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Billet de blog 21 juillet 2023

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Hommage à Alexandre Adler

Le journaliste et historien Alexandre Adler est mort ce mardi 18 juillet. La presse française lui a rendu hommage et rappelant ses qualités d'historien et de journaliste et la puissance de sa mémoire. Mais en tant qu'Antillais, nous voulons rappeler ici la grande connaissance qu'il avait des Antilles.

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Alexandre et sa femme, Blandine Kriegel, sont souvent venus en vacances à la Guadeloupe et nous passions toujours des moments inoubliables. Si Blandine, dont j’apprécie les travaux philosophico-politiques, parlait toujours avec une rigueur philosophique, Alexandre lui manifestait une sympathie toujours joviale, inséparable d’une attitude juvénile de surdoué. On ne partageait pas sans doute les mêmes options politiques mais tout se passait comme si pour lui cela n’avait aucune importance et son affection pour moi était sincère.

Comme tous ceux qui l’ont connu, ce qui était le plus frappant c’est l’immensité de sa mémoire. Une fois que nous nous rendions en Haïti, invités à un colloque qu’organisait le sociologue haïtien Laennec Hurbon, à l’aéroport nous rencontrâmes le martiniquais Ti-Jo Mauvois. Je le présentai à Alexandre. Celui-ci déclara : « Ha ! vous êtes le fils de Georges Mauvois, l’ancien membre du Parti communiste martiniquais ? ». Et il nous retraça toute l’histoire du père Mauvois et de sa scission avec le PCM. Ti-Jo et moi sommes demeurés stupéfaits ! Cela, c’était bien Alexandre.

Un jour, de passage à Paris, je reçois un appel téléphonique d’Alexandre. Il me dit : « Blandine et moi nous voulons te parler ». Nous prîmes rendez-vous au quartier latin. Alexandre me déclare que Jacques Chirac avait nommé Blandine présidente du Haut Conseil à l’intégration et qu’il avait proposé que j’en sois membre. J’ai demandé un temps de réflexion et plusieurs jours après j’ai dit à Blandine que j’acceptais. Celle-ci avait aussi demandé à Edouard Glissant qui avait fini par la suite à accepter. Nous étions donc trois antillais membre du HCI, Edouard Glissant, Lilian Thuram et moi auxquels il faut ajouter l’attachée de presse d’origine guadeloupéenne, Nathaly Coualy. Nous fîmes du beau travail sous la direction de Blandine, toujours avec le soutien d’Alexandre et le HCI avait bonne réputation y compris dans les banlieues. Je développais toujours la même idée : ne pas confondre intégration républicaine et assimilation culturelle. La diversité culturelle de la France ne doit pas être un obstacle à l’intégration républicaine. Quand Sarkozy devint président de la République on ne sait plus très bien ce qu’est devenu le HCI. Si nous étions encore présents on aurait eu beaucoup à dire de la crise actuelle des banlieues.

Mais revenons à notre voyage en Haïti. Alexandre devait intervenir sur le thème « Glissant et la créolité ». La chose pourrait surprendre. Qu’est-ce le célèbre journaliste avait à dire de Glissant et de la créolité. Ce qui est peu connu, c’est le lien de profonde amitié qui unissait Alexandre et Blandine à Edouard Glissant. Les Adler et les Glissant passaient souvent des vacances ensemble dans le sud de la France. Alexandre connaissait donc les thèses de Glissant.

Chose surprenante, après l’intervention d’Alexandre, un linguiste haïtien, du nom de Derjean si je ne me trompe pas, créoliste enragé comme ceux qui pensent que le créole doit s’éloigner au maximum du vocabulaire français (pourtant omni présent dans le créole), prit la parole en créole en prononçant les mots de telle manière que moi créolophone je n’ai rien compris. Alexandre bien sûr n’a rien compris et le linguiste haïtien était heureux, car il n’admettait pas qu’un blanc, non créole par-dessus le marché, puisse venir en Haïti parler de créolité. Un ami de Berard Cenatus (directeur de l’école normale supérieure de Port-au-Prince), le philosophe Jacques Rancière, fit cette réflexion : « voici au moins une langue que Adler ne parle pas ! »

Rappelons tout de même que, comme j’ai déjà eu l’occasion de le préciser par ailleurs, que la créolité chez Glissant n’a rien à voir avec une essentialisation des identités, ce qu’Alexandre avait bien compris. Les crispations identitaires qui relèvent d’une essentialisation des identités est ce qui partout dans le monde actuel est signe de la montée des fascismes. J’aurai bien aimé en parler avec Alexandre. Mais il n’est plus là !

Alexandre Adler est mort et je l’ai appris de façon brutale. Je m’explique. En effet, il y a longtemps que j’essaie de joindre Blandine Kriegel pour la remercier pour son dernier livre qu’elle m’a envoyé et dédicacé : La République imaginaire, tomme I, la Renaissance (Ed du Cerf). Or, j’ai perdu toutes les coordonnées de Blandine. Mardi matin, je décide de retrouver l’adresse mail d’Alexandre que je pensais avoir sur mon ancienne adresse mail. Je m’approche de mon ordinateur. La page est ouverte sur le journal Le Monde. Je m’apprête à écarter la page pour ouvrir mon adresse mail quand, au dernier moment, je lis un grand titre sur Le Monde : Le journaliste et historien Alexandre Adler est mort. Je vous laisse imaginer le choc. Finalement j’appelle Régis Debray qui venait d’avoir la triste nouvelle et il m’a communiqué le numéro de Blandine. J’ai eu finalement Blandine, très affectée évidemment et qui m’a raconté les circonstances du décès. Mais avant de raccrocher elle me dit tout simplement : « Alexandre t’aimait beaucoup tu sais ». Je n’ai pu retenir mes larmes.

Repose en paix, mon cher Alexandre. Sache que, de ce côté-ci d’Amérique, tu as quelques amis qui ne t’oublieront jamais. Et Blandine aura toujours toute notre affection.

Jacky Dahomay

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