La question du partage du savoir et du numérique est très présente en toile de fond chaque fois que sont évoqués les rôles respectifs de l'édition d'ouvrages, des journaux et périodiques imprimés, des publications scientifiques, des sites Internet, des blogs et des réseaux sociaux.
L'excellent article d' Illel Kieser fait le point sur la nécessité de voir les professionnels compétents de prendre part au partage du savoir sur les réseaux numériques et de ne pas délaisser ce canal de transmission au motif qu'il est perçu comme le lieu des effets pervers.
Mon propos n'est pas de réinterpréter l'analyse de cet article, mais l'idée m'est venue de livrer une image qui a servi de point de départ à une réflexion dans laquelle j'engageais il y a déjà quelques années les étudiants qui assistaient à mes cours relatifs au droit dans le cadre du logiciel et des publications librement partagées.
L'image est toute simple, mais l'observation du phénomène a quelque chose de fascinant. Dans un verre de limonade, faites tomber une petite parcelle de nourriture et observez…

Agrandissement : Illustration 1

Un panache de bulles se dégage et semble généré par cette minuscule parcelle. Et cela dure…
La question que je pose est celle-ci :
- À qui sont ces bulles ?
Selon toute apparence, elles semblent produites par la miette tombée dans le verre, sorte d'anomalie locale dans le liquide. Celle-ci serait donc censée détenir toute la substance nécessaire à sa production.
On sait pourtant que ce n'est pas vrai. La miette n'est entrée dans le milieu liquide que chargée de son hétérogénéité, la particularité de sa matière qui entre en interaction avec le liquide et ses composants. L'essentiel de ce qui est produit – et la totalité du gaz formant les bulles – est généré par le milieu, la miette ne peut donc pas en revendiquer la propriété.
L'humain naît nu et vierge de tout savoir – pour ne parler bien sûr que du savoir intellectuel – Tout ce qu'il peut produire est le fruit d'une interaction avec la société et le monde qui l'entoure. De ce fait, il devient créateur, ce qui peut très certainement donner lieu à récompense, mais la notion de propriété semble inadéquate.
Que deviendrait l'expérience si la miette comportait un colorant ?
Même dans des proportions infimes, ce colorant pourrait changer l'aspect du milieu. Le petit fragment qui le contient n’aurait aucun droit sur le liquide qu'il a teinté, mais il serait responsable de son effet.
Faut-il s'en inquiéter ? Peut-être faut-il se rappeler que la lumière blanche est l'addition des couleurs de toutes longueurs d'onde, et que le risque de couleur dominante est d'autant plus faible que le nombre de contributions est élevé.
Il ne s'agit pas, bien évidemment de minimiser l'effet néfaste des mensonges portant sur des éléments factuels, ni de nier le rôle utile de ceux qui en dénoncent – preuves à l'appui – l'imposture. Mais les récentes initiatives qui prétendent - à partir d'une application sur le navigateur - donner le LA des informations bonnes à croire et lutter contre les sites de « désinformation » - ou prétendues telles – ont quelque chose de désolant et peuvent aussi instaurer un filtre de couleur aux effets potentiellement pervers : on sait ce que produit dans de nombreux pays la propagande officielle, et dans ce domaine, nous ne sommes pas une exception.
Jacques Cuvillier