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Billet de blog 28 septembre 2014

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Romstorie : En réponse à l’article : Changer de regard sur les Roms

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En réponse à l’article : Changer de regard sur les Roms 

Réflexions d’un Rom sur l’article et ses commentaires parus dans l’édition de Médiapart du 26 septembre 2014.

Et maintenant, que fait-on ? Combien de temps encore allons-nous, soupirer, la poitrine douloureuse et le regard éploré ? Qui souhaite vraiment changer de regard et sortir de la crise?  Quand donc sortirons-nous de ces sommations à prendre les Roms dans son jardin, assénées à quiconque les tolère un tant soit peu ? Par quel bout faut-il attraper cette foutue « question Rom », question séculaire de ce corps malade dont la République s’exempte à bon compte sous couvert de prise en charge sanitaire ?

On nous parle souvent d’Auschwitz, à nous qui ne parlons jamais de nos « mouli » (nos morts) qu’avec d’infinies prévenances. Nous autres pour qui, comme pour les Juifs, ainsi que l’exprime de manière si juste Georges Bensoussan, ce chagrin infini induit la quête infinie d’une reconnaissance qu’aucune réponse pourtant ne viendra apaiser.

J’ai lu le mot reconnaissance dans cet article : … il nous faut faire preuve d’intelligence et de mémoire. Il ne s’agit pas d’angélisme ou de compassion mais de notre capacité́ de tolérance et de reconnaissance du droit de chacun à vivre avec ses différences etc. Mais avant de reconnaître, il faut d’abord se connaître et après seulement, aux grands et petits hommes la mère-patrie (la mère-père étymologiquement) reconnaissante élève des monuments à leur mémoire. Avez-vous jamais réfléchi que le nombre de Tsiganes figurant sur les monuments aux morts pourrait-être infime par rapport au nombre de Tsiganes tués en 14-18 ?  Et cela, simplement parce que sur chaque monument ne figurent que les morts de la commune et que la plupart des Tsiganes à cette époque étaient nomades et par là même non recensés dans les rôles communaux. C’est une forme d’invisibilité, parmi les nombreuses formes d’invisibilité qui frappent les Tsiganes. Je précise que j’utilise les termes de Roms et Tsiganes comme parfaitement synonymes.

Gayatri Spivak, théoricienne de la littérature, professeur à l'université de Columbia, dans la rédaction de son essai : - Les subalternes peuvent-elles parler, (Can the Subaltern speak ?) reprend et développe l’échange entre Gilles Deleuze et Michel Foucault, lequel aurait été le premier à démontrer l’indignité de parler pour les autres. Il faut ensuite définir ces « autres », ces subalternes. Dans l’affaire qui nous occupe, se demander si les Tsiganes peuvent parler.

C’est ce que nous avons commencé de faire. Par obligation, par devoir envers nos enfants, par passion. Parce que trop souvent les préfets, les juges, les élus et leurs électeurs savent peu de choses de la culture tsigane, pourtant si proche, si voisine, si cousine de leur culture « gadgikane ». Alors c’est à nous de parler. Les Tsiganes peuvent parler, doivent parler, traduire dans la langue des juges, des préfets, des élus, des électeurs, les particularités de leur  culture, montrer qu’ils savent argumenter, négocier, passer des compromis acceptables par tous. C’est aux Tsiganes, et à eux prioritairement, d’engager un dialogue avec une exigence de respect mutuel, c’est à eux de lancer les passerelles, faciliter la compréhension, apaiser les malentendus.

Inaudible, caricaturée, dénigrée parce que volatile et non écrite, la parole tsigane à présent mise en pages d’écriture, corrigée, améliorée, mémorisée enfin,  prend le risque d’irriter ces grandes ONG, qui depuis quelques années tirent de biens jolis bénéfices de la question Rom dont elles se sont auto proclamées porte-paroles, et trop souvent porte-monnaie et porte-malheur aussi, je le crains.

Grand corps malade, Rom is money, sésame convoité, qui donne accès aux milliards inemployés des fonds structurels européens.

Pour ces  porteurs de blouses-seringues-parole-monnaie-malheur-documents, il est important que votre regard ne change pas, quel que soit votre regard, chargé d’empathie ou de détestation à l’égard des Tsiganes. Hostiles ou bienveillants, vous justifiez pareillement leur utilité, leur investissement dans le charity-business au bilan bien maigre, aux conseils d’administration composés uniquement de  Gadgés, par lesquels transitent les euros-millions. Le quotidien des Roms s’est-il vraiment amélioré depuis que ces  grandes ONG ont pris en charge la question Rom ? L’indignité de parler pour les autres, et encore, s’ils se contentaient de parler… De là, notre méfiance. La neuvième qualité du chien, c’est de se tenir éloigné quand on lui porte à manger.

Il reste les autres, nous les Roms et vous qui vous empoignez dans les commentaires, aux articles de Médiapart. Il reste la retraitée, assise sur une palette déglinguée près d’une cabane qui apprend à lire à des gosses dans un camp, la chômeuse qui dans son armoire cherche la layette pour la donner à cette Romie maman, l’infirmière qui prodigue les soins et donne les bons conseils, le riverain pas aussi excédé par la présence des Roms que le prétend Valeurs actuelles.

En laissant un commentaire au bas de cet article, vous apporterez la démonstration que les « subalternes » peuvent parler, vous apporterez un peu de visibilité à une parole tsigane, je vous en remercie très chaleureusement.

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