Une dépêche AFP recopiée sans commentaires dans Libération, une dizaine de lignes dans le Journal du Dimanche et c’est tout. On passe à autre chose.
Le bidonville de la Rue Charles-Michels à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) a été évacué vendredi dernier, 12 décembre 2014. L’Etat, dans sa grande mansuétude, a proposé une solution d’hébergement provisoire pour 3 familles « présentant une situation de vulnérabilité particulière », après que 300 personnes aient été jetées à la rue. C’est là sans doute la mise en œuvre de ce qu’on appelle le 1% logement. Pas de « vulnérabilité particulière » pour le reste, des vieux, des gosses et des femmes qui se débrouilleront pour se trouver une crèche et de la paille d’ici la nuit de Noël. http://www.liberation.fr/societe/2014/12/12/un-bidonville-rom-de-300-personnes-dont-des-enfants-evacue-en-seine-saint-denis_1162260
Au mois de décembre, on pouvait légitimement espérer un peu de rémission, le respect de la trêve hivernale, quelques semaines de « paix fourrée » dans le harcèlement sans répit que l’Etat et les collectivités locales mènent contre les Roms.
Raul HILBERG, Historien de l’université de Burlington (USA) déclarait dans le film de Claude LANZMANN (Shoah) : - Même ici, je suggérerais une progression logique qui vint à maturation dans ce qu’on pourrait appeler une culmination. Car dès les premiers temps, dès le quatrième siècle, les missionnaires chrétiens avaient dit aux Juifs : « - Vous ne pouvez pas vivre parmi nous comme Juifs.» Les chefs séculiers qui les suivirent dès le haut Moyen Age décidèrent alors : « -Vous ne pouvez plus vivre parmi nous. » Enfin les Nazis décrétèrent : « Vous ne pouvez plus vivre. »
Pour les deux premières mesures on peut sans hésiter cocher toutes les cases. Vivre, en étant seulement perçu comme Tsigane dans nos sociétés contemporaines, c’est infernal, c’est un quotidien de racisme, de vexations, de quolibets, d’emmerdements à n’en plus finir. Quant à vivre parmi le reste de la société, il faudra brûler tous les panneaux interdits-aux-nomades, supprimer la traçabilité des livrets de circulation, accepter quelques « aires d’accueil » en centre-ville, accepter les gosses à l’école, leurs parents en logement social, vaste programme…
Ainsi par cette culmination, cette progression logique que nous expliquait Raul HILBERG, nous voilà arrivés au troisième étage de la maison France. De nombreux élus ont abandonné leur rôle de modérateur et se sont mués en provocateurs. En septembre 2013, un maire du Pas-de-Calais affirmait et confirmait qu’il soutiendrait quiconque abattrait un Rom. Un maire du Var a regretté l’arrivée trop rapide des pompiers qui auraient pu laisser brûler une caravane et ses occupants, le maire de Cholet regrette qu’Hitler n’en ai pas tué assez, etc. Qu’ils vivent ou qu’ils crèvent, 300 personnes la nuit dehors en plein hiver, ça ne pouvait pas attendre les beaux jours, mais qu’importe, ils sont invulnérables.
Alors pourquoi se mettre en colère pour ce non-évènement, ce bidonville pulvérisé quand 299 bidonvilles dans ce seul département de Seine-Saint-Denis ont été « démantelés » en 2013 et que le cru 2014 ne peut être que meilleur ?
Tu quoque tovaritch, c’est un mélange de slave et de latin (un peu comme la Roumanie) qu’on pourrait traduire par : toi aussi camarade ? On peut vérifier sur Internet que Saint Denis est, depuis les dernières élections municipales, la « seule grande ville de France avec un conseil municipal entièrement à gauche…» (http://www.leparisien.fr/espace-premium/seine-saint-denis-93/paillard-veut-unir-la-gauche-a-saint-denis-07-04-2014-3746457.php) Voilà qui explique peut-être le silence de l’Humanité sur ces expulsions en pleine froidure, l’Humanité si prolixe en octobre dernier sur le même évènement à Bobigny. Elle en est où la gauche ?
Que reste-t-il à espérer quand, du grand Lyon au grand Paris, de petits calculs électoraux signifient clairement, durement et cyniquement aux Roms qu’ils ne pourront plus vivre, ni là, ni ailleurs ?