Nous le savons tous pour avoir suivi les faits d'actualité qui ont émaillé les luttes sociales. Ceux qui tirent leur épingle du jeu sont les corporations qui ont le pouvoir de nuire. Routes bloquées, trains à l'arrêt et gares encombrées, arrêt de soins, toutes les manifestations retentissantes qui s'exercent en appui de négociations sont déterminantes.
A côté de ces professions privilégiées, celles qui ne disposent pas d'un tel levier déploient des trésors d'imagination pour concevoir des modes d'actions aussi médiatiques que possible. Rien de tel qu'un passage aux journaux télévisés. En comparaison, les protestations officielles, les lettres ouvertes, les pétitions et leurs milliers de signatures, ont un effet plus incertain.
Et les chômeurs, les pauvres, beaucoup pensent qu'ils n'ont que leurs yeux pour pleurer. Eux-mêmes doivent le penser d'ailleurs. Je me souviens avoir participé au début des années 90, lorsque la montée du chômage était encore un sujet de scandale, à de grandes manifestations où je me trouvais dans les rues avec beaucoup de connaissances... qui toutes avaient un emploi. Et nous nous disions « Mais où sont les principaux intéressés ? Ils devraient être dix fois plus nombreux ! » Et les réponses allaient souvent dans le même sens, dans le genre : « tu sais, quand on est chômeur, on ne la ramène pas ». Et je peux le comprendre. Il m'est arrivé d'accompagner une personne en demande d'emploi dans ses démarches, et de me rendre compte de la rudesse de ce que peut éprouver une personne traitée tout naturellement comme si elle était déficiente.
Je fais grève, je ne chôme plus
On entend souvent que les chômeurs ne peuvent as faire grève. Pourtant, s'ils pouvaient s'en rendre compte, ils ont, eux aussi un bras de levier potentiellement efficace. Un travailleur fait grève en arrêtant de travailler. Arrêtons-nous in instant et rêvons un peu : que se passerait-il si de nombreux chômeurs arrêtaient de chômer ?
J'entends la réponse : « ils ne demanderaient pas mieux qu'on leur trouve un emploi ». Évidemment. Leur donner un emploi, c'est justement ce que leur refuse l'organisation sociale telle qu'elle fonctionne. Le travail est sa chasse gardée. Mais ils peuvent se donner du travail !
J'entends la première objection : « Mais qui va les payer ? Vous ne voulez pas qu'il travaillent bénévolement quand même ! » Nous y voilà : le blocage c'est l'argent. Mais c'est par là qu'on les tient en laisse : privé d'argent, privé de travail. Et privés de travail, ils ne dérangent personne, c'est le système qui veut cela.
J'entends la seconde objection : « mais le travail est réglementé ! On ne peut pas travailler comme cela ! ». Effectivement, la législation du travail a été mise en place. Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'elle n'a pas permis le respect d'un droit fondamental et imprescriptible de l'humain : celui de contribuer à la vie sociale. Aucune réglementation n'est dès lors licite si elle contrevient à ce droit.
Une cage ne serait pas plus efficace.
En résumé, déconsidération, conditions d'accès à l'argent, réglementation, maintiennent les chômeurs et tous les précaires dans une condition dont ils ne peuvent s'extraire. Ils n'ont comme réconfort que les promesses d'une croissance hypothétique, argument éculé mais toujours utilisé par nos politiciens qui la font miroiter comme l'espoir d'une libération conditionnelle. Il faut bien avoir à l'esprit que la puissance économique d'un pays n'est pas tant l'argent dont elle dispose – qui conduit à payer de plus en plus d'intérêts – mais la force de travail dont elle est capable.
L'argent nous asservit, passons-nous-en le plus possible !
Non seulement l'argent nous asservit, mais chaque fois qu'on en utilise dans les circuits normaux de sa circulation, il s'en perd une bonne partie dans les tuyaux ! Apprenons donc à nous en passer au maximum par toutes les combines possibles. Services réciproques, circuits d'approvisionnement en nourriture aussi courts et informels que possible, organisation amiable de moyens de transport, les pistes ne manquent pas.
Travailler sans paye ne signifie pas sans contrepartie. L'économie est un échange de services, et fondamentalement, l'argent n'en est que l'instrument de mesure. Tous les systèmes de monnaie alternative, comme le SEL l'ont bien compris de cette façon. Donc travailler oui, mais « à charge de revanche ».
Imaginons maintenant que plusieurs millions de personnes qui n'ont pas d'emploi satisfaisant mais qui ont malgré tout des talents et des compétences les plus diverses – et aujourd'hui de tous les niveaux - se mettent à injecter leur force de travail dans la vie économique. Quel tsunami ce serait ! Quand on voit déjà le malaise que génèrent quelques tendances d'une « uberisation » croissante mais encore bien timide !
La réglementation ne peut avoir raison de la multitude
J'entends encore l'objection : « Mais il existe des moyens de répression, c'est risqué de faire cela ! ».
Effectivement, mais là, je me permets de rigoler. Ces moyens, déjà jugés très insuffisants, ne seraient que fétu de paille devant le rouleau compresseur que représenteraient des centaines de milliers de « contrevenants ». À la limite, une petite caisse de solidarité suffirait à indemniser les quelques malheureux qui seraient tracassés. Il existe d'ailleurs de nombreux exemples qui prouvent que la réglementation ne peut avoir raison de la multitude. Je ne citerai que celui-ci : lorsque quelques audacieux ont décidé d'émettre des émissions de radio « pirates », ils ont eu des ennuis. Mais lorsque les expériences se sont multipliées, les radios libres ont eu droit de cité.
La rupture décisive
Le « pouvoir de nuisance » des chômeurs n'est pas à prendre comme une menace pour la société. C'est au contraire un argument pour provoquer la réorganisation nécessaire à l'éviction d'un fléau de longue date. L'expérience serait de toute manière de courte durée si elle était tentée avec détermination. Il se passerait en quelques mois des transformations qui n'ont pas été faites pendant plus de trente ans. Par quelles mesures ? Très probablement par un dispositif qui serait apparenté de près ou de loin au revenu de base, et qui redonnerait le droit imprescriptible de travailler librement.
Billet de blog 8 octobre 2015
Travailler librement
Nous le savons tous pour avoir suivi les faits d'actualité qui ont émaillé les luttes sociales. Ceux qui tirent leur épingle du jeu sont les corporations qui ont le pouvoir de nuire. Routes bloquées, trains à l'arrêt et gares encombrées, arrêt de soins, toutes les manifestations retentissantes qui s'exercent en appui de négociations sont déterminantes.A côté de ces professions privilégiées, celles qui ne disposent pas d'un tel levier déploient des trésors d'imagination pour concevoir des modes d'actions aussi médiatiques que possible. Rien de tel qu'un passage aux journaux télévisés. En comparaison, les protestations officielles, les lettres ouvertes, les pétitions et leurs milliers de signatures, ont un effet plus incertain.Et les chômeurs, les pauvres, beaucoup pensent qu'ils n'ont que leurs yeux pour pleurer.
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