Ben voyons ! Examinons cette énième fable d’un peu plus près…
I Le bide d’une manifestation parachutée
Vendredi matin 4 octobre 2019, les PRO Europacity nous jouent la ritournelle habituelle de ce scénario récurrent. Les opposants à l’urbanisation du Triangle qui ont entrepris une marche de deux jours allant de Gonesse à Matignon ont tout du long du parcours rencontré la sympathie et les encouragements des passants. Sauf au départ de Gonesse, quand ils sont parvenus à hauteur de l’hôtel de ville, ils se sont heurtés à des élus, des agents municipaux en service commandé et un groupe du collectif des « Vrais gens[1] » qui ont brandi devant nos troupes l’argument de « 81% des habitants de Gonesse sont POUR Europacity »…
Trois semaines plus tard, ce qui se voulait une grande manifestation des « POUR » est organisée le 26 octobre sur le Triangle : elle prétend atteindre 300 personnes, mais on a du mal à en comptabiliser 180, essentiellement des jeunes, tous masculins, visiblement là en figuration. Nous ne sommes pas loin de « l’affaire Stirn » ! Rappelons les faits pour ceux qui n’étaient pas nés : en Juillet 90, Olivier Stirn - alors ministre du Tourisme - engage des chômeurs pour faire la claque à un colloque « Dialogue 2000 » sur l’avenir de la gauche, qui n’a pas attiré des foules, mais il fallait faire bonne figure devant le premier secrétaire du PS et une dizaine de ministres. Hélas, à 18 h, à l’achèvement de leur mission, les figurants quittent tous la salle en même temps, la laissant quasi vide, avec les seuls membres du PS furieux. M. Stirn, ridiculisé, est obligé de présenter sa démission.
Car ce 26 octobre à Gonesse, on subodore une manif « organisée » par les promoteurs d’Europacity : aucune spontanéité des participants, ils attendent, laissant des pancartes gisant au sol, abandonnées (Fig 1). Dérision suprême : la mise en scène de cette opération de communication se retourne contre ses organisateurs… L’uniforme de coupe-vent blanc dont se sont affublés les présents renforce le côté « monocorde » du regroupement, le vent s’engouffrant dans les impers en rajoute, donnant l’impression d’une manif PRO-plastique ! (fig. 2)

Agrandissement : Illustration 1


Agrandissement : Illustration 2

Les pancartes pre-imprimées ne ressemblent en rien à celles fabriquées par des « vrais » militants (à caractère artisanal, faites de bric et de broc), sans compter que dans une « vraie » manifestation, elles seraient bien évidemment brandies par leurs auteurs. En témoigne la créativité d’un « atelier pancartes » du CPTG sur le Triangle, dont la production est présentée ci-dessous (Figure 3). Notons au passage le caractère bigarré des participants, dans une grande diversité d’âges et de looks, une proportion égale hommes /femmes, des vêtements de toutes formes et couleurs… contrastant avec le look uniforme des participants de la vraie/fausse manif de la Figure 2.

Agrandissement : Illustration 3

Figure 3 - Relevons quelques slogans non dénués d’humour, de gauche à droite :
« Triangle partout, carré nulle part »
« Pas de béton dans nos assiettes »
« Non aux bétonneurs compulsifs de Gonesse »
« Les vers de terre ne prennent pas le métro »
"Poireaux partout, Auchan nulle part"
"Europacity tue" (écrit comme sur les paquets de cigarettes)
« Des légumes, pas du bitume »
« Du blé, du vrai »…
"Le rat des champs, pas le rat d'Auchan"... etc.
Mais revenons à la manif du 26 octobre dernier. Un drone censé prendre des photos aériennes pour augmenter l’effet « foule » en perspective tombe en panne. Alors on ne peut plus compter que sur le PFH (le Putain de Facteur Humain comme disent nos amis Québécois) pour sauver les meubles et c’est là que le bât blesse : les participants attendent passivement des ordres, là où des « vrais » militants feraient assaut d’initiatives pour conjurer le mauvais sort (le Collectif pour le Triangle de Gonesse a su gérer deux tempêtes à un rassemblement sur site, dont l’une d’un niveau météorologique élevé)...
Sur la photo ci-dessous (figure 4) une pancarte attend vainement son porteur, affichant à nouveau ce chiffre mirifique de « 81% des habitants du territoire », mais la machine à propagande mal huilée a des ratés : il est dit des résidents qu’ils « VEULENT Europacity »… Une interprétation extrêmement surévaluée des résultats du sondage Odoxa, qui posait en réalité la question : « Êtes-vous tout à fait favorable, plutôt favorable, plutôt défavorable ou tout-à-fait défavorable à ce projet ? » En additionnant les « tout-à-fait favorables » (36% des réponses) et les « plutôt favorables » (45%), on obtient ce fameux « 81% de POUR». Alors que les 45% de « plutôt favorables »… ne le sont pas forcément ( !), ils peuvent hésiter, avoir besoin d'en savoir plus… Première contre-vérité donc pour ce pourcentage surestimé. Pire encore, voilà que cette addition discutable se transforme en une « revendication des habitants », qui « VEULENT Europacity ! » Deuxième contre-vérité. Il y en a d’autres, que nous évoquerons un peu plus loin…

