Romstorie - la Caravane passe
3°épisode : Le démon des origines
Le diable est niché dans les détails. À lire les Schémas départementaux d’accueil des Gens du voyage on peut relever que nombre de ces documents officialisés par les paraphes conjoints des préfets et présidents des Conseils départementaux font allusion à l’origine externe, on peut dire exogène, des Gens du Voyage. "Ce sont des populations venues de l’Inde au quinzième siècle" et patati et patata… Quand on connait le montant de la facture des cabinets de conseils payés pour rédiger de tels arguments, on reste sans voix. Est-ce pour autant qu’il nous faudrait la fermer ?
Pourquoi rappeler en permanence que nous ne serions peut-être pas vraiment d’ici ? Que la France éternelle ne serait peut-être pas la terre de nos ancêtres ? Est-ce pour laisser sous-entendre que nous ne serions pas des Français à part entière ? Que nous ne serions peut-être pas, comme les autres Français, nés libres et égaux en droits ? On ne remet jamais en question, et c’est heureux, l’appartenance à la Nation, qu’elle soit ancienne ou plus récente, des gens du Gard, des gens du Rhône, du Jura, du Bas-Rhin, du Nord, du Morbihan ou des gens du Cher. Pourquoi faut-il que ce soit différent pour les Gens du Voyage ? N’y aurait-il pas là un débat nécessaire à ouvrir avec l’aide des historiens et des universitaires spécialisés dans la géographie humaine ?
Le démon des origines est venu se nicher dans la PPL 906, la Proposition de loi du groupe Horizon. Je cite : « Le terme de Gens du voyage englobe plusieurs populations, qu’elles soient d’origine Rom telles que les Manouches, les Gitans, les Tsiganes, les Roms d’Europe de l’Est, ou non-Rom comme les Yéniches ».
Que signifie d’origine Rom ? Que signifie d’origine non-Rom ? Rappelons courtoisement aux députés et députées du groupe Horizon, signataires de la PPL 906, l’article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 : “ La France est une République indivisible, laïque et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances ”. Mesdames et Messieurs députées et députés, qu’est-ce que ces distinctions d’origine rom ou d’origine non-rom viennent faire dans la proposition de loi que vous avez signée et déposée et défendue à l’Assemblée nationale ?
Quelles seraient vos réactions si dans une autre proposition de loi figurait un préambule tout aussi incongru, s’interrogeant sur les origines familiales de MM. Xavier Albertini, Henri Alfandri, de Mmes Nathalie Colin Oesterle, Naïama Moutchou, Marie-Agnès Poussier Winsback, parce que, ainsi que l’écrivait le poète Louis Aragon, "à prononcer vos noms sont difficiles" ? On peut prédire sans craindre le démenti que ces allusions équivoques à vos origines familiales dont vous êtes fières et fiers, à juste titre et comme chacun d’entre nous, vous amèneraient à protester, à pétitionner à vous exprimer dans les médias, à mobiliser vos avocats. Souffrez seulement qu’il en soit de même pour nous, si vous étiez amenés à réviser la copie.
Le rapport relatif à l’interdiction de la circulation des Nomades sur la totalité du territoire métropolitain du 6 avril 1940 adressé au Président de la République par le Président du Conseil, le Ministre de la Défense nationale et de la Guerre, le Garde des sceaux et le Ministre de l’Intérieur, qualifiait les Nomades, nos aînés, "d’individus errants, généralement sans domicile, ni patrie, ni profession effective et constituant un danger qui devait être écarté". Les conclusions de ce rapport ont conduit des milliers de Nomades derrière les barbelés dans des conditions d’internement épouvantables, emprisonnés et gardés par les autorités françaises, maintenus en détention pour certains d’entre eux jusqu’en 1946. Plus de la moitié des internés étaient des enfants. Quel mal avaient-ils fait ces enfants ?
Dans les mesures législatives débattues au Parlement et au Sénat en 2025, soit 85 ans plus tard, nous ne souhaitons en aucun cas, retrouver des propos d’une même teneur ni construits sur de semblables fondements. Je le redis ici, je le rappelle une fois encore, cette proposition de loi ouvre une discussion sur des questions de circulation et d’aménagement du territoire, elle ne peut contenir en aucun cas dans son exposé des motifs les éléments tendant à laisser penser qu’il s’agirait d’une loi raciale.