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Billet de blog 16 mai 2015

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Massacre de Marikana : à quand la vérité ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Voilà plus d’un mois que le juge Ian Farlam, responsable de la Commission d’enquête chargée de faire la lumière sur le massacre de Marikana, a remis son rapport au Président Zuma, mais rien pour le moment n’a été rendu public.

Le 16 août 2012, la police a  ouvert le feu sur des mineurs en grève, faisant 34 morts et 72 blessés, une tragédie qui a bouleversé l’opinion publique. Les mineurs de la mine de platine de Rustenberg, propriété de la compagnie Lonmin, réclamaient 12500 rands par mois, environ 900 euros, un salaire qu’ils estimaient nécessaire pour faire vivre leur famille.

Bien avant la journée tragique, la mine avait connu des grèves sauvages, des violences entre syndicats rivaux, le puissant et historique National Union of Miners (Num) et le nouveau syndicat, Association of Mineworkers and Construction Union (Amcu). Des affrontements avant le 16 août avaient fait plus de dix morts. Les conditions de travail et les conditions de vie des mineurs ont peu évolué depuis la fin de l’apartheid. Les mineurs qui travaillent sur le front de taille gagnaient, avant la grève, moins de  5000 rands par mois.

Les mineurs morts à Marikana ont laissé des veuves et des orphelins qui vivent dans des conditions difficiles. Lonmin a bien promis d’aider les familles pour les funérailles ou l’éducation des enfants,  mais ces aides sont soumises à condition et les indemnités tardent à venir. Khulumani Support Group qui vient en aide aux familles, a réuni dans un livret les témoignages bouleversants de ces veuves

Le Comité de soutien à Marikana, surpris que le rapport ne soit pas encore accessible au public, a décidé de s’adresser directement au Président Zuma par une lettre ouverte :

«… Vous devez savoir, Monsieur le Président, combien il est pénible pour les familles de ceux qui sont morts, d’avoir du attendre patiemment deux ans et huit mois pour avoir des explications, d’assister aux travaux de la commission, d’écouter les différents témoignages dans l’espoir que tout ce temps, cet argent et ces efforts aboutiront à une issue juste.

Mais à quoi pourrait ressembler une issue juste ? D’abord, elle doit donner la vérité, autant que possible, si pénible soit-elle. Les familles méritent de savoir pourquoi ceux qui leur sont chers ont été tués par la police qui a utilisé des fusils d’assaut R5. Ces familles méritent de savoir quelles discussions ont eu lieu entre la police, Lonmin et votre Cabinet dans le contexte qui a conduit au massacre. Elles méritent de savoir quelles préparations ont été faites pour la journée du 16 août, pourquoi des fourgons mortuaires ont été commandés le matin avant l’attaque, et pourquoi le personnel médical a été empêché de porter assistance aux blessés  dans l’heure cruciale qui a suivi la fusillade. Elles méritent de savoir ce qui s’est passé après. Qui doit être tenu pour responsable ?  Ce sont des réponses que n’importe quel proche des victimes mérite d’entendre à l’issue d’une enquête criminelle.

Nous ne savons pas si les réponses à ces questions importantes se trouvent dans le rapport final de la Commission du juge Farlam. Nous savons que vous avez mis cette commission sur pied, pas simplement pour un retour au calme, mais parce que vous vouliez connaître la vérité. Comment pourriez-vous justifier autrement un processus si long et si coûteux ?

Mais il y a un autre enjeu dans cette affaire. Après le massacre, l’opinion publique a pleuré sur notre démocratie. Ce massacre nous a remis en mémoire les horreurs du système d’apartheid. Tant de personnes ont souffert et même sacrifié leurs vies pour que notre peuple retrouve sa dignité. Personne ne s’attendait à ce qu’un groupe de travailleurs mal payés puissent mettre à bas le pouvoir de l’état sous un gouvernement dirigé par l’ANC. Dans une démocratie constitutionnelle, faire grève n’est pas un délit, ni vouloir rencontrer son patron. Des gens respectables sont même aller jusqu’à dire que ce qui était arrivé à Marikana était pire que les massacres comme celui de Sharpeville, parce que celui-ci a été planifié.

Quelque soit ce que chacun pense, Marikana reste à ce jour la pire des flétrissures infligée à notre démocratie. Après le massacre vous avez dit :

«  Aujourd’hui ce n’est pas le moment d’accuser, de montrer du doigt ou de récriminer »

Maintenant que le rapport de la Commission Farlam est complet, le jour n’est-il pas venu de le faire connaître ? Nous aimerions vous rappeler que vous avez promis que les conclusions de ce rapport seraient annoncées très rapidement. La publication immédiate de ce rapport peut nous faire avancer vers la vérité, et ainsi honorer les droits et la dignité du peuple d’Afrique du Sud. Nous sommes convaincus que cela serait aussi un pas important pour restaurer la foi en notre démocratie.

Monsieur le Président, vous êtes la seule personne qui peut prendre la décision de la date de la publication de ce rapport. Nous faisons donc appel à vous pour que le rapport, sans modification, soit rendu immédiatement disponible. Si vous ne le pouvez pas, nous vous demandons de nous expliquer pourquoi vous ne voulez pas donner accès au public des résultats de cette commission d’enquête ».

Le Président Zuma a répondu à cette attente en faisant savoir qu’il était en train de lire ce rapport et qu’il serait publié en temps voulu et que les recommandations qu’il contient seraient examinées avec la plus grande attention.

Après le rapport de la médiatrice sur les dépenses pour la résidence privée du président à Nklanda, et celui attendu sur le scandale des achats d’armement, le rapport du Juge Ian Farlam sur le massacre de Marikana pourrait bien ternir sérieusement l’image de celui que l’on a surnommé le Président Teflon, sur lequel tout glisse.

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