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Billet de blog 11 septembre 2025

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Une rupture sur le fond plus que sur la forme ?

Notre nouveau premier ministre veut une rupture de fond ? Mais le fond qu’il convient de changer ne tient-il pas à ce qui caractérise la Constitution de la cinquième république ?

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La cinquième république qui a fondé sa stabilité sur l’avantage majoritaire a connu tout au long de son parcours un fonctionnement curieux qui permettait à un bord politique d’imposer sans partage un programme couvrant tous les aspects de la vie de la nation.

Bien que ce cadre républicain se soit installé en 1958 dans les mains du pouvoir mené par la droite gaulliste de l’UNR et les centristes du MRP, la logique majoritaire a également guidé les partis d’opposition qui ont concocté au début des années 1970, avec l’épisode marquant du congrès d’Épinay en juin 1971, le socle d’un programme commun de la gauche qui devait le jour venu imposer un régime différent à l’ensemble du pays.

On voit donc que malgré les mises en garde de quelques ténors politiques qui, dès 1958 à l’instar de René Maunory ont vite repéré et dénoncé la limitation des débats parlementaires dans le cadre de la nouvelle Constitution, la France a fonctionné bon an mal an avec cette acceptation d’une démocratie qui, curieusement, se révélait comme tyrannique vis-à-vis de l’autre moitié du pays chaque fois que l’alternance politique arrivait.

Avec cette constitution, les prérogatives présidentielles ont aussi été renforcées. L'élection de ce Président au suffrage universel a donné l'illusion d'un pouvoir rendu au peuple.

Cette logique du gagnant-perdant qui escamotait la recherche nécessaire de consensus n’a pas été vue comme un grave défaut de démocratie, simplement parce que chaque parti rêvait en fin de compte de pouvoir imposer ses vues : le programme, rien que le programme, tout le programme !

Dans le contexte des blocs opposés droite – gauche, cette marche boiteuse a façonné une vie politique d’affrontement permanent au point que même la perspective d’une troisième voie se concrétisait aussi comme un programme à appliquer.

C’est peu de dire que la France politique n’est pas apte au compromis. Dans l’expression des opinions, toute inflexion, tout questionnement sur la pertinence d’une idée de son camp peut éveiller de la suspicion, voir faire parler de trahison. Et la presse veille volontiers à la « pureté » politique des personnes dont elle parle. L’identification doit rester claire, les couleurs troubles ne peuvent avoir la cote.

Pourtant, cette scission en deux factions typiques de l’électorat n’a rien de réaliste. Le tableau politique n’est pas constitué que d’une seule dimension, sur un seul axe allant de la gauche vers la droite ou l’inverse, mais de plusieurs axes qui portent des notions de tradition ou de novation, de partage ou de compétition, de prudence ou d’audace, d’allégeance ou d’émancipation. Autant dire que les visions du monde sont multiples et ne peuvent figurer sur une seule échelle.

La société est belle d’autant qu’elle est diverse. Mais comment trouver un terrain d’entente sur une question particulière ? C’est difficile, mais on y arrive. Des changements notables sur le plan social ont été observés accompagnant des évolutions philosophiques constantes, sans donner lieu à des conflits insurmontables. On y arrive étape par étape, un sujet à la fois. Mariage pour tous, fin de vie…

Par contre, vouloir façonner à l’avance tout un contexte législatif et réglementaire avec l’idée de l’imposer en bloc paraît à la fois stupide et irréalisable. C’est pourtant de cette manière que nos partis imaginent pouvoir encore fonctionner. Quoi de plus consternant que de voir un secteur entier de l’hémicycle, riche de personnalités diverses voter comme une seule personne ! Le libre-arbitre parlementaire devrait être la garantie d’une démocratie véritable dans la mesure où l’ensemble des élus, dans leur diversité sont une émanation de la population française.

On peut comprendre que la perspective déclarée en ouverture de rideau à la présidence actuelle d’un régime « ni de droite ni de gauche » ait pu un temps faire illusion. Quelle part de la population est versée sans compromis dans des choix politiques radicaux ? Quelle part s’accommoderait volontiers d’un mode de fonctionnement moins prompt aux affrontements, plus pragmatique, moins idéologique, plus soucieux de l’avenir que des comptes du passé ?

Puisque notre nouveau premier ministre parle d’une rupture sur le fond plus que sur la forme, il a du pain sur la planche !

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