories de professions).

C'est ici la fonction (l’action que doit accomplir une personne dans son travail) qui détermine la catégorie d’emploi, quel que soit le statut de l'actif (salarié, indépendant), son niveau de qualification ou de hiérarchie (exemple : dans la fonction « Transport-logistique » on trouve aussi bien le manager « supply chain » (assurant la chaîne d’approvisionnement) que le préparateur de commandes ; le pilote d’avion que le bagagiste).

NOTES

[1] Article blog sur pôle Orly

[2] Étude J. Lorthiois, J. L. Husson, sur le site de Essonne Nature Environnement, "Enjeux et perspectives socio-économiques et territoriales de l'aéroport d'Orly", 2ème phase, juillet 2021

https://ene91.fr/enjeux-et-perspectives-socio-economiques-et-territoriales-de-laeroport-dorly/

[3] J. Lorthiois, Guide "Méthodologie de Plan d'Action Local pour l'Emploi", Direction générale de l'ANPE, valise pédagogique de l'animateur, 604 pages, 1992.

[4] On désigne par « travail posté » une forme d'organisation en équipes successives, qui se relayent aux mêmes postes, les unes après les autres. Le système le plus connu : les 3/8, soit 3 équipes travaillant 8 h se succédant sur une durée de 24 h.

[5] Conférence de J. Lorthiois, 2017

https://j-lorthiois.fr/analyse-de-la-mobilite-emploi-main-doeuvre-de-versailles-a-orly/

[6] Site de J. Lorthiois, voir "Pour une approche quadrant en Ile-de-France"

https://j-lorthiois.fr/pour-une-approche-quadrant-en-ile-de-france-2/ 

[7] Site de J. Lorthiois, réponse à la dernière enquête publique de la ligne 18

https://j-lorthiois.fr/quelle-utilite-dun-transport-lourd-orly-versailles-de-type-ligne-18-du-grand-paris-express/

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