Pour justifier son Grand Paris Express (GPE), le Société du Grand Paris (SGP) a produit des « évaluations socio-économiques » pour chaque ligne de métro, qui entendent démontrer - avec des arguments hautement contestables - un solde largement positif (obtenu par différence entre les bénéfices attendus diminués des coûts financiers)[1]. Si du point de vue de la Métropole, certaines liaisons avec des grands pôles apparaissent utiles pour le fonctionnement de l’agglomération (par ex : liaison rapide de la capitale avec Orly), ou encore pour relier des pôles d'habitat et des pôles d'emplois en zone dense (ligne 15 sud), il est beaucoup plus discutable de prétendre répondre à de réels besoins de la population locale, avec une offre de grands axes traversants, notamment pour les plus périphériques de ces lignes (17 Nord et 18) qui ont des fréquentations nettement plus faibles que les autres. J’ai démontré par exemple dans un article récent de ce blog [2] que les populations indiquées par la SGP (565 000 habitants) prétendument desservies par la ligne 17 Saint-Denis /Le Bourget/ Roissy/ Le Mesnil-Amelot, dont le nombre avait été établi pour justifier l’utilité de cette liaison... devaient être divisées par 10 (58 000).
De même, pour la ligne 18 Orly/Versailles, la SGP fait apparaître un bilan positif de plusieurs milliards, basé sur des calculs complètement erronés[1]. Tout l'enjeu de la SGP est de démontrer que cet axe de transit destiné à relier rapidement les grands pôles métropolitains d’Orly et de Versailles aurait une réelle utilité de desserte locale sur l’ensemble des zones traversées. Mais plusieurs éléments viennent largement contredire une telle fable.
I. LA DEMANDE DE TRANSPORTS EN COMMUN GÉNÉRÉE PAR LE PÔLE D’EMPLOI
Tout d’abord, d’une façon générale, relier des pôles d’emplois entre eux ne représente que 3% des besoins de transports en Ile-de-France, d’après l’Enquête Globale des Transports (EGT) de 2010 [3]. En effet, il n’y a guère de demande : l’essentiel des besoins de transports en commun lourds porte sur des déplacements domicile-travail allant d’un pôle d’habitat (donc de main-d’œuvre) à un pôle d’emploi. Les besoins de transports autres (école/formation, culture-loisirs, commerce, services publics) s'effectuent au sein d'un bassin de vie, sous forme de liaisons de proximité (distance de 3- 4 km aller en moyenne - en diminution -, contre 15 km pour les déplacements domicile travail -en augmentation -).
Orly : ni pôle d’emploi, ni bassin d’emploi
La très grande difficulté d’identifier la demande de transports en commun venant des travailleurs est aggravée si ces pôles sont spécialisés, comme l’aéroport d’Orly, qui offre un spectre très étroit de métiers, l’obligeant pour trouver sa main-d’œuvre à drainer une immense aire de recrutement que j’ai déterminée dans une étude récente, dont une partie consacrée à l'impact territorial du pôle aéroportuaire [4]. Alors qu’un pôle d’emploi multi-activités trouve l’essentiel de sa main-d’œuvre dans un bassin d’emploi de 30 à 60 communes, la zone d’influence d’Orly-Coeur de pôle couvre 10 départements (toute l’Ile-de-France, l’Eure-et-Loir et le Loiret), soit près de 700 communes. Celles-ci fournissent au pôle aéroportuaire une myriade de petits flux de quelques actifs par ci et quelques autres par là, soit une main-d’œuvre d’origine particulièrement diffuse, sur un bassin s’étirant nord-sud sur plus d’une centaine de km, impossible à capturer avec une offre linéaire de transports en commun (encore moins avec un tracé est-ouest !)
C’est pourquoi il est bien difficile de démontrer le rôle structurant pour le territoire d’une gare localisée à Orly, qui n’est pas un pôle d’emploi au sens strict du terme, mais que je préfère qualifier de « pôle d’activités »[5], une concentration d’entreprises sur la plateforme aéroportuaire, mais qui ne génère pas – contrairement à un « vrai » pôle d’emploi - une forte attraction de proximité. Par voie de conséquence, l’aéroport ne détermine pas non plus un « bassin d’emploi », c’est-à-dire l’aire d’attraction d’un pôle d’emploi clairement délimitée. Dans un périmètre proche, seulement deux localités adjacentes (Athis-Mons et Villeneuve-le-Roi) ont pour leurs travailleurs la commune d’Orly comme destination principale domicile-travail ! On peut y adjoindre Savigny-sur-Orge, qui se rattache en destination de premier rang à Paris 13e et en second rang à Orly ; ou encore Ablon-sur-Seine, ayant pour destination de premier rang Villeneuve-le-Roi et en deuxième Orly. L’ensemble de ces 4 villes totalise 43 200 actifs ayant un emploi, dont 6% seulement (2550) travaillent dans « Orly-Cœur de pôle » (qui comprend aussi Paray-Vieille-Poste et Wissous). Notons qu’aucune de ces 4 communes n’est desservie par la ligne 18. Au total, un rayonnement local extrêmement faible du pôle d’Orly, avec des flux effectués à 79% en voiture, en raison d’un grand nombre d’ « emplois postés [6] », compte tenu de l’amplitude horaire couverte par l’activité aéroportuaire, qui s’étale de 6 h à 23 h. Aucune chance dans ces conditions d’un report modal significatif de la voiture vers une nouvelle offre de transports en commun.
Par ailleurs, quel intérêt de relier trois pôles aussi différents que Orly, Massy ou Versailles ? Ce ne sont pas les mêmes filières d’activités économiques, ils ne drainent donc pas les mêmes catégories de main-d’œuvre. Nous consacrerons ultérieurement un article détaillé sur cette question. On observe bien cette dichotomie en ce qui concerne les pôles d’Orly et de Rungis, pourtant quasiment accolés. Bien que tous deux soient spécialisés en Transports-Logistique, les liens sont ténus entre un marché international de produits frais et un aéroport commercial de passagers ou de fret. S’il y a des échanges (cf fret), ils portent sur des marchandises et non sur des personnes et ne s’effectuent pas en transports en commun !
⇒ Au vu de l’ensemble de ces constats, il n’y a guère de demande de transports en commun émanant des travailleurs du pôle d’activités d’Orly.
II. LA DEMANDE DE TRANSPORTS EN COMMUN GÉNÉRÉE PAR LES POPULATIONS DESSERVIES
Il est fort à craindre là encore une large surestimation des populations desservies, si l’on en croit le chiffre de 173 000 habitants indiqué sur le site de la SGP pour justifier la gare « Aéroport d’Orly » de la ligne 18. Notons que ce même chiffre de population est cité également pour cette même gare « Aéroport d’Orly », en ce qui concerne la ligne 14 sud, ce qui constitue un double comptes caractérisé !!
Par tâtonnements successifs, j’ai identifié 9 communes situées dans le périmètre de proximité de la future gare d’Orly qui totaliseraient ce fameux chiffre de 173 000 habitants, si l’on prend 2019 comme date de référence et si l’on utilise la source « Data » trouvée sur internet (Figure 1). On peut déjà remarquer qu’il serait plus approprié - pour un organisme public comme la SGP - d’utiliser la source officielle Insee. Certes, les dernières statistiques de cet institut datent de 2018, mais elles proviennent d’un recensement, alors que les données Data sont calculées d’après des taux d’évolution, ce qui est peu fiable. Un délai d’un an ne peut expliquer une différence de 4400 habitants entre les deux sources.
⇒ Une première surestimation, somme toute assez mineure.

