Mais enfin ne gâchons pas notre plaisir, nous allons enfin pouvoir revenir cuisinier ce gibier d’importance qui nous prend pour ses vaches à lait, quand ce ne sont pas ses moutons. Je débattais ce week-end avec d’autres indignés, quant aux chances de succès de cette treize ou quatorzième offensive citoyenne, lesquels ne dégageaient qu'un optimisme mesuré. Cela m’ennuyait d’autant plus que généralement, le pessimiste de service, c’est moi ! Ce n’est pas tant le fait d’être détrôné dans l’exercice, qui me dérangea, que la perspective que les amis en question puissent se révéler, in fine, plus lucides. En revanche, nous n’eûmes aucune peine à convenir, les uns et les autres, que ce serait la dernière. Et ça aussi ça me chagrine d’imaginer que chacun va finir par rentrer dans sa coquille, accordant implicitement son blanc-seing à une loi honnie et des gens pour la servir, non moins imbuvables.
Si cela se passe ainsi – et c’est là qu’il est bon d’ajouter tout de même un « si » - nous n’aurons pas été beaucoup plus loin que nos prédécesseurs Gilets jaunes. Nous n’aurons même pas eu les égards, certes insincères, de monsieur le petit monarque, qui les avait gratifiés de l’une de ces machines infernales de communication, pompeusement - comme toujours à la cour – appelée « grand débat ». Un bidule rapidement envoyé sous le tapis et profondément enfoui sous la déferlante COVID.
Reste qu’un mouvement de protestation de cette envergure sur une aussi longue durée constitue, tout de même, une base de colère inédite sur laquelle nous pouvons espérer capitaliser - tiens ! en voilà deux mots étranges dans cette chronique ! - et prospérer…
D’autres - ou les mêmes que ceux évoqués précédemment et j’en suis ! - objecteraient que la vague de mécontentement en question fut et restera encore demain puissante, car elle concerne énormément de gens et quasiment tous les actifs. Il suffit de regarder tous ceux qui sont déjà à la retraite - à l’exception de pauvres bougres de notre espèce - se sont les seuls qui se sont massivement exprimés en faveur du rallongement de deux ans de l’âge de départ. Surtout les plus vieux. D’abord parce que cela ne les concerne pas, ensuite parce que ça les rassure que des malheureux puissent trimer deux ans de plus pour soi-disant garantir leurs pensions. Souvent bien trop belles à mon avis ! Il y en a même qui sont partis à 60 ans, parfois même avant et qui trouvent normal qu’on oblige ceux qui n’en veulent plus, à aller de force jusqu’à 64 ! Ceux-là sont de bon gros salauds, je sais, je l’ai déjà écrit, mais ça me fait du bien d’en rajouter.
Alors oui, le mouvement du printemps 2023 fut massif et unitaire. Mais combien serions-nous dans les rues et durant combien de semaines, si le mot d’ordre était : le SMIC à 1500 euros ? Lorsqu’on sait que Mélenchon, puis la NUPES, n’ont pas été choisis par les électeurs alors que cette mesure semblait le minimum qui se puisse envisager dans un pays se prétendant social et civilisé, on imagine qu’il n’y aurait eu dans les rues - à l’exception des quelques centaines de milliers d’humanistes engagés et indignés - que ceux qui gagnent moins que ce seuil pourtant vital. C'est-à-dire que celui qui gagne déjà 1600 se s'abstiendrait de manifester, afin que son voisin smicards ne parvienne pas à son niveau. Idem pour tous les autres qui évidemment estimeront que ce n’est pas leur problème et que s’ils gagnent plus, voire beaucoup plus, c’est qu’ils le méritent . Et c’est vrai qu’il en faut du mérite pour faire des courbettes aux chefs, dans l’espoir de devenir soi-même petit chef, puis moyen, puis grand et faire chier tous ceux qui sont en-dessous.
Prenons un autre exemple, si comme nous devrions le faire bien plus massivement, nous bloquions toutes les activités polluantes, si nous occupions les sorties d'Amazon et tous les trusts toxiques, si nous exigions la fin de la publicité qui porte en elle tout le poison de la consommation, de la pollution et de la démesure dans tous les domaines. Combien serions nous ?
Et si nous nous rassemblions, place Beauvau, devant qui vous savez et que nous nous enchaînions pour exiger l’intégration des sans-papiers et l’ouverture des frontières à ceux qui ont peur, ou trop chaud ou très faim et parfois les trois ? Combien serions nous ?
Je pense que même en 1940, il y avait plus de résistants que maintenant, de gens soucieux de défendre trois valeurs : la nature, l’humanité et le partage. Bien plus essentielles désormais, que le travail, la nation et les voyages en avion.
Alors, je mesure qu’en ce début juin où les privilégiés n’ont plus en tête que leur future escapade tellement essentielle dans un pays exotique ou sur les plages idylliques, de telles balivernes doivent les faire hurler de rire, c’est de bonne guerre. Qu’ils en profitent ! Nous ne pouvons, camarades, que nous incliner !
Sans perdre de vue toutefois, cette information qui n’est évidemment pour nous, qu’une confirmation « Une étude menée du 5 au 9 mai 2023 révèle que 31 % des Français n'ont plus que 100 euros ou moins sur leur compte bancaire à partir du 10 du mois. A cause de l'inflation, nombre d'entre eux sont contraints de faire des sacrifices impactant leur quotidien, et même leur santé. » Cela ne sort pas d’un média subversif, pas même de Médiapart, mais du très institutionnel site : Boursorama banque. Si, si ! 31 %, vous êtes bien d’accord c’est presque un français sur trois, soit presque un tiers de la population….
Alors, je ne sais plus qui rappelait que si un jour, une révolution devait advenir dans le but d’anéantir l’omnipotence de la finance et jeter les bases d’un société plus humaine fondée sur le partage, la décroissance et l’écologie-reine, il ne pourrait naître que de France. Et qu'elle se répandrait ensuite comme une prodigieuse éruption d’espérance. Et tandis que nous serons essentiellement demain, entourés de gens qui se plaignent d’avoir deux ans de plus à travailler, je rêverais que nous soyons un jour là, plus nombreux encore, pour déboulonner cette république égoïste et malfaisante.