Si, si, moi qui passe mon temps à dénigrer le progrès numérique - mais ce n’était rien en rapport à l’intelligence artificielle -, je fus soulagé lorsque je pus poser mon stylo et ranger mon papier - et pourtant Dieu sait si je vénère l’un et l’autre ! - parce que j’écris trop mal. C’est d’ailleurs l’unique critère qui me fait dire que j’aurais pu être médecin. Le seul fait de former des lettres, de les assembler tout en restant lisible, exige des efforts que je ne suis capable de consentir que sur un temps extrêmement restreint. Tandis que la machine et notoirement le clavier d’un ordinateur, vous rend à la perfection la lettre, les mots, les phrases et les chapitres que vous lui demandez.
Cette exigeante tâche étant fournie, il ne vous reste plus qu’à vous concentrer sur l’orthographe. Hélas, voilà qui n’est toujours pas mon fort. Heureusement que je confie la relecture à des yeux extérieurs, ceux de mon épouse qui pourrait bien un jour me réclamer des indemnités de mirettes, tant les siennes sont soumises à rude épreuve. Sans elle, j'encourrais le risque de devenir l’un des tout premiers condamnés à l’exil littéraire par le tribunal de l’Académie Française qui, par chance, ne se réunit pas tous les jours… Ces défauts orthographiques ont au moins l’avantage de me rapprocher et même de m’honorer de Balzac, qui déversait un tombereau de fautes sur ses manuscrits. Une similitude qui pourrait être flatteuse si ce n’était, hélas, la seule.
Du coup, vous devez bien vous demander pourquoi j’écris après avoir eu la lucidité de confesser cette litanie d’avaries techniques ? Eh bien, je pourrais répondre : parce que ! C’est ainsi et cela n’a rien d’exceptionnel. Si tous les gens qui chantent en avaient le talent, si tous ceux qui font de la politique avait le souci de leur prochain, si tous les entrepreneurs étaient honnêtes, les enseignants intelligents et si tous les chercheurs trouvaient, cela se saurait et nous vivrions probablement un monde trop parfait.
J’écris parce que je l’ai en moi, que le plaisir des mots est l’un des plus grisants, avec l’amour et les grands vins, la belle musique et bien sûr, bien sûr et surtout, les infinis éclats de la nature. Écrire, voyez-vous, c’est de l’humanité (à l’exception peut-être de Mein kampf et de Céline !) Du frisson, de l’émotion, sensations décuplées par l’idée que cela sera peut-être partagé. Car le partage en constitue la force et la substance. Je ne certifie pas que derrière des écrivains bien cotés et même des auteurs bien ratés, ne s’animent pas quelques velléités vénales, je pense qu'elles sont marginales. Et si la plus grande partie des gens qui écrivent le faisaient pour l’argent, il y aurait beaucoup moins de bouquins dans les collections de l’Harmattan ! Reste l’ego de certains qui, là encore, ne le placent pas forcément là où il faut, car pour s’accomplir socialement avec 300 pages d’écriture, faut déjà atteindre une belle pointure, pas bien plus accessible que les millions.
Alors j’ai été un peu long peut-être, dans ma démonstration inaugurale, non ? Je vais donc passer à la conclusion ! J’étais ce week-end invité par Nathalie Meunier, une femme exceptionnelle qui doit certes beaucoup à l’Aubrac dont elle est totalement possédée, mais à qui l’image de l’Aubrac, doit beaucoup aussi, tant elle y tient impeccablement sa maison, située au coeur de ce village qui n’en est d’ailleurs pas un. J’étais, cette année, le seul à dédicacer un livre, contrairement à il y a quatre ans. Et je comprends que les auteurs ne se précipitent pas pour s’aligner dans ce salon où, à bord d’une chaise inconfortable et d’un petit bout de table, on traverse de vastes océans de solitude (merci d’ailleurs à Lydie, ancienne libraire érudite et néanmoins active, de m’en avoir parfois distrait).
C’est que la transhumance est devenue une authentique « fête à neuneu » et à « Marcel en camping-car ». Vous avez bien entendu noté qu’il n’y avait dans ce constat aucune allusion méprisante. Les faits suffisent, les quinze mille visiteurs de l’événement pastoral de l’année en Aubrac qui sont passés devant ma « Petite fillle ... » sont plus enclins à ramener au bercail un saucisson, un magnet de la Domerie, une corne de brume, un kilo de Laguiole ou même un béret, qu’un roman de Jaco. Il n’empêche qu’en deux jours j’ai trouvé quatre Chantal (si, si ! une véritable épidémie ! ) et puis une Brigitte, une Christine, une Nathalie, un Jean-Pierre et deux ou trois autres, qui m’ont vengé d’une illégitime frustration. Illégitime dans la mesure où tous ces braves gens ne m’avaient pas obligé à venir m’y exhiber.
Je plaisante bien sûr - ou pas –, tout ceci n’ayant que bien peu d’importance. Mais que mon ami Bernard soit venu spécialement du banc d’aligot d’à-coté pour m’en faire signer quatre, que madame et monsieur André Valadier - sur le plan humain, l'équivalent du signal de Mailhebiau - se soient déplacés en famille m’apporter le témoignage d’une affection que je ne mérite peut-être pas, m’a payé de tous les trésors de patience que j’avais dû déployer. Alors même si dans l’écriture d’un livre, ce qui me coûte le plus c’est d’encaisser, je reviendrai tout de même au salon du terroir… si Nathalie me le propose malgré cette chronique !
J'ai le plaisir de vous informer que mon roman “Petite fille dans la tourmente” vient de sortir. Vous pouvez le commander chez votre libraire ou sur le site de l'éditeur :
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