Agrandissement : Illustration 1

La plupart des communes listées... situées à 3 km de la gare
Mais c’est bien davantage cette liste de communes qui pose problème. Sur la carte établie par l’APUR[7] (Figure 2) on observe le positionnement de la gare future au cœur de l’aéroport, localisée sur la commune de Paray-Vieille-Poste. Un cercle en trait plein détermine un périmètre de 800 m, une mesure habituellement utilisée par les experts-transports, afin d’estimer le nombre d’habitants se trouvant à 10 mn à pied d’une gare. La SGP a élargi cette aire de proximité à 1 km, que nous avons rajoutée sur la carte en pointillés. Dans le premier cas, le périmètre est centralisé sur la commune de Paray et couvre une portion minuscule des communes d’Orly et de Villeneuve-le-Roi. Dans le deuxième cas, c’est exactement la même chose avec des surfaces inhabitées plus vastes, mais le cercle en pointillés n’atteint même pas la frontière de la commune de Wissous. De toutes façons, comme le déclare l'APUR dans son analyse des quartiers de gare [7] : "Le quartier de l'Aéroport d'Orly correspond tout entier à la zone aéroportuaire (aérogare, pistes, hangars). Par conséquent, il ne comporte ni habitations, ni habitants".
⇒ Peine perdue donc pour la SGP : il n’y a aucun habitant ni à 800 m, ni à un km de la gare Aéroport d'Orly.

