Je ne suis évidemment pas un lecteur du Figaro dont je ne partage aucune des idées et pas trop de valeurs non plus, quoique... Mais enfin à défaut d'être un journal bien pensant (c'est à dire pensant comme moi !!!) il a toujours été d'une excellence tenue journalistique, orientant certes l'information mais ne l'inventant jamais et ne la déformant que modérément. Je préfère bien sûr Libé, l'Obs et dans son genre le Canard, mais en plein invasion barbare des résos-socios (dont les gens qui m'accompagnent sur ce blog n'ont probablement qu'une lointaine idée), il est fort appréciable de lire des choses aux sources vérifiées et éventuellement en conformité avec ce que l'on pense.
J'ai jeté un œil intéressé sur l'extrait de Figarovox, l'émanation numérique du journal de feu Hersant et que nous donnait google à lire. C'est une interview de Guillaume Bigot. Avec un nom pareil et s'agissant d'un directeur général d'une école supérieure de commerce relayé par le Fig ! tu n'as qu'une idée, c'est de te barrer en courant. Mais avant cela, par chance, tu tombes sur le titre de son dernier bouquin : " La Populophobie, le gouvernement de l'élite et pour l'élite " (Plon). Là le titre t'interpelle quelque part comme le disaient les faux intellos de la fin du siècle dernier. Alors tu commences à lire et le type t'explique que le tissu social français est de nouveau segmenté comme au temps de l'Ancien régime. Il précise que l'aristocratie contemporaine à renoncé à ses responsabilités et que le Tiers État, conspué par le "clergé médiatique" - la formule est épatante - est trop fracturé pour former un corps social - et donc électoral - homogène.
Bien sûr, à moins d'être issu d'une couvée de l'année et de trembler encore sous son frêle duvet, on ressent tout cela sans forcément l'exprimer aussi finement. Mais enfin, ce n'est pas non plus une observation réactualisé d'un monde qui grimace sous le masque, totalement anodine. Car oui bien sûr, les gens qui n'appartiennent pas au clan des féodaux modernes, de la grande et moyenne bourgeoisie, ceux qui souffrent et blanchissent sous le harnais sans jamais réellement profiter de la vie et des fruits de leur travail ou de leur chômage, n'en peuvent plus de ce régime insolent de privilégiés, de cette caste donneuse de leçon, quand ce n'est pas d'ordre.
Chacun en finirait bien avec cette monarchie plus ou moins républicaine. Seulement voici la société des manants et autres malmenés, fragmenter, irrémédiablement déchirée. Irréconciliable comme le décrétait l'un des valets de la cour Élyséenne. Fragmentation dont Macron pour en être largement bénéficiaire n'en est nullement l'instigateur. Il est d'ailleurs toujours extrêmement douloureux pour un homme de gauche de se souvenir, d'accepter, voire même d'informer -les novices et les grands naïfs - que c'est toute de même notre idole, notre libérateur à nous, François Mitterrand qui porte la responsabilité de la dislocation de la gauche et de son éclatement rédhibitoire - jusque-là au moins -.
C'est lui le président élu sous le label de la belle "Union de la gauche" qui a rapidement rompu le pacte, érodé l'influence du Parti communiste jusqu'à le marginaliser. S'appuyant pour cela sur deux leviers. D'une part l'émergence d'une sociale démocratie très fluctuante et peu fiable, incarnée par Jack Lang, Bertrand Delanoë, plus loin Royal, Hollande et enfin Valls et Macron. Ce qui nous as donné cette vague de bobos envahissant Paris, annexant la plupart des centres villes bourgeois et cossus. Avec cette gauche-là, la gauche n'avait plus besoin d'ennemis. D'autre part une forte désindustrialisation poursuivie dans la même veine doctrinaire par un Chirac, curieux dépositaire de la Mitterrandie. Nous avons perdu de notre influence dans des secteurs cruciaux d'excellences tels que l'automobile et la manufacture en général. Le pouvoir socialiste a alors laissé croître et prospérer le petit monde des affaires, des promoteurs immobiliers, des banquiers et leurs porteurs d'actions.
Ainsi fragilisé, le petit peuple de labeur jusqu'aux fonctionnaires et leurs syndicats se sont trouvés grandement fragilisé, précarisés, terrorisés par le chômage et le déclassement social qui à cette époque avait encore un sens. Voici comment sans que l'on s'en émeuve plus que ça au "Château", Le Pen a pris le pas sur Marchais chez les "marginaux" tandis que la bipolarisation s'exerça longtemps entre centre droit et centre gauche. Avec un peu de cohabitation, à toi, à moi, puis le comble, l'émergence d'une nouvelle philosophie politique parfaitement illustrée par Macron : "Ni droite, ni gauche, tout pour moi ! "
Guillaume Bigot à raison, les féodalités n'ont rien à craindre compte-tenu de la distanciation des consciences entre un pauvre malheureux qui vote Front National et un autre pour la France Insoumise. Mais enfin arrêtons - nous sur ce qui les sépare. Les uns ne veulent pas d'étrangers en France, pas de femmes voilées, les autres conçoivent mal l'idée d'une France rabougrie, repliée sur elle même avec ce concept étouffant et déconcertant de "patrie".
Mais enfin lorsqu'ils étaient tous sur les parkings, souvent rejoints par des arabes et de jeunes chrétiens, ce n'était pas tant de la définition des frontières dont ils parlaient, ni même de la couleur de peau de leur voisin. Ce qu'ils revendiquaient, c'était une revalorisation de leur vie toute entière, un rééquilibrage par rapport à ceux qui pètent dans la soie.
Ainsi, voila ma théorie (enfin ! revoilà). Il arriverait aujourd'hui un candidat désigné par la gauche certes (parce que l'humanisme et la justice sociale est dans son ADN et nullement dans celui de la droite) mais avec un programme où l''être humain redeviendrait au coeur du débat, avec un retour des outils de production, une grande manufacture nationale de fabrication technologique de pointe - électronique, électro-ménager, etc.- comportant des succursales dans chaque coin du territoire, un vaste plan de reconquête de la terre par des exploitations modernes, modestes et respectant l'environnement, tout porte à croire qu'il parviendrait à rassembler tous ceux qui sont plus attachés au terroir et au bien-être qu'au gain de productivité et aux marchés mondiaux.
En face, les partisans du monarques qui marche - à côté de ses pompes - et apparentés de l'ancienne UMP, ne manqueraient pas de se gausser, dénonçant le replis sur soi, la décroissance, l'archaïsme, peut-être même les Amishs... Mais enfin, si demain on organise une société où le travailleur des rues, des hôpitaux, de la terre et des écoles, gagne deux fois plus qu'aujourd'hui et les commerciaux, les entrepreneurs et les banquiers dix fois moins pour revenir à une échelle de salaire de 1 à 3 et pas plus, qui dira le contraire ? Et alors, mon cher Bigot, ne verra t-on pas se reconstituer un Tiers États qui plutôt que de reprendre la Bastille n'aura plus qu'a retrouver le chemin de urnes !
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Billet de blog 6 déc. 2020
RECONSTITUTION DU TIERS ÉTAT
Dans son essai " La Populophobie, le gouvernement de l'élite et pour l'élite " (Plon) Guillaume Bigot propose justement une intéressante mise en perspective entre notre époque agitée, quelque peu désespérante aussi et l'Ancien régime dans sa période pré-révolutionnaire. Pour mieux souligner l'inexistence d'un Tiers Etats défragmenté. L'occasion d'évoquer la (re) convergence des luttes.