Romstorie : la Roma Pride, Tony Gatlif, Raymond Gurême et Frédéric Mitterrand
Dimanche dernier, 5 octobre 2014, s’est tenue la quatrième édition de la Roma Pride, Place de la République à Paris. Il n’y avait pas un monde fou. Six-cent personnes selon les organisateurs, cent-cinquante selon la police. Même si la police exagère, ce n’est pas un succès.
Peu de monde à cette Roma Pride et peu, sinon pas de retours dans les médias, comme s’il s’était agi d’un non-évènement. Les mêmes médias avaient pourtant relayé l’appel à manifester, publiant pour la plupart in extenso le texte cosigné par l’EGAM, le Mouvement Antiraciste Européen (European Grassroots Antiracist Movement - EGAM), l’Union Française des Associations Tsiganes (UFAT), SOS Racisme et de nombreuses associations et personnalités des milieux politiques, artistiques, littéraires et autres.
Alors, pourquoi si peu de monde ?
L’appel a été rendu public avec une diffusion tardive, en début de semaine, vers le 1er octobre pour la manifestation du dimanche 5. Il n’est pas toujours facile de se disponibiliser en quelques jours, trouver l’argent des billets de train quand on habite loin, et même si la « chasse » aux signatures, gage aléatoire de succès, prend du temps, il faudra pour la prochaine fois démarrer le buzz plus tôt.
Peut-être aussi que ce type de manifestation n’est pas vraiment adapté, sous cette forme, à la « question Rom » et qu’elle se heurte à ses propres limites, perçues comme plaintives, revendicatives, dans une société où « chacun a bien assez de problèmes comme ça », à une période où se durcit le regard des Français sur la pauvreté et la précarité. Cette image du Rom pauvre et précaire, donc en mauvaise santé, donc délinquant, domine toutes les autres représentations possibles dans la presse contemporaine comme dans le discours politique.
Pour reprendre les propos de Martin Oliveira, ethnologue, ceux que l’Etat et les associations désignent par le mot "Roms" sont-ils une seule et même minorité transnationale européenne, une même « population » qui aurait la même origine, la même trajectoire au cours de l'histoire ? Ressentent-ils le besoin de converger le même jour, Place de la République à Paris, pour se faire voir à la télévision, laquelle n’était pas là ? Il n’est pas certain que les Roma Prides organisées dans différents pays d’Europe aient connu plus de succès que Paris.
Symétriquement, hantée par le démon des origines, la « tsiganologie » simplificatrice d’une histoire très complexe et partiellement documentée, catégorise, différencie, répertorie, (jamais de la même façon et personne ne s’y retrouve), le monde éparpillé des Roms, Sinti, Manouches, Yéniches, s’égare dans la recherche obsessionnelle des appellations d’origine contrôlée.
La vie continue, peu soucieuse des tiroirs et des étiquettes. Les cousinages et les filiations s’imbriquent et se multiplient dans les familles entre Manouches et Yéniches, Sinti, Calé et bien souvent les Gadgés. Cette peine perdue, cette mythique unité perdue, les manifestations publiques Roma Prides peinent à les résoudre.
Pour des raisons que nous ne connaissons pas, deux associations, la FNASAT (Fédération nationale des associations solidaires d'action avec les Tsiganes et les Gens du voyage) et La Voix des Roms, ne se sont pas exprimées au sujet de la Roma Pride.
Il y a ceux qui ne sont pas venus et ceux qui sont venus, dont Tony Gatlif et Raymond Gurême.
C’est toujours un immense bonheur de rencontrer Tony Gatlif, toujours aimable, simple disponible accessible. Ce réalisateur a produit des films magnifiques et fraternels dont notre petit peuple a souvent été l’acteur principal. Il a tenu à prendre Raymond Gurême par la main et monter avec lui sur l’estrade, l’entourer de son bras protecteur, demander à chacune et chacun de témoigner de chaleur et de réconfort à cet homme de 89 ans qu’un policier a frappé à coup de matraques, quelques jours auparavant, le 23 septembre, chez lui, à St Germain-les-Arpajon dans l’Essonne.
Impensable. Impensable qu’un tel évènement puisse arriver. Impensable que, droite ou gauche au gouvernement, ce soit toujours la même violence, la matraque et les gaz contre les Tsiganes. Raymond Gurême, résistant, rescapé des camps, c’est Primo Lévi, Elie Wiesel, Simone Veil. Le même âge, le même parcours atroce, le même témoin de l’horreur, de la violence infligée. Imaginez-vous un policier frappant Madame Simone Veil ?
Dans notre France de 2014, où sont passées les grandes voix, que sont devenus les grands serviteurs de l’Etat, de la République, pour demander les éclaircissements et, si les faits sont avérés, les sanctions contre ce qui s’est passé le 23 septembre à St Germain-les-Arpajon ?
Que devenez-vous Monsieur Frédéric Mitterrand qui, alors que vous étiez Ministre de la Culture, le 19 avril 2012, c'était hier, remettiez à Raymond Gurême les insignes de Chevalier des Arts et des Lettres ? Dans le magnifique discours que vous avez prononcé à cette occasion, vous nous disiez avoir rejoint le combat du cinéaste Tony Gatlif et du collectif « Une mémoire française », composé d’associations de Tsiganes de France et d’un comité d’historiens. Vous nous disiez avoir rejoint ce combat et que vous teniez à partager avec Raymond Gurême cette lutte contre l’oubli, contre le non-dit, contre l’occultation, contre ce qui dépasse l’entendement.
Dans le monde Tsigane, qui écrit peu ou pas, c’est important la parole. Aujourd’hui, Monsieur le Ministre, sur cette affaire bien triste, nous aimerions entendre la vôtre et, respectueusement, vous en remercions par avance.
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