Agrandissement : Illustration 2

Comment alors justifier la prise en compte des villes identifiées dans le tableau de la figure 1 et ce chiffre fabuleux de 173 000 résidents, alors que les zones d’habitat sont fort éloignées de la gare Aéroport d’Orly ? Pour en avoir le cœur net, nous avons établi la carte de la figure 3, sur laquelle nous avons rajouté des cercles à 2 et 3 km de distance. Un cercle de 4 km en rouge déjà indiqué sur la carte, complète l’ensemble.
Si l’on prend un périmètre de 2 km de rayon, on englobe uniquement une partie des populations de Paray-Vieille-Poste, modeste ville de 7600 habitants. Le cercle englobe des surfaces des communes de Wissous, Athis-Mons, Morangis, mais inhabitées (les zones peuplées sont en orange) ; sans compter une partie de la commune de Rungis, mais ne comprenant que des activités.
A 3 km de distance de la gare, l’aire couverte prend en compte la totalité de Paray-Vieille-Poste (7600 habitants) et en partant du Nord, dans le sens des aiguilles d’une montre :
- une faible part de la commune d’Orly et pas du tout les zones les plus denses situées à l’est (grand ensemble Orly/Choisy) ;
- quelques habitations de Villeneuve-le-Roi ;
- la ville d’Athis-Mons est à moitié couverte ;
- au sud d’Athis-Mons, les communes de Juvisy-sur-Orge et de Savigny-sur-Orge sont hors périmètre ;
- Morangis n’est pratiquement pas concernée ;
- la commune de Wissous est couverte dans une large proportion ;
- Rungis en presque totalité... Mais quel intérêt pour les habitants de se rabattre à 3 km au Sud ? Il existe à l'Est sur la commune de Thiais une gare plus près "Pont de Rungis" de la ligne 14, malheureusement positionnée au cœur d'un tissu d'activités et qui dessert très peu d'actifs dans un rayon de 800 m (304 en 2012 d'après l'APUR). Quant aux activités du MIN, elles disposent d'une gare spécifique "MIN - porte de Thiais" de la ligne 14, localisée sur la commune de Chevilly-Larue. Là encore, elle est destinée à desservir le pôle d'emplois, dans un quartier de 9 habitants /ha (source : APUR).
- la ville de Thiais est très peu impactée et de toutes façons, elle dispose d’une gare de la ligne 14.

Agrandissement : Illustration 3

Au total, en prenant la totalité des populations de Paray-Vieille-Poste, les ¾ de Wissous, la ½ d’Athis-Mons, on arrive à un total de 30 000 habitants, auxquels on peut rajouter quelques milliers pour les communes d’Orly et de Villeneuve-le-Roi, soit environ 40 000 habitants desservis à comparer aux 173 000 mentionnés plus haut. De plus, des populations localisées à 3 km de la gare, ce qui suppose des transports de rabattement, et des temps de trajet fortement rallongés, remettant en cause les soi-disant "gains de temps".
En conclusion, malgré nos efforts pour trouver une clientèle supplémentaire par élargissements successifs de périmètres, force est de constater que :
Quoi qu’il en soit, en appliquant la règle du jeu que la SGP s'est elle-même fixée, dans un périmètre d’un km autour de la gare intitulée "Aéroport d’Orly", il n’y AUCUN HABITANT [8].
NOTES
[1] H. Smit, présentation générale http://www.colos.info/actualites/grand-paris/149-lignes-18-et-17-nord-l-utilite-publique-factice
et analyse détaillée https://www.colos.info/images/doc/Utilite-publique-lignes-18&17N.pdf
[2] J. Lorthiois, https://blogs.mediapart.fr/j-lorthiois/blog/060122/ligne-17-intox-2-17-nord-demande-inexistante-17-sud-offre-redondante
[3] EGT, Enquête Globale des Transports Ile-de-France, 2010.
[4] J. Lorthiois, J. L. Husson, Enjeux et perspectives socio-économiques et territoriales de l’aéroport d’Orly, Essonne Nature Environnement, 2021 http://ene91.fr/enjeux-et-perspectives-socio-economiques-et-territoriales-de-laeroport-dorly/
[5] J’appelle « pôle d’activités » une concentration d’activités sur un espace géographique restreint. A la différence d’un pôle d’emploi, un pôle d’activités ne génère pas de « bassin d’emploi » (« aire d’attraction d’un pôle d’emploi ») clairement délimité, avec une « aire directe » constituée de communes de proximité qui fournissent l’essentiel de la main-d’œuvre nécessaire au fonctionnement du pôle, mais une aire diffuse gigantesque qui couvre plusieurs centaines de communes.
[6] On désigne par « travail posté » une forme d'organisation en équipes successives, qui se relayent aux mêmes postes, les unes après les autres. Le système le plus connu : les 3/8, soit 3 équipes travaillant 8 h se succédant sur une durée de 24 h.
[7] APUR, Observatoire des quartiers de gare du Grand Paris – Monographie du quartier de gare Aéroport d'Orly, lignes 14/18, juillet 2015.
[8] Nous comptabilisons uniquement l’espèce humaine habitant les lieux, sans préjuger de l'importance des autres espèces animales et végétales.