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Billet de blog 11 octobre 2014

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Romstorie : Les Roms et les parapluies

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Romstorie : les Roms et le parapluie.

J’ai le plaisir d’écrire cet article en remerciement de l’amitié bienveillante que porte Mélikah ABDELMOUMEN aux Tsiganes.

Dans l’un de ses articles, paru sur son blog édité par Médiapart, Gadoue, histoire de Roms du 21 septembre dernier, elle s’interrogeait avec finesse et effarement sur le fait de s’être embarquée dans un bidonville avec un parapluie dérisoire et superflu quand ses amis Roms et leurs enfants tout petits vivaient jour et nuit dans l’infernale gadoue, sous de malheureuses et trop courtes bâches en plastique.

Mélikah écrivait : - Tu finis par fermer ce satané parapluie qui ne fait que compliquer les choses de toute façon, et qui est une insulte. Un parapluie comme une offense, à tous ces gens qui n’ont rien, etc. Et plus loin : - Et toi et tes potes, votre beau parapluie injurieux maintenant refermé, pendu à vos côtés comme un vieil oiseau trempé et piteux, etc.

Il m’a semblé que le parapluie, qui peut parfois s’avérer encombrant, n’est ni injurieux, ni insultant, ni incongru. Mis à l’honneur par Georges BRASSENS, immortalisé par Jacques DEMY (les parapluies de Cherbourg), parapluie d’Aurillac ou de la parasolerie HEURTAULT, parapluie bulgare ou nucléaire, c’est un objet familier, présent en politique, au cinéma,  dans la chanson, dans les magasins, nos maisons, à notre bras, à notre main. Présent aussi dans le monde tsigane.

Dans mes recherches sur les carnets de nomades de ma famille, j’ai rencontré à plusieurs reprises les termes de raccommodeuse et plus curieusement de rétameur de parapluie. Cet article de Mélikah m’a donné l’occasion de revisiter l’acte de mariage de mes arrière-arrière-grand-parents, Louise SPEISER et Vincent RENNER, manouches et yéniches alsaciens, daté de 1864, sous le second empire.

C’était un temps où les parapluies se réparaient. Ils étaient faits pour durer, comme les chaises, les souliers, la vaisselle, rempaillées, rapetassés, ravaudés, rénovés par les mains habiles des « petits métiers », cordonniers, rétameurs, raccommodeurs de faïence. (Ah ! Quand Jean Pierre PERNAUT va savoir ça !). Aujourd’hui, nos parapluies, nos pépins, nos pébroques, nos riflards et rifloquins se vendent à vil prix pour un usage unique, se retournent au premier coup de vent, se démanchent, se dépiautent, et crevés de la toile, rompus de la charnière, partent à la poubelle.

Donc Louise SPEISER, épouse RENNER, née en 1843, la grand-mère de mon grand-père, gagnait sa vie à raccommoder les parapluies. Même si le contrat de mariage reste imprécis, elle ne devait pas travailler en atelier ou boutique sédentaire, mais suivre son mari, lequel était vannier ambulant, un métier courant chez les Voyageurs. Le père de ma trisaïeule, Jean Philippe SPEISER était déjà vannier ambulant, mais sans résidence ni domicile connu. Louise, née le 22 janvier a perdu sa mère, Marie FROMBERGER, à l’âge de huit mois et demi, le 3 octobre de la même année. On peut éventuellement supposer qu’elle n’a pas été élevée par son père resté veuf. On peut réfléchir aussi à la mortalité effarante des femmes tsiganes, souvent liée aux maternités.

Ce document nous renseigne sur la complexité de l’acte de mariage, où le consentement des parents restait nécessaire, Vincent avait vingt-quatre ans et Louise vingt-et-un. Les secrétaires de mairie devaient être astreints au travail dominical car le calendrier de l’affichage public courrait du dimanche à 9 heures au dimanche suivant. L’oralité, la parole sous serment a été prise en compte en lieu et place de l’écrit quand il s’est agi d’attester de l’absence de domicile connu de Jean Philippe SPEISER.

Dans cette cérémonie codifiée, documentée, certifiée par l’écrit, les Tsiganes, de culture orale, dont très peu écrivaient où lisaient, même de façon rudimentaire à cette époque, prendront la parole à plusieurs reprises. Pour la situation de Jean Philippe SPEISER, pour se dire oui mutuellement, pour reconnaitre leurs deux enfants nés avant le mariage, Martin et Marie Christine, âgés respectivement de deux ans-et-demi et cinq mois.

Curieux clin d’œil de l’histoire, l’un des  témoins de mariage de ces croquants nomades est un ancien magistrat, nommé Eugène Renard, du nom de cet animal qui aurait tendance à taquiner les poulettes, c’est du moins ce qu’en disent le Gadgés, qui exagèrent bien souvent...

