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Billet de blog 27 janvier 2015

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Romstorie : D’Auschwitz à Bobigny, soixante-dix ans de misère, de pelleteuses et d’anathèmes

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Auschwitz, l’héritage maudit du peuple rom. Les chefs d’Etat, les délégations, les derniers survivants sont repartis, les gerbes de fleurs sur les stèles commencent à geler. Tant d’années après, les  fumées criminelles des cheminées d’Auschwitz donnent toujours le frisson.

Rentrer par le train, le train de l’histoire, inverser le trajet. Revenir à Drancy, à Bobigny, ces gares françaises d’où partaient les convois pour Auschwitz. Soixante-dix ans après, quitter la Silésie, revenir en Seine-Saint-Denis sur ces lieux qui furent aussi les lieux du crime et saisir dans ces gares ferroviaires le vide et l’absence des hommes, des femmes et des enfants assassinés, réduits en cendres emportées par le vent, jetées dans la Vistule.

Traqué, fusillé, gazé, détruit comme le peuple juif, le peuple rom, soixante-dix ans après ne s’en est toujours pas remis. On peut craindre qu’il ne s’en remette jamais. Au-delà des gares de Seine-Saint-Denis que l’histoire accable, la France et l’Europe  de 2015 cherchent toujours à se débarrasser des Roms.

Nos sociétés sont encore traversées par la haute-tension qui courait dans les barbelés d’Auschwitz, un courant fort dont l’intensité ne faiblit pas, ne s’apaise jamais. L’Europe s’en défend, mais semblerait pourtant vivre chaque jour avec le regret de n’avoir pas su finaliser l’extinction de la race. Nulle part, les Roms ont été protégés, nulle part en Europe à ce jour encore, soixante-dix ans après, ils ne sont tolérés.

Dans notre monde de papiers, de droit écrit, de lois codifiées, si souvent critiqué pour la lenteur de sa justice,  tout dossier législatif ou judiciaire concernant les Roms réclame un traitement dans l’urgence, des procédures en référé, des arrêtés de péril imminent pour mettre en route les expulsions sous quarante-huit heures et trois cent soixante-cinq jours par an, des moyens disproportionnés pour une efficacité absolue, deux cents gendarmes mobilisés pour jeter quinze familles à la rue, tandis que les parlementaires s’acharnent à réclamer la fermeté des juges, l’aggravation des peines et des délais d’exécution raccourcis.

Les dossiers concernant les roms sont toujours des dossiers brûlants, exigeant tels des camions de secours la priorité absolue, qui peu à peu transformeraient la machine judiciaire en justice d’exception. La loi commune devrait pourtant  suffire dans notre pays qui, dans les années noires, a produit cette négation du droit que furent l’internement des nomades et les lois antisémites. Comme l’a demandé un ancien détenu d’Auschwitz en ces jours de commémoration, nous ne voulons pas que ce passé soit l’avenir de nos enfants.

Pourtant, le peuple Rom reste ce peuple maudit, harcelé sans répit, poussé de friches industrielles en terrains vagues, fuyant sous la vindicte, le fer des pelleteuses et le blâme des médias. Soixante-dix ans après Auschwitz, les mères épuisées, malades et crevant de froid ne savent plus comment consoler leurs enfants.

De grandes ONG internationales se sont proposées pour sous-traiter cette misère et pétitionnent par principe. Leurs textes alignent les formules de protestation mezza-voce, les dénonciations ressassées, les serments de fléaux qui ne passeront pas, jurent la veille militante et la sacro-sainte vigilance, ce qui ne sert strictement plus à rien, depuis longtemps.

Ces pétitions copiées-collées avec leur douzaine de mots interchangeables conviennent à toutes les causes ; immigrés, Palestiniens, sans-abris, Roms, chômeurs, violence routière ou violence conjugale, etc. Elles sont surtout trop longues de plusieurs pages et tombent finalement des mains du directeur de cabinet du préfet qui soupire et les confie à un stagiaire pour l’envoi d’un accusé de réception qui rassure l’ONG internationale sur son utilité et la bonne marche de l’Etat républicain, surtout quand le préfet a eu le temps d’ajouter « Bien à vous », à la main.

Soixante-dix ans après Auschwitz, élus, riverains, magistrats, policiers, conducteurs de pelleteuses et porte-parole des grandes ONG ne sont responsables en rien de cette misère impitoyable. Au gré des procédures et des expulsions, ils se comportent en actionnaires fatigués, taciturnes ou chicaniers d’une entreprise de nettoyage urbain, ou selon l’expression de Georges Bensoussan dans son livre « Auschwitz en héritage », comme les rouages d’une décision fragmentée qui dilue la responsabilité.

Ces actionnaires fatigués de l’entreprise de nettoyage urbain ont une vision du monde rationnelle et rassurante, si les Roms respectaient la loi, il ne leur arriverait rien d’ennuyeux. Les responsables de ces situations fâcheuses, ces conditions de vie indignes sont le fait des Roms eux-mêmes, coupables, forcément coupables. De quel délit ? On ne sait pas, mais on finira bien par trouver.

Que faire de ces braises de Silésie, de ce passé qui ne passe pas ? Pour sinistre et cruel que soit le paysage, les choses bougent. Si les grandes ONG semblent peu efficaces, de petits collectifs locaux se sont créés, associant les Roms, la charité, l’éducation, le syndicalisme, les droits de l’homme. Non dénués d’humour, ces collectifs locaux se baptisent parfois ONG, comme Latcho Rom à Strasbourg, Organisation Non Gouvernementale, ils sont lucides et savent ne rien devoir attendre des gouvernants.

Pour des honoraires symboliques, des avocats plaident et gagnent parfois. Des retraité(e)s de l’Education nationale alphabétisent patiemment, remplissent les formulaires de l’administration. Des particuliers donnent un coup de main, des conseils, des habits en bon état, des provisions de bouche. Des architectes, des artistes, des écrivains, des cinéastes de renom comme Tony Gatlif n’hésitent pas à s’impliquer.

Discrètement, efficacement, pragmatiques et comparant leurs expériences sur le net, ces bénévoles discutaillent peu et mettent en pratique leurs idées, crèvent de rire quand on leur dit que c’est une vocation très tendance de s’occuper des Roms. Ils admettent parfois que ça leur fait du bien à eux de rendre aux Tsiganes ce qu’ils pensent devoir aux Tsiganes : la vie pas tout seul, le partage, la solidarité, la musique, le cirque, le rêve, la tête de mule et cette richesse qu’on appelle Liberté. Ces Gens-là sont des Justes.

Les choses bougent, le bidonville se nettoie, les problèmes sanitaires et de santé sont pris en charge, il n’y a plus de rats, les gosses vont à l’école, quelques Roms ont trouvé du travail en toute légalité.

A ce moment-là, l’Etat envoie les pelleteuses et les escadrons de gendarmerie.

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