On se disait : « Tant qu’il y aura des types comme lui sur terre, on ne désespèrera pas encore de tout. » Mince ! Hier, Bernard Oustrières s’est carapaté. Écoutez, un optimiste pareil, ça m’ennuie de le soupçonner, mais je me demande quand même s’il n’a pas décidé de fuir. Oh ça ! ce n’est pas qu’il manquât de courage. Si cette vertu était cotée en bourse, il se serait enrichi. Il y a de ce point de vue là aussi, tellement d’indigents.
Accablé par la maladie, il a néanmoins dû s’incliner. C’était un machin au cerveau. Ne me demandez pas le nom, on me l’a dit cinq fois et cinq fois je l’ai oublié. Mais enfin, je ne vous livre pas une révélation, un scoop comme l’on disait à La Marseillaise, Var Matin-République, France Soir où il posa - entre autres – sa plume fine et délicate, c’est vraiment con, la maladie ! Aller s’en prendre au cerveau de Béo ! Elle a trouvé que lui, la maladie ? Si elle m’avait demandé, je lui en aurais fourni des listes interminables et pourtant non exhaustives, de cervelles étriquées. A attaquer ! C’est pas que je veuille de mal à grand monde, c’est même que je ne veux de mal à personne, mais le cerveau de Béo ! Non mais je vous jure. C’est comme s’en prendre aux doigts de Chopin, aux jambes de Pelé, à la queue de Bocuse ou au cul de Tabatha Cash ! Bon l’avant dernière l’aurait peut-être fait sourire, la dernière m’aurait valu des remontrances. Et si je me permets cette digression peut-être dérangeante à certains, c’est que durant plusieurs années, lorsque je chroniquais du fond de mon restaurant de souffrance toulonnaise, il n’y avait que lui pour me donner une réplique rubescente, indulgente, réconfortante.
Parce que Béo - entre nous, c’était Béo, mais cela pouvait être B.O pour d’autres ou Bernard tout simplement -, ne limitait nullement son talent au trait de plume et à l’information qu’il servait ou aux romans qu’il sublimait. Il possédait ce talent, tellement plus rare, plus estimable encore, de la tolérance, de la magnanimité dans l'existence. Ce fut, je me souviens, sans que cela nous condamne à une rupture qui m’eût paru insoutenable, justement cette ouverture d'esprit - dont je demeure incapable - qui fit souvent débat entre nous, ces dernières années. Fils de militant Résistant communiste, engagé lui-même dans des mouvements de gauche, voire anarchistes, il s’était, pour finir, un peu préservé de toute utopie, de cette exaltation militante et cela m’exaspérait. De son beau sourire - si, si, je vous assure, le sourire de Bernard Oustrières est l’un des plus expressivement subtils que j’aie jamais reçu – il me morigénait quand même, soulignant, d’un rouge éblouissant, mes écarts de langage, quand ce n’était pas de pensée. Je lui trouvais alors des accents détonants de vieux bourgeois décadent. J’étais à bout d’argument, il ne devait guère goûter la déclinaison… Aujourd’hui, je sais que j’avais tort ! Mais demain, je reprendrai mon combat. Le même ! Il ne sera plus là pour l’amender.
Ce n’est plus de courage dont il fit usage, lorsque Monique, sa compagne, sa « Chouchou » tel qu’il l’appelait avec ce velours qui emplissait sa bouche et couvrait son auditoire, fut frappée de cette maladie neurodégénérative, autre fléau qui affecte, y compris, les meilleurs esprits. Quelques longues années où, comme il y était prédisposé, ce puits de culture, ce compagnon rayonnant, s’effaça jusqu’au point de disparaître. Plus rien ne comptait que l’accompagnement de cet être qu’il avait aimé déraisonnablement - comme on doit aimer - et qui finit hélas, par tant le peiner.
Depuis lors, ce n’était plus le même Béo. Il n’en était pas moins beau. Combattant de l’amour fidèle, unique, jusqu’au désespoir. Elle reste là, mais où (?) et tellement seule sa « Chouchou » dont il fut séparé depuis que sa maladie l’invalida à son tour. Ne me demandez pas par quelle décision inepte, quel parti pris ignominieux, ils furent arrachés l’un à l’autre. Faut-il que ceux qui en ont décidé ainsi - qu’ils soient de la famille ou du corps médical - ignore toute la sensibilité de ce couple, ou privés de toute conscience et donc d’humanité. Bernard et Monique méritaient de finir leur vie ensemble et peut-être même, de mourir en même temps.
En joignant mon amie LÉA à cet ultime message, je voudrais redire toute ma gratitude à Maryse, notre consœur journaliste de Var-Matin - souvent accompagnée par Nicole – qui resta au chevet de Bernard jusqu’au dernier jour et son entrée dans le coma. Régulièrement elle nous faisait parvenir de ses nouvelles, rarement bonnes, même si, comme toujours dans ces situations, on veut s’aménager quelques plages d’espérance.
Je me souviens - comme Léa – avoir eu Bernard, il n ‘y a pas très longtemps, au téléphone. « Tiens, comment ça va mon grand ! Je suis heureux que tu m’appelles. Tu tombes bien, ce soir je rentre chez moi… » Jusqu’au bout, il voulut apaiser les autres en dissimulant son chagrin.
Il ne rentrera jamais chez lui, mais ne sortira plus de chez nous…