Agrandissement : Illustration 4

II. Chaque année, un sondage récurrent effectué par Odoxa, financé par le groupe Auchan
Les partisans d’Europacity s’appuient sur les résultats d’un sondage Odoxa commandité annuellement par le promoteur « Alliages et Territoires », filiale du groupe immobilier Ceetrus (Immochan rebaptisé[2]) et du géant chinois des loisirs Wanda, dont le dernier a été réalisé en Janvier 2019 auprès de 4000 personnes. Sur ce total, en principe, un millier d’interviewés sont censés appartenir "au territoire environnant Europacity", sans compter 3000 autres sondés extérieurs, qui se subdivisent en deux échantillons : l'un de 941 Franciliens, l'autre de 2010 Français interrogés.
Mais contrairement aux règles déontologiques pratiquées par les cabinets de sondage qui conservent d’une année sur l’autre le même échantillonnage afin de pouvoir mesurer les évolutions, cette fois la liste des communes prises en compte a été modifiée. Autrefois, il s’agissait des « 22 communes du Grand Roissy [3]» dont la liste avait été déterminée par l’EPA Plaine de France en 2011, désormais il y a bien toujours 22 communes, mais le panel a été élargi sans explication ! Vaudherland a été rajoutée (86 habitants ? Cela justifie-t-il un seul sondé ?) Mais surtout - pour des raisons obscures - 5 communes de Seine-et-Marne ont été éliminées, évacuant même Mitry-Mory et le Mesnil-Amelot qui appartiennent au cœur de pôle de Roissy !
Par contre des localités beaucoup plus peuplées qui ne sont pas rattachées au « Grand Roissy » ont remplacé celles du 77, sans aucune justification rationnelle : elles sont loin du Triangle et tournées vers d’autres pôles. La Courneuve fait partie du bassin de Saint-Denis ; Clichy-sous-Bois et Montfermeil du bassin de Chelles… Quant à Livry-Gargan, un tiers de ses actifs va à Paris, une petite minorité vers Aulnay et 3,4% de travailleurs exercent leur activité à Roissy… Ainsi, comme on peut le constater sur la carte ci-dessous (Figure 5) ce nouveau territoire de « communes concernées par Europacity » ne possède aucune cohérence ! La partie rurale a disparu, au profit de banlieues de grands ensembles qui ne semblent guère constituer un public potentiel pour le méga-projet. Par voie de conséquence, la note indiquée sur la pancarte de la Figure 4 "Sondage réalisé auprès de 4000 personnes issues de 26 communes" est complètement fausse. Lors du débat public de 2016, le maître d'ouvrage a toujours présenté Europacity comme appartenant au territoire du "Grand Roissy", composé des 22 communes listées dans notre note de bas de page n°3. Les 4 localités rajoutées par Odoxa n'ont rien à voir avec ce territoire initial. S'agissant d'un baromètre annuel destiné à mesurer les évolutions d'une année à l'autre, il n'est pas possible de modifier ainsi le périmètre retenu. D'où la troisième contre-vérité de la pancarte de la figure 4. De même, l'échantillon interrogé se compose comme d'habitude d'un millier de personnes et non de 4000 comme indiqué sur la pancarte : 4ème contre-vérité.

