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Billet de blog 25 août 2022

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Jean-Luc Mélenchon dépassé par son succès ?

La France insoumise s'est construite en ignorant la démocratie interne. Paradoxalement pourtant, c'est le succès parlementaire de Jean-Luc Mélenchon qui déclenche le grand sursaut démocratique au sein de la gauche populaire. Comment envisager la suite ?

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Jean-Luc Mélenchon dépassé par son succès ?

Le projet de Jean-Luc Mélenchon semblait buter sur une contradiction insurmontable. Il mettait en avant une perspective hautement démocratique, en appelant à « l’intervention populaire », à la « révolution citoyenne » dans tous les domaines. Mais le mouvement qu’il avait créé, et qui a joué un rôle actif dans la mobilisation de gauche au cours du dernaier quinquennat, n’affichait pas la moindre velléité de démocratie (voir l’étude très approfondie que lui a consacrée Manuel Cervera-Marzal, Le populisme de gauche, La Découverte, 2018). Il rejetait le droit de tendance, ainsi que toute organisation territoriale d’où pourrait émerger quelque discordance locale. Il n’admettait d’autre discours public que celui de son leader, qui s’était entouré d’une équipe dont le mode de sélection, les méthodes de direction et l’exacte composition demeuraient inconnues des « insoumis » eux-mêmes. N’émergeaient publiquement que quelques porte-parole parlementaires et valeureux ténors des médias. L’adhésion, qui n’était assortie d’aucune cotisation, donnait droit à être compté comme un clic égal à tous les autres. Mais tout dissident savait qu’il courait le risque d’être débranché. Chacun pouvait certes agir librement dans le cadre du programme. Mais il n’existait aucune règle régissant les relations entre les adhérents. Pour l’élaboration du programme, chacun était certes appelé à faire des propositions, mais la suite était entre les mains du groupe dirigeant qui, après concertation auprès du monde associatif et syndical, en produisait censément la synthèse, dont l’adoption par une assemblée pour moitié tirée au sort et pour moitié désignée d’en haut, ne faisait dans ces conditions d’emblée aucun doute.

Or, au lendemain des législatives, c’est, paradoxalement, sous l’impulsion de France Insoumise que la « gauche de rupture » se trouve en pleine euphorie démocratique. Les diverses composantes de la Nouvelle Union Populaire Écologique et Sociale sont parvenues à convenir non seulement d’un programme commun, mais aussi de procédures mutuellement recevables pour sa mise en œuvre. Elles constituent aujourd’hui une force assez unifiée pour sembler capable d’ébranler un régime affaibli par le recul de LREM et l’avancée du RN.

Comment le miracle a-t-il pu se produire ? Il est clair que le programme avancé, qui s’inscrit dans la ligne de celui du Front de Gauche de 2012, y intégrant les nouvelles exigences de l’écologie et du féminisme, exprime un corps de solides convictions communes. Riche de tout un passé, de 36 à 68, de 72 à 83, il concrétise, après des décennies d’échecs, une nouvelle aspiration à l’unité, qui, dans le « peuple de gauche », n’a cessé de monter depuis 2012. L’espoir s’est peu à peu cristallisé autour de la figure charismatique de Jean-Luc Mélenchon. Au long du dernier quinquennat, le tribun, attendu à chaque nouvel épisode, a joué un rôle décisif dans la fermentation politique et l’expression médiatique des résistances qui s’affirmaient à travers les luttes syndicales et associatives, dans la mise en mouvement de l’opinion, notamment celle d’une jeunesse urbaine qui attendait une voix dans laquelle elle pourrait se reconnaître. Au final, Jean-Luc Mélenchon n’a pas seulement surpassé ses partenaires dans une lutte concurrentielle. Ce n’est pas à cette aune qu’il convient d’apprécier son succès. Il s’est imposé comme « le candidat du programme », comme il l’écrit dans son introduction à L’Avenir en commun. Il est proprement devenu le « candidat-programme ». Il s’est fait reconnaître non seulement comme son parfait porte-parole, son plus efficace et son plus hardi défenseur, mais aussi comme « le maître », au double sens du sage et du pédagogue, capable, plus que tout autre, de l’exposer, de l’expliquer et de le justifier point par point aux diverses générations à travers les réseaux sociaux et les grands médias, au point même d’en apparaître comme le garant. Il s’est ainsi assuré, au sein de ce que l’on doit maintenant appeler « la gauche », une véritable hégémonie personnelle, contestée mais indiscutable.

Et maintenant, quelle suite imaginer ? Je laisse ici de côté la question essentielle, celle qui concerne le programme, sa mise en avant et sa concrétisation permanente non seulement dans la lutte parlementaire, mais à tous les échelons de la vie sociale. Mon diagnostic ne porte que sur la question de l’organisation commune, analysée notamment dans mon livre, paru cette année au Croquant, L’écologie politique du commun du peuple.

En semblant se retirer du jeu, en prenant de la hauteur, Jean-Luc Mélenchon a ouvert une nouvelle étape. Celle-ci se profilait déjà dans la création d’un « parlement », censé couronner l’ancienne organisation. On voyait mal pourtant les personnalités qui s’y étaient trouvées cooptées se satisfaire de la philosophie du « corps gazeux ». Encore moins aujourd’hui la cohorte de syndicalistes, associatifs et autres rebelles qui font leur entrée à l’Assemblée nationale. La NUPES entend bien se doter d’institutions communes, qui feront le lien au mouvement social et assureront la formation de tout un chacun aux tâches gouvernementales. Mais ce qui manque le plus cruellement à cette gauche reconstituée, c’est son enracinement populaire, c’est sa capacité à rassembler cette grande masse inscrite à la « pauvreté », c’est-à-dire privée de ressources convenables et d’emplois stables, de transports publics, sous administrée, marginalisée, et souvent racialisée, qui répond par l’abstention aux interpellations vertueuses d’en haut. Selon l’adage, son émancipation ne peut venir que d’elle-même : de sa capacité à s’organiser. En l’occurrence, à participer à l’organisation populaire commune. Cela suppose que celle-ci soit ancrée au sol, dans ces espaces circonscrits où les gens grandissent, habitent et, le plus souvent, travaillent, prennent conscience de leur présent et envisagent leur avenir. Elle doit donc se structurer sur une base locale, ouverte à toutes et à tous, membres ou non de partis ou associations, configurées de telle sorte que le commun du peuple, s’y sentant chez soi, soit porté à y intervenir et qu’il puisse se saisir des questions essentielles, celles de ses multiples « lieux de vie », du quartier à la planète. Les partis y trouveraient un espace naturel en tant que tendances, lieux de mémoire et d’inventions données à tous en partage. Faire l’unité à la base, d’où jaillit la politique, et la faire remonter au sommet, où se situent les affrontements décisifs, voilà, au-delà de la geste Mélenchon, le défi démocratique que devra relever la nouvelle Unité Populaire Écologique et Sociale.

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