«Elles sont libres de circuler dans toute l’Europe » a déclaré le préfet de Seine-Saint-Denis à propos des familles expulsées du camp des Coquetiers de Bobigny. Le matin même, il avait envoyé les pelleteuses pulvériser caravanes et logements de ces familles avec enfants et vieillards, condamnés à vivre dans le froid de l’hiver, dehors jour et nuit. Les conducteurs des pelleteuses ont-ils bien dormi la nuit suivante? Monsieur le Maire a bien dormi ?
Libre se dit frei en allemand. On retrouve ce mot dans la sinistre devise à l’entrée d’Auschwitz (Arbeit macht frei, le travail rend libre) et bien des siècles auparavant, dès le quinzième siècle dans le mot Vogelfrei, dont la traduction littérale signifie : libre comme l’oiseau.
Si ce mot nous intéresse, c’est qu’il est en rapport avec le domaine juridique et s’est appliqué très durement aux Tsiganes en Allemagne dès le quinzième siècle et de manières diverses jusqu’à nos jours et jusqu’en Seine-Saint-Denis. Qu’il soit en rapport avec le domaine juridique ne signifie pas pour autant qu’il s’agisse là d’un terme de droit, mais plutôt de non-droit, de fin de droit.
Vogelfrei équivaut au bannissement, au fait d’exclure quelqu’un de la communauté et qu’ainsi les règles communes ne lui soient plus applicables, d’en faire un hors-la-loi, un outlaw. Et tout un chacun pouvait le pouchasser, le tuer, sans avoir à rendre des comptes, le ramener mort ou vif, dead or alive comme les outlaws des affiches de westerns, trois siècles avant les westerns. Et son corps était disponible comme l’oiseau dans les airs, les poissons dans l’eau, les bêtes dans la forêt, car tout doit être possédé et ce qui ne mérite pas d'être possédé ne vaut pas d'être protégé et doit être déclaré hors-la-loi. Et nul ne peut être inquiété pour avoir commis un crime contre lui.
Pourtant, Geneviève GARRIGOS, présidente d’Amnesty International rappelle : Hier, c’est ce que le Maire de Bobigny, la préfecture de Seine Saint Denis et de Paris, ont appliqué en violation flagrante des droits humains les plus fondamentaux. C’est ce qu’avait rappelé la Cour européenne des droits de l’homme, le 17 octobre 2013, en condamnant la France dans une affaire d’expulsion de terrains occupés. Une condamnation que nos hommes politiques continuent d’ignorer, comme ils continuent d’ignorer les droits humains dès lors qu’ils concernent les Roms.
Des roms maintenus hors la loi commune, outlaws, vogelfrei, libres comme l’oiseau, libres de circuler dans toute l’Europe et si l’envie les prends de se payer une toile outre Rhin, qu’ils aillent voir le film d’Agnès Varda, Sans toit ni loi, le titre en allemand, c’est Vogelfrei.
Un dernier mot encore, révérence gardée, que penser d’une telle déclaration directement inspirée de Ponce Pilate, préfet de Judée, il y a deux mille ans ?
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