Agrandissement : Illustration 5

Pourtant les affirmations mensongères de ce sondage sans aucune base scientifique font l’objet d’un énorme matraquage publicitaire depuis une semaine dans la presse.
Focalisons-nous en effet sur l’échantillon habituel du millier (1011 très exactement) de personnes interrogées, résidant dans l’une des 22 localités de ce mystérieux « territoire sans existence »... Comme d’habitude, la 1ère question porte sur la notoriété du méga-complexe Europacity : « En avez-vous entendu parler ? » Formidable, la renommée du super-centre commercial et de loisirs a progressé, avec 41% de réponses positives, « un chiffre qui aurait doublé en 4 ans », dixit Odoxa. Alliages et Territoires peut nous remercier, car ce score a été largement obtenu grâce à nous, à nos sites, tribunes, articles, blogs, communiqués de presse, interviews, émissions, distribution de tracts, lettres ouvertes, manifs, meetings, débats, procédures juridiques, marches, pétitions… et j’en passe ! Contrairement aux dires de M. Benoit Chang, directeur général d’Europacity, qui attribue ce succès à leur « travail de co-construction » dont l’extrême confidentialité ne possède aucune commune mesure avec nos multiples actions (Tiens, pourquoi le sondage n’a pas demandé PAR QUI ou PAR QUOI l’interviewé qui a répondu OUI au préalable a–t-il été informé ?? Ou bien peut-être ce renseignement n’a pas vocation à être rendu public ?)
III Que pèse Gonesse dans cet ensemble disparate?
Penchons-nous sur la constitution de cet échantillon d'un millier de personnes. Les 22 communes en question forment un patchwork démographique qui pèse beaucoup plus lourd que les autres années : 715 500 habitants en 2016, au lieu des 600 000 habitants (598 597 exactement) du précédent panel, soit une augmentation de près de 20%. Pour respecter les règles de «représentativité », Odoxa a dû interroger dans chaque commune un nombre de personnes proportionnel au poids de sa population. Soit pour Gonesse, ville de 26 600 âmes (3,7 % du total) par rapport à 1011 personnes interviewées, 37 gonessiens à interroger.
Le sondage indique que 41% seulement des interviewés déclarent « avoir entendu parler d’Europa City », soit – dans le cas de Gonesse – un nombre de 15 habitants « sondés/informés ».
A ce stade du questionnaire, les enquêteurs d’Odoxa effectuent auprès des personnes ayant répondu par la négative (« Non, nous n’avons pas entendu parler d’Europacity… ») une information très succincte pour présenter le méga-complexe de commerces et de loisirs : « En fait, Europacity est un projet d'équipements qui proposera des activités de loisirs, culturelles, évènementielles, commerciales, des restaurants et des espaces verts sur une surface de 80 hectares. Europacity sera construit à Gonesse, entre Paris et l'aéroport Roissy-Charles de Gaulle, en bordure de l'autoroute A1. Il ouvrira en 2024.» Avec une présentation aussi neutre, rassurante, sans aucune information sur les oppositions au projet, bien évidemment, les interviewés sont amenés à se faire une opinion favorable d'Europacity. Le sondage étant financé par ses promoteurs, qui jouent sur les deux tableaux, à la fois « juge et partie » constitue pour eux une excellente occasion de faire de la propagande auprès des 59% d’ignorants, qui bien entendu ensuite se rallieront massivement aux POUR précédents. Extraordinaire, il reste quand même – malgré cette manipulation éhontée - 19% de réfractaires qui ne s’en laissent pas si facilement conter… Au total, cette mécanique bien huilée sans le moindre suspense, située à l’opposé d’une enquête impartiale, génère des résultats biaisés qui n’ont aucune valeur scientifique et démocratique.
Mais poursuivons le questionnement, qui cette fois demande aux interviewés pour quel(s) motif(s) ils se positionnent POUR Europacity (il n’y a pas de questions CONTRE, ni bien sûr d’informations sur les opposants et les argumentaires qu’ils développent). Fatalement, les résultats de cette méthode totalitaire induisent des réponses parfaitement téléguidées :
- 89 % estiment que le projet serait « un important vecteur économique pour le territoire en favorisant la création d’emplois » et 83% « l’implantation de nouvelles entreprises » ;
- (78%) jugent que « le site devrait permettre de découvrir de nouveaux loisirs » et « d’attirer des touristes » (77%).
- Toutefois, ça coince davantage avec cette phrase triomphaliste, sans le moindre début de preuve : « la réalisation de ce projet est une bonne chose parce que c’est un équipement durable qui va produire des énergies renouvelables » (66%).
