Sur le chemin de Damas
On sait que l’apôtre Paul, sur le chemin de Damas, où il s’en allait persécuter les chrétiens, eut soudain une illumination du ciel, une révélation de la splendeur de l’Évangile. Il tombe à terre, ébloui, et, parvenu à Damas, il se découvre chrétien. Je ne gloserai pas sur la légende. Et je suppose que la conversion de Al Joulani en Al Charaa fut un processus beaucoup plus lent. Comment un jeune syrien dont le père sympathisait avec la gauche arabe, qui a fait de bonnes études à Damas, ému du sort des Palestiniens, s’engagea dans Al Qaïda, au point d’en devenir un dirigeant, eut le courage et l’énergie de rompre pour fonder Al Nostra, une variante significative, et finalement HTC, dont l’œuvre est lisible à Itlib, en vient-il a prononcer ces discours programmatiques, ouverts sinon sur la démocratie, à tout le moins sur une certaine tolérance islamique ?
Est-il vraisemblable que l’on puisse ainsi changer de bord ? Ce qui supposerait aussi un certain support de l'entourage. Une telle métamorphose collective, résumée dans la personne d’un leader, est-elle concevable ? On entend ces discours essentialistes : un terroriste est un terroriste, un islamiste est un islamiste. Tout le reste est poudre aux yeux. Et le plus grand danger qui menace la France est le retour de quelques-uns d’entre eux, mêlés aux insurgés d’Itlib.
On pourrait, parmi bien d’autres, évoquer les courageuses figures de Khrouchtchev et de Gorbatchev, eux-mêmes persécuteurs en leur temps, qui, l’un et l’autre, opérèrent des ruptures profondes dans l’histoire soviétique, même si les résultats en furent infiniment décevants.
Mais citons plutôt, plus proches de nous, d’éminentes personnalités, comme celles de Mitterrand et de Mendès-France, même si celui-ci reste voilé dans sa légende. Ce qui les unissait au temps de leur pouvoir colonial, c’était : « La France, de Dunkerque à Tamanrasset ! », « La négociation, c’est la guerre ! ». Mais qui s’en souvient ? Cela faisait, malgré tout, beaucoup de morts. Manifestement, ils se sont convertis, et à coup sûr profondément. Et de même ceux qui les suivaient, en grand nombre.
Et combien de ceux, s’il en est, qui liront ces lignes, s’ils ont déjà quelques décennies d’âge, ne se sont pas, sur des points essentiels de leurs convictions, quelque peu convertis ? L'histoire a pris un cours accéléré.
Prudence, bien sûr, tant qu’on n’a pas vu l’avenir se dessiner plus clairement. Mais pourquoi faudrait-il que seuls ceux que nous désignons comme « terroristes » soient inconvertibles ?