Le mot de la fin revient à Louise SPEISER et ses deux témoins  François SCHELLER et Jean SAUER qui ont déclaré ne pas savoir signer.

Mes remerciements les plus chaleureux à mes très chères cousines, Marie Madeleine KLING et Agathe MULLER qui m’ont communiqué ce précieux document familial.

Acte de mariage de Louise SPEISER et Vincent RENNER

L’an mil huit cent soixante-quatre, le neuf septembre  (09/09/1864) à cinq heures et demi du soir, par devant nous Pierre Marie DURAND, Chevalier de la Légion d’Honneur, maire de Langres, (Haute-Marne) officier d’état-civil de ladite ville ont comparu en la maison commune :

Vincent RENNER, âgé de 24 ans, vannier ambulant, demeurant à Bel-Air, faubourg de Langres, né à Strasbourg, Bas Rhin, le 4 juin 1840, ainsi qu’il résulte de l’expédition de son acte de naissance ci-annexé, fils de Vincent RENNER, âgé de 56 ans, aussi vannier ambulant, et de Marie BLEYEL, âgée de cinquante-quatre ans, domiciliés à Fegersheim (Bas-Rhin), autrefois Illkirch, même département, consentants, suivant l’acte ci-joint, passé le 27 août dernier devant Emile WURMSER, notaire au dit Fegersheim, enregistré le même jour,

Et Louise SPEISER, âgée de vingt-et-un ans, raccommodeuse de parapluies, demeurant à Langres, née à Guéblange, canton de Sarralbe, le 22 janvier 1843, ainsi qu’il résulte de son acte de naissance ci-annexé, fille de Jean Philippe SPEISER, vannier ambulant, autrefois domicilié à Roppenheim, Bas Rhin, actuellement sans résidence ni domicile connus, suivant la déclaration à serment faite par la future et les quatre témoins du présent mariage, conformément aux dispositions de l’avis du Conseil d’Etat du 23 juillet 1805, et de Marie Anne FROMBERGER, décédée à Rodalbe (Bas-Rhin) le 3 octobre 1843, ainsi que le constate son acte de décès dont l’expédition est ci-jointe

Lesquels comparants ont requis de procéder à la célébration du mariage projeté entre eux et dont les publications ont été faites devant la principale porte de l’Hôtel de Ville, les dimanche sept et quatorze août à neuf heures du matin, à Fegersheim les vingt-et-un et vingt-huit du même mois, à Illkirch les vingt-quatre et trente et un juillet dernier, à Roppenheim les 31 juillet et sept août suivants, ainsi qu’il résulte des certificats de publication et de non-opposition ci annexés et délivrés par les maires des trois communes. Aucune opposition au dit mariage ne nous ayant été signifiée, faisant droit à la réquisition des parties, après avoir donné lecture de toutes les pièces ci-dessus mentionnées et du chapitre 6 titre 5 du Code Napoléon intitulé du mariage, nous avons en conformité de la loi du 10 juillet 1850 interpellé les futurs d’avoir à déclarer s’il avait été fait devant notaire un contrat destiné à régler les conditions civiles du mariage, ce à quoi ils ont répondu négativement. Nous avons ensuite demandé au futur époux et à la future épouse s’ils voulaient se prendre pour mari et pour femme, chacun d’eux ayant répondu séparément et affirmativement, nous déclarons au nom de la loi que Vincent RENNER et Louise SPEISER sont unis par le mariage. Et aussitôt les dits-époux ont déclaré qu’il est né d’eux, 1èrement à Brienne Napoléon (Aube) le douze mars 1862 un enfant du sexe masculin inscrit sous les prénoms et nom de Martin SPEISER, 2èmement   à Arnaville (Meurthe) le dix-sept avril 1864, un enfant du sexe féminin, inscrit sous les prénoms et nom de Marie Christine RENNER, lesquels enfants ils reconnaissent légitimement pour leur fils et fille.

De tout quoi nous avons dressé acte en présence de Jean Baptiste Simon Eugène RENARD, âgé de 49 ans, ancien magistrat, Jean Michel DIEPPEL, âgé de trente-trois ans, vannier ambulant, François SCHELLER, âgé de vingt-six ans, manouvrier et Jean SAUER, âgé de soixante-trois ans, marchand ambulant, tous les quatre demeurant à Langres, lesquels après qu’il leur a été donné lecture du présent acte, l’ont signé avec nous et les parties comparantes à l’exception de l’épouse et des sieurs François SCHELLER et Jean SAUER qui ont déclaré ne pas savoir signer, de ce requis.

Suivent les signatures de Vincent RENNER, Eugène RENARD, Jean Michel DIEPPEL et Pierre Marie DURAND.

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