Il est à noter cependant qu’en 2017, - dans un sursaut d’éthique professionnelle - Odoxa avait posé également une imprudente question faisant état de l’existence d’une opposition: “Les opposants au projet EuropaCity lui reprochent (notamment) de sacrifier des terres agricoles situées sur le Triangle de Gonesse (entre Roissy-Charles de Gaulle et le Bourget) pour les urbaniser. Trouvez-vous leurs inquiétudes justifiées ?” Et là, horreur, les réponse étaient sans ambiguïté : 78 % des Franciliens et 76 % des Français estimaient ces inquiétudes justifiées… Demande jugée sans doute inopportune, puisque - comme par hasard - le sondage réalisé un an plus tard évitait soigneusement de renouveler une question aussi audacieuse, la mettant définitivement au rancart.
IV Dernière remarque et non des moindres : qui est Odoxa, l’organisme sélectionné par Europacity pour questionner les populations ?
Rappelons ici quelques éléments déjà parus sur le site du CPTG[4] : les deux fondateurs d’Odoxa sont des anciens de l’institut de sondage BVA dont Vincent Bolloré et le fonds d’investissement Rothschild sont actionnaires. Aujourd’hui le principal actionnaire d’Odoxa est Bernard Arnault, patron de LVMH et propriétaire du Parisien-Aujourd’hui en France. Nicolas Bazire, administrateur de LVMH et de l’institut de sondage IPSOS est aussi gérant associé de la Banque Rothschild … comme le fût Emmanuel Macron de 2008 à 2012 avant de devenir Président de la République.
V. En conclusion
37 Gonessiens ont été interrogés, mais 15 seulement connaîtraient véritablement Europacity, 22 Gonessiens auraient reçu une information biaisée avec un seul son de cloche. Constatons les efforts importants des enquêteurs d’Odoxa, pour parvenir à atteindre le score final de 81% d’opinions « favorables à EuropaCity ». Toutefois, compte tenu de la modestie de l’échantillon local, le nombre n’atteindrait guère qu’un total de 30 Gonessiens favorables en tout et pour tout. Et sur ce total, seulement 15 d’entre eux auraient exprimé leur avis en toute connaissance. Ouf, bien d’agitation pour rallier 15 habitants supplémentaires à sa cause… Un score fort modeste au regard de l’énergie déployée par le maire pour défendre son projet en période pré-électorale, dans le but de voir reconduire par ses administrés le mandat qu’il occupe depuis 24 ans.
Résultats :
- 26519 habitants de Gonesse ne se sont pas prononcés.
- 15 Gonessiens « avertis » sont inconditionnellement favorables à Europacity,
- 15 POUR ont été fortement influencés dans leur jugement.
Même en additionnant ces deux chiffres, cela ne fait jamais qu’une trentaine de Gonessiens en faveur du méga-projet sur un total de 26 556 résidents, soit 0,11 % de la population locale. Bon, faisons un effort : le sondage fait l’hypothèse que seuls les 18 ans et plus[5] sont susceptibles d’exprimer une opinion sur ce centre commercialo-ludique[6]… Donc, nous retirons 7100 habitants du total. Observons au passage qu’on élimine ainsi les jeunes de 15-17 ans, alors que les promoteurs prétendent qu’ils constituent la cible privilégiée du mégaprojet…
On arrive alors à 1,5 pour 1000 de la population de Gonesse en faveur d’Europacity.
On est loin des 81% de Gonessiens POUR… affirmés par la municipalité…
Il s’agit seulement d’un « léger » coefficient d’exagération de 540 FOIS !!
[1] Ce Collectif des « Vrais Gens » constitué fin 2017, est animé par Nouredine Maatoug, élu PS en 2014 au conseil municipal d’Arnouville, se revendiquant désormais de LREM.
[2] Généralement, les sociétés qui changent de nom veulent redorer une image ternie… Exemple : Générale des eaux /Vivendi / Veolia ; ou Crédit Lyonnais /LCL ; Areva/Ornano, etc.
[3] Cet ensemble « Grand Roissy » comprend un « Cœur de pôle » de 7 communes (Roissy, Gonesse, Tremblay, Villepinte, le Bourget, Mitry-Mory, Le Mesnil-Amelot) et une « aire de proximité » composée de 7 localités du Val d’Oise (Arnouville, Bonneuil, Garges-lès-Gonesse, Goussainville, le Thillay, Sarcelles et Villiers-le-Bel) et des autres communes de Terres d’envol en Seine-Saint-Denis (Aulnay-sous-Bois, Blanc-Mesnil, Drancy, Dugny, Sevran) et de trois communes du 77 (Compans, St Mard, Mauregard). Voir Tableau dans Bêtisier du pôle de Roissy, chap. 1.
[4] www.nonaeuropacity.com
[5] Même si les enfants des écoles ont bénéficié eux aussi d’un matraquage publicitaire.
[6] Au titre des actualités récentes, la presse nous apprend qu’il pourrait devenir ludico-commercial, après quelques retouches de green-washing…