Tout le monde a été surpris de la rapidité avec laquelle le Front de Gauche a pu élaborer un programme immédiatement applicable. Il n’y eut évidemment pas de miracle, car il existait bien un programme en bonne et due forme, longuement mûri et présenté aux législatives de 2022. Mais, en juin 2024, on ne jugea pas bon de le rappeler. Car il s’agissait surtout de se montrer à la hauteur du moment présent. Pourtant, il venait de loin, et son aggiornamento express, pour les 100 premiers jours d’une ère nouvelle, autorisait la référence au Front populaire de 36. Il me semble qu’il faut maintenant revenir à cette idée : ce qui s’affirme depuis 2012, et de plus en plus, c’est bien l’existence d’un socle de convictions communes, solidement partagées entre les forces qui constituent la gauche de gauche.
À cet égard, Jean-Luc Mélenchon avait alors joué un rôle éminent. Ce qui est fort paradoxal, puisqu’il a constamment revendiqué une voie non démocratique vers la démocratie. Mais, lors de la campagne de 2022, il s’est en quelque sorte effacé, avec ostentation… Il s’est fait magnifiquement l’homme du programme, le candidat-programme. Il a défendu le programme avec brio. Et surtout il l’a enseigné jour après jour, sur toutes les scènes et chaînes où il apparaissait. Il a non seulement suscité l’enthousiasme, mais il a expliqué le projet d’une façon précise et rigoureuse, comme un bon professeur, doublé d’un politicien hors-pair. Il a su argumenter, et c’est ainsi qu’il a convaincu. Si, finalement, le succès est venu, c’est assurément parce qu’il existait un peuple de gauche préparé à s’emparer de ce message programmatique qui le révélait à lui-même, et que de multiples voix ont fait entendre, faisant monter l’idée qu’il existe bien une pensée commune et donc une force commune cohérente.
Le problème qui se pose aujourd’hui, hic et nunc, est d’une autre nature : « la classe populaire peut-elle gouverner ? ». Or, à côté de la programmation à mettre en œuvre, l’autre question est celle de l’organisation. Elle se conçoit aux antipodes d’une pratique charismatique. Ce qui sera déterminant, on commence à le comprendre, c’est la rencontre de la force politique populaire et de la société civile, qui ne peut se réaliser qu’à partir de la base, dans des collectifs constitués en toutes sortes de lieux, démocratiquement et durablement, rassemblant toutes les volontés prêtes à s’engager. Mais cela ne sera possible que si l’on résiste à vacarme venu de tout le reste de l’échiquier politique et orchestrées par les médias, qui répètent jour après jour que le Front de Gauche n’est qu’une alliance électorale, bricolée à la hâte entre des gens que tout oppose, et déjà prête à se fissurer. Non, nous sommes hétéroclites, comme l’est la société dans laquelle nous vivons. Mais nous portons ensemble de convictions communes, qui se sont traduites en un programme commun pour lequel nous avons combattu en toute connaissance. Et que nous entendons aujourd’hui faire prévaloir.