Charliestorie : Après les manifs, la gerbe
Balles tragiques du 7 janvier, Charlie mitraillé, trois journées de fer et d’enfer, marées humaines aux mille couleurs de peau, morts pleurés, pandores acclamés, vagues de marcheurs, océan pacifique de Bastille à Nation dont le ressac dans nos cœurs avait laissé l’espoir d’une réconciliation.
Et ce matin, après cette courte nuit où le sommeil revient peu à peu, ô journalistes inconséquents du service public, misérables calculs d’une alternance éventuelle, faiblesse de la tutelle, Télématin, télé chagrin, à l’honneur sur nos écrans : Guéant ! L’ami de Kadhafi, des marchands de guerre et des marchands de fusils. Un coup de poing dans nos gueules qui rêvaient de pureté, millions de poètes naïfs, Charlie s’en va-t-en-guerre, retour aux affaires, à la fange du péculat, à l’égout des prévarications.
Pour vous consoler, cette poésie de Louis Aragon que nous avons été nombreux à réciter à l’école communale. On la croirait écrite ce matin même, tant les vers qu’elle contient correspondent aux journées que nous venons de vivre.
JD. Lundi 12 janvier 2015.
« Je vous salue ma France »
Je vous salue ma France, arrachée aux fantômes !
Ô rendue à la paix ! Vaisseau sauvé des eaux…
Pays qui chante : Orléans, Beaugency, Vendôme !
Cloches, cloches, sonnez l’angélus des oiseaux !
Je vous salue, ma France aux yeux de tourterelle,
Jamais trop mon tourment, mon amour jamais trop.
Ma France, mon ancienne et nouvelle querelle,
Sol semé de héros, ciel plein de passereaux…
Je vous salue, ma France, où les vents se calmèrent !
Ma France de toujours, que la géographie
Ouvre comme une paume aux souffles de la mer
Pour que l’oiseau du large y vienne et se confie.
Je vous salue, ma France, où l’oiseau de passage,
De Lille à Roncevaux, de Brest au Montcenis,
Pour la première fois a fait l’apprentissage
De ce qu’il peut coûter d’abandonner un nid !
Patrie également à la colombe ou l’aigle,
De l’audace et du chant doublement habitée !
Je vous salue, ma France, où les blés et les seigles
Mûrissent au soleil de la diversité…
Je vous salue, ma France, où le peuple est habile
À ces travaux qui font les jours émerveillés
Et que l’on vient de loin saluer dans sa ville
Paris, mon cœur, trois ans vainement fusillé !
Heureuse et forte enfin qui portez pour écharpe
Cet arc-en-ciel témoin qu’il ne tonnera plus,
Liberté dont frémit le silence des harpes,
Ma France d’au-delà le déluge, salut !
Louis Aragon, Le Musée Grévin, 1943