Ce 30 avril, la fabrique du mensonge était sur France-Inter.
Cette émission consacrée à l'affaire d'Outreau n'a écarté aucun des clichés qui constitue la doxa telle qu'elle a été concoctée par de brillants avocats de la défense et continuellement enseignée depuis une dizaine d'années au bon peuple Français. Cette fois, c'était un chef d'œuvre : un récit soigneusement construit avec des termes bien ciselés pour atteindre leur cible, lu de manière théâtrale par de bons comédiens, un ton sentencieux et ampoulé... à la limite du ridicule.
Toute la collection des idées reçues émaillées d'allusions perfides pour décrédibiliser les enfants victimes, le juge d'instruction, la justice, rien ne manquait à l'exception bien entendu des faits anormaux qui ont effectivement caractérisé ce procès : les pièces de l'instruction – même les plus troublantes - largement absentes des débats, les victimes dans le box des accusés - et les accusés aux côtés du public et des journalistes - les gosses malmenés à la barre, la perturbation des audiences, le recours immodéré aux médias sur qui la défense s'est appuyée pour diffuser ses montages stratégiques, et accessoirement les mensonges qui devaient porter atteinte aux experts, les conclusions du procès en appel tirées avant que les jurés ne se réunissent... Rien de tout cela n'avait sa place, pas plus que le fait incontestable que 12 enfants ont été reconnus victimes de viols agressions sexuelles, proxénétisme. Cela aurait fait désordre dans cette pièce où tout était soigneusement filtré et peigné pour faire une sorte de récit imparable à même d'entraîner dans les esprits une conviction indélébile. Indélébile, mais débile compte tenu de tout ce qui fait défaut pour que la réalité soit un tant soit peu respectée.
A lire sur le site de France-Inter la présentation de l'émission, je pouvais déjà avoir à l'avance quelques inquiétudes, même si je suis habitué au parti-pris systématique dont l'affaire fait l'objet dans les médias. On pouvait voir la mention de l'inénarrable film de Vincent Garencq « présumé coupable » que nombre médias présentent sciemment comme une histoire vraie alors que de l'aveu même du producteur et du réalisateur1, il s'agit d'une fiction, le livre de Florence Aubenas « la méprise » écrit à l'appui de la défense qualifié « d'excellent », mais rien, absolument rien, sur tout ce qui représente les thèses contradictoires : le livre de M.C. Gryson « Outreau, la vérité abusée », le film de Serge Garde « Outreau, l'Autre vérité » qui lui, est un vrai documentaire, rien non plus sur le livre de Jacques Thomet.
Et malgré cette information déficiente et scandaleusement partiale, il faudrait admettre à les entendre que les médias dont ils font partie sont les seules sources crédibles de l'information. C'est ce que j'ai compris quand l'émission est venue sur Internet, ce grand bazar où l'on peut lire n'importe quoi ! Comprendre : la doxa d'Outreau telle qu'elle vient de vous être présentée est la seule chose qu'il faille garder à l'esprit.
Comment ne pas trembler en essayant alors d'imaginer le nombre sujets que je n'ai pas le temps d'étudier par moi-même, que je pense connaître un tant soit peu au travers de la radio et de la télévision, et qui ont peut-être été traités avec autant de désinvolture ou de mauvaise foi ?
Vous qui passez des soirées à faire des recherches et étudier des sujets utiles à la collectivité, ne vous fatiguez plus à rédiger et mettre en ligne, les grands médias ont choisi pour vous ce qu'il convient de croire. Tout le reste n'est que fantaisies ou théorie du complot !
Vous avez compris que j'étais en colère ? Gagné. Je le suis effectivement. La question qui se pose pour moi ce soir : où est la fabrique du mensonge ?
On peut enfin s'interroger sur la pertinence de préparer une telle émission à moins de trois semaines de l'ouverture du procès de Daniel Legrand à Rennes. Celui-ci, en dépit de cette idée saugrenue - une de plus - selon laquelle il aurait été identifié « par hasard » aura pas mal de choses à raconter sur ce qui lui est reproché pour la période où il était mineur. Sujet scabreux pour ce garçon peut-être auteur, mais très probablement victime.
Me Reviron, l'un des avocats de la partie civile, a déclaré2 qu'il ne s'agissait en rien de refaire le procès d'Outreau. Dont acte. Serions-nos optimistes au point d'espérer pour ce procès qu'il reste dans les limites de son dossier et qu'il soit entouré d'un peu de sérénité ? Il est certain que si à cette occasion les personnes qui ont étudié sérieusement l'affaire et qui s'expriment à son sujet s'étaient efforcées de la remettre globalement sur le tapis, les critiques auraient fusées de partout et à juste titre. Or à quoi assiste-t-on ? L'un des acquittés qui n'a pour autant aucune qualité pour être érigé en juge est reçu pour commenter une pièce qui l'évoque en totalité ! Fin décembre, c'était le numéro de Me Delarue sur France-Info3... À quoi joue-t-on ? Qui réellement veut refaire le procès d'Outreau ?
1http://www.village-justice.com/articles/Fabrice-Burgaud-Bertrand-Tavernier,15744.html
2http://www.village-justice.com/articles/Patrice-Reviron-avant-dernier,19551.html
3 On a croisé la parole d'une mythomane à celle d'un enfant